Arquivo

Les Portugais à Revin en 1936 : une photographie inédite d’une immigration portugaise de la première vague


Durant la II Guerre mondiale, cinq jeunes d’origine portugaise furent massacrés en 1944 à Revin (lire ICI et ICI), une commune ardennaise marquée par la Résistance. Cet épisode tragique nous a poussés à explorer les origines de la présence portugaise dans cette région. Pourquoi Revin ? Depuis quand y a-t-il des Portugais ? Combien étaient-ils ? Quels étaient leurs métiers, leurs conditions de vie, leurs origines ?

La population de Revin, en fonction des phases économiques, s’est accrue ou a subi, parfois, de fortes baisses sur de courtes périodes. L’année 1968 représente l’apogée du nombre d’habitants : 12.156. La France était traversée par les «30 glorieuses», années de forte croissance économique. Depuis, le nombre d’habitants a été en constante diminution du fait de la crise industrielle, notamment métallurgique. À titre d’exemple entre 2015 et 2022, la ville a perdu 14% de sa population, passant de 6.740 habitants, à 5.795.

Ce qui va suivre c’est le résultat brut de notre retraitement du recensement de 1936 de la ville de Revin. De quoi écrire pratiquement un livre, car chaque statistique évoquée, mériterait un commentaire et une comparaison avec l’autre vague de l’immigration portugaise vers la France, celle des années 1960-1970 et aussi comparer avec le moment actuel. Nous laissons au lecteur cette liberté.

Les statistiques que nous avons élaborées sont nombreuses, peut-être que les amoureux de chiffres, les spécialistes des mouvements migratoires et de son histoire apprécieront.

Grâce aux thèmes évoqués, nous pensons prendre une photo, ou une des photos, de l’immigration portugaise de l’époque, en 1936, notamment au niveau sociologique.

Contexte national de l’immigration portugaise

En 1890, la France ne comptait que 1.331 Portugais, en grande majorité des intellectuels ou artisans.

Durant la I Guerre mondiale, environ 22.000 Portugais sont venus travailler en France pour remplacer les hommes partis au front. D’autres, soldats du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) venus combattre, resteront et forment une famille en France.

Après la guerre, la France, en pleine reconstruction, a besoin de main-d’œuvre : en 1931, 49.000 Portugais vivent en France. Ce nombre chute fortement à cause de la crise économique, tombant à 28.290 en 1936.

Pourquoi Revin ?

Revin, ville industrielle située dans les Ardennes a compté jusqu’à 22 usines, notamment dans la métallurgie. La Meuse y passe, et la proximité de la Belgique et du Luxembourg facilite les échanges.

En 1936, Revin comptait 7.823 habitants, dont 6.197 Français, 1.626 étrangers, 2.277 ménages et 1.880 maisons.

Nous avons identifié 69 maisons dans lesquelles vivaient au moins un Portugais, soit 4,2% des habitations étaient occupées par des Portugais ou avec des Portugais.

Données sociologiques de l’immigration portugaise à Revin (1936)

En ce qui concerne la structure familiale, 30 couples «100% portugais», tous mariés, pas de «concubinage» dans cette configuration de couple, habitaient Revin. Mais il y avait aussi 21 couples mixtes : homme portugais, femme française. Dans les 21 couples on compte 12 portugais qui vivent avec une compagne, non mariés donc. Aucun couple où la femme est portugaise, mariée avec un homme français.

La moyenne d’âge des Portugais en couple était de 36 ans, même âge que ceux qui n’étaient pas en couple, mais habitant dans des familles françaises en majorité (dans le recensement on dit qu’ils sont en pension chez…).

Les âges extrêmes des Portugais en couple vont de 23 ans à 58 ans. Il faut minimiser ces extrêmes, car un seul portugais en coupe a 23 ans, l’âge suivant étant de 28 ans. Le couple de lui 58 et la femme de 53 ans est également une exception.

Une seule femme portugaise travaille. 3 Femmes françaises des couples mixtes exercent une activité professionnelle.

Le nombre d’enfants par couple varie de 0 à 7. Il y avait 6 couples sans enfants dans le foyer au moment du recensement, mais la moyenne d’enfants par couple était de 2,7.

En tout il y avait 147 enfants issus de couples où au moins un parent est portugais : 111 nés en France, dont 42 dans des couples 100% portugais et 36 étaient nés au Portugal.

La natalité est plus élevée dans les couples mixtes : les 30 couples 100% portugais avaient 78 enfants, alors que les 21 couples mixtes avaient 69 enfants. Est-ce que les enfants des couples 100% portugais nés au Portugal n’ont pas tous migré vers la France avec leurs parents ?

Voici quelques cas particuliers : Un père vit seul avec deux enfants à Revin (était-il veuf ?), 4 femmes portugaises vivent seules avec leurs enfants (étaient-elles veuves ?, les pères étaient en déplacement ? ou pas assimilés comme faisant partie du ménage au moment du recensement ? Un couple mixte et un couple 100% portugais logent chez eux leurs mères, respectivement âgées de 77 et 67 ans.

Conditions de logement

La moyenne générale était de 4,2 personnes par maison à Revin, mais dans les maisons avec au moins un Portugais était de 4,7 personnes.

Il y a des exemples de cohabitation : 10 ouvriers portugais étaient logés individuellement dans des familles françaises ; un couple portugais hébergeant 7 ouvriers ; ou plusieurs petits groupes (2 à 6) vivant dans des familles françaises : 3 groupes de 2 portugais, 2 groupes de 3 portugais, 1 groupe de 4 portugais, 1 groupe de 6 portugais.

Activité professionnelle

Il y avait, en 1936, 100 Portugais actifs à Revin : 48 vivaient en couple et 47 étaient considérés pensionnaires dans le recensement, vivant chez des familles françaises et quelques-uns chez des compatriotes portugais. On ne peut pas les considérer comme célibataires, car peut-être ont-ils laissé leurs épouses au Portugal.

Lors de ce recensement, 5 enfants étaient également au travail et 3 Portugais étaient chômeurs.

39 Portugais étaient mouleurs, 33 manœuvres, 4 polisseurs, 3 émailleurs, 3 coiffeurs (dont 2 patrons) et 18 autres travaillaient dans les professions diverses (dont un seul maçon !)

Concernant les principaux employeurs : 38 Portugais travaillaient chez Arthur Martin (aujourd’hui Electrolux), 10 chez Porcher, 5 chez Lebeau, 3 chez Haineau, 3 chez Faure, 10 travaillaient chez d’autres patron et y travaillant comme seul portugais. 31 Portugais n’avaient pas pu préciser leur patron.

Origine géographique des Portugais

Parmi les 206 Portugais identifiés, voici les principaux lieux d’origine : 22 étaient de Bragança, 10 de Lagos, 9 de Rio Tinto, 7 de Porto, 5 de Santa Maria de Lamas (Aveiro), 5 de Gondomar. Braga, Viana do Castelo, Louriçal, São João da Madeira avaient 4 Portugais à Revin chacune, Mogadouro et Ponte de Lima, 2 chacune et 18 autres lieux pour 18 individus.

Pour 110 personnes, le présent l’étude devrait être approfondi. Les noms de lieux de naissance, dans le recensement, étant illisible ou avec simplement le nom de la paroisse et pas le nom du village ou de la ville.

Répartition des Portugais dans la ville de Revin

Les foyers portugais étaient répartis dans diverses rues, souvent dans les cités ouvrières liées aux usines. Les adresses les plus fréquentes sont : Cité Martin (6), Rue Galilée (6), Rue Recrois (6), Rue Gambetta (5), Rue Voltaire, Ledru Rollin, Égalité, Victor Hugo (4 chacune)…

Pour l’anecdote, au 54 rue Victor Hugo vivait à l’époque l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, auteur du «Voyage au bout de la nuit».

30 autres foyers vivaient chacun dans une rue différente.

État civil d’après les registres décennaux

En complément du recensement de 1936 de Revin, nous avons examiné l’État Civil, tout spécialement, les registres décennaux. Les autres résultats, concernant l’époque étudiée, ne sont pas encore disponibles sur internet.

Entre 1933 et 1941, il y a eu 6 mariages portugais-portugais célébrés à Revin (une bonne partie des mariages 100% portugais ont eu lieu au Portugal) et il y en a eu 11 mariages mixtes (homme portugais, femme française), mais aussi un divorce impliquant un homme portugais.

Pour cette même période, il y a eu 75 naissances avec au moins un parent portugais et 28 reconnaissances d’enfants, dont 50% concentrées sur 3 familles : Vaz (7), Cruz (5) et Silva (2).

Entre 1923 et 1932 il y a eu 6 mariages avec au moins un intervenant portugais. Nous n’avons pas pu déterminer le nombre de mariages dont les deux sont portugais. Les noms de l’époux et de l’épouse sont classés par ordre alphabétique et non l’un à côté de l’autre en fonction du couple créé. Il y a eu 36 naissances pour cette période, dont 6 reconnaissances.

Entre 1913 et 1922, aucun mariage ou naissance impliquant des Portugais n’a eu lieu à Revin, ce qui laisse penser que la Communauté portugaise s’est installée dans la ville à partir de 1924-1925, date des premiers actes d’état civil.

Le premier mariage a été celui de João Batista le 22 décembre 1925 et la première naissance a eue lieu le 23 décembre 1925.

Conclusion

Il serait intéressant de comparer le portrait de l’immigration portugaise de Revin entre les deux guerres, à la situation actuelle des Portugais ou d’origine portugaise, à Revin.

Une des plus anciennes, sinon la plus ancienne Association portugaise de France a aujourd’hui 68 ans – elle a vu le jour à Revin en 1957 – c’est l’Amicale Franco-Portugaise de Revin. Celle-ci compte à ce jour 120 familles adhérentes, son président actuel est Alfredo Valdemar, originaire de la région d’où venaient une grande partie des immigrés portugais de Revin en 1936 : Bragança.

L’Amicale Franco-Portugaise de Revin est présente et rend hommage, lors des cérémonies en souvenir des fusillés de 1944 de Revin, notamment aux 5 fusillés d’origine portugaise.

Le Groupe Folklorique Portugais de Orzy, un des quartiers de Revin, fait la promotion des danses et des chants lusitaniens dans les différentes manifestations de la région.

L’étude que nous avons réalisée et que nous vous avons ici présentée permet de reconstituer le visage de l’immigration portugaise à Revin dans l’entre-deux-guerres : des ouvriers venus pour le travail, souvent jeunes, vivant dans des conditions parfois précaires, mais intégrés dans le tissu industriel de la ville. Leurs traces, bien que souvent oubliées, méritent d’être mises en lumière, un hommage également par cet écrit, d’une certaine façon aux sacrifices subis durant la guerre, tel le massacre des cinq jeunes portugais en 1944.