Jacob Rodrigues Pereire: premier instituteur des sourds et muets en France

Le Coronavirus est, entre autres, en train de mettre à la lumière du jour une profession, des professionnels spécialisés dans le langage des signes à destination des sourds et muets.

Au Portugal, certains journaux télévisés étaient déjà diffusés avec en arrière-plan un spécialiste de ce langage. Depuis l’apparition du Covid19 et l’intervention des politiques à la télévision, on fait appel à ses anonymes qui, avec leurs gestes, traduisent les messages et les discours de ceux qui nous dirigent, tant en France qu’au Portugal.

Jacob Rodrigues Pereire, né le 11 avril 1715, en Espagne, de parents juifs portugais, qui eux, sont nés à Chacim (Macedo de Cavaleiros).

Jacob Rodrigues Pereire est décédé le 15 septembre 1780. Son corps est enterré au cimetière de Montmartre, à Paris.

Pendant son existence, ses mérites reconnus, l’ont conduit à être membre de la Royal Society et de l’Académie des Sciences, Belles-lettres et Arts de Bordeaux.

De la famille Pereire, des Juifs convertis au catholicisme, sous le règne de D. Manuel I, tout en pratiquant secrètement l’enseignement marrane, on connaît mieux, les petits-fils de Jacob: Émile et Isaac.

Leurs notoriété fait, qu’à Paris, ils ont une station de métro à leurs noms, une station de RER et même un boulevard.

Émile et Isaac furent des spécialistes de tous types d’affaires: du chemin de fer à la construction, en passant par le transport maritime, la banque, les assurances… Émile fut Député des Pyrénées-Orientales et Isaac Député de la Gironde.

Jacob Rodrigues Pereire sera en France un des précurseurs de l’éducation des sourds et de l’orthophonie. Savant reconnu et polyglotte, il mena aussi une action politique pour défendre les droits de la communauté des «Juifs Portugais».

Sa famille s’est installée à Bordeaux. Lui-même ne quittera la ville qu’en 1746 pour suivre au collège de Beaumont-en-Auge (Caen) son second élève – le premier étant Aaron Beaumarin – sourd-muet, dont on lui confia la rééducation, le jeune Azy Étavigny. Il restera à Beaumont-en-Auge trois années, entrecoupées par plusieurs séjours à Paris.

En avril 1749 il se fixe définitivement à Paris avec son élève. Son domicile servira de pension pour le jeune Azy Étavigny et pour les autres élèves sourds-muets qui lui sont confiés les années suivantes.

Jacob Rodrigues Pereire, dans son approche des sourd-muets, privilégie la démutisation (1), la lecture sur les lèvres, l’apprentissage précoce de la lecture et utilise la dactylologie (2) adaptée à la langue française, inspirée de l’alphabet manuel de Juan de Pablo Bonnet.

Il fait l’objet d’attaques anonymes de l’abbé Charles-Michel de l’Épée qui cherche lui aussi une reconnaissance institutionnelle dans le domaine de l’éducation des sourds.

L’œuvre de Jacob Rodrigues Pereire ne se limite pas qu’au seul domaine des sourds-muets. Ses connaissances en physique et en mathématiques lui valent des honneurs et l’amitié des plus grands savants de son temps.

Plusieurs ouvrages seront édités sur Jacob Rodrigues Pereire. Citons ici un des premiers, d’Edouard Seguin, intitulé «Jacob Rodrigues Pereire, premier instituteur des sourds et muets en France, pensionnaire et interprète du Roi, membre de la Société Royal de Londres, Analyse raisonnée de sa méthode», édité en 1847.

En 1981 dans une revue intitulée «Juifs et Judaïsme» n°13 aux Éditions Garniers Frères, voici ce qu’on peut y lire sur Jacob Rodrigues Pereire: «Au milieu du 18ème siècle, un Juif, Jacob Rodrigues Pereire se lance dans une recherche et dans des réalisations médico-scientifiques absolument pionnières pour l’époque: éducation des sourds-muets de naissance, et même les faire parler. Deux traits caractérisent l’œuvre tout à fait originale de Pereire dans ce domaine: le premier est d’ordre scientifique et touche au caractère révolutionnaire d’une méthode dont les résultats spectaculaires ont fait sensation. Le second est d’ordre sociologique et souligne la place unique de Pereire comme juif dans un travail qui, avant lui, et longtemps après, est du domaine presque exclusif des prêtres. C’est la raison pour laquelle ces résultats, délibérément ignorés ou niés, mettront près d’un siècle à être repris en considération par les spécialistes… Il est resté une sorte de voile sur cet homme dont l’œuvre et la personnalité exceptionnelles demeurent méconnues».

Les détracteurs de Jacob Rodrigues Pereire lui ont reproché d’exploiter sa méthode et la tenir au secret, reproches qui ne s’accordent pas avec les communisations qu’il a faites à Paris, conduisant à ce que l’Académie des Sciences lui accorde plusieurs récompenses. Il a même été jusqu’à présenter sa méthode au roi Louis XV qui lui accorda une pension de 800 francs. Son tort? Avoir écrit contre l’abbé Charles-Michel de l’Épée, dont il reconnaissait, pourtant, l’importance admirable de sa découverte.

À la clôture du Congrès de Lyon, sur le thème des sourds-muets, le 5 août 1885, M. Hugentobles, terminait son discours par: «Il ne doute pas que ses collègues, hommes de sens, de cœur et de bonne volonté, ne trouvent bientôt le leur et ne travaillent à leur tour à réaliser la promesse du fondateur de l’enseignement de la parole en France, du célèbre Jacob Rodrigues Pereire, lorsqu’il disait, il y a plus d’un siècle: ‘il n’y aura plus de sourds-muets; il y aura des sourds parlants’».

Notons que les Juifs portugais avaient en France, et tout spécialement à Bordeaux, une position privilégiée, grâce à l’action de Jacob Rodrigues Pereire auprès du roi Louis XV. Jacob avait été nommé par ses pairs juifs portugais, leur agent à Paris. Par un édit de 1760, les non-juifs portugais, étaient considérés en France comme des vagabonds, des êtres inférieurs au niveau éducation, social et institutionnel.

C’est Jacob Rodrigues Pereire qui a, personnellement, acheté le 3 mars 1780, les jardins du 44 rue de Flandre, à Paris, juste à côté de l’enseigne l’Étoile. Il obtiendra l’autorisation du roi pour y construire un cimetière pour les Juifs Sephardins. 28 tombes y furent aménagées.

Le cimetière fut abandonné en 1810, Napoléon autorisant l’inhumation des Juifs dans tous les cimetières. Ce cimetière est inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques depuis le 3 janvier 1966, le cimetière qui dépend de l’ACIP.

Jacob Rodrigues Pereire y a été enterré, dans un premier temps. Exhumé en 1878, il a été définitivement déplacé vers le caveau familial au cimetière de Montmartre.

Le roi Louis XVI fonde une école spécialisée pour enfants sourds-muets et en offre la direction à l’abbé Charles-Michel de l’Épée qui pourtant ne réussira jamais à les faire parler. La reconnaissance des plus grands rois d’Europe ainsi que les titres délivrés par Louis XV et l’Académie des Sciences dont il a par modestie peu faite étalage, n’y font rien. Avec la complicité de l’Église, le nom de Jacob Rodrigues Pereire devient tabou et tombe dans l’oubli en moins de deux décennies.

Ce mauvais coup porté par le roi, le décès de son fils aîné et la maladie, ont conduit à ce que Jacob Rodrigues Pereire décède presque dans l’anonymat le 15 septembre 1780.

Hugues Philippe Duchesne, Conseiller du roi écrira: «Jacob Rodrigues Pereire, pensionnaire du roi, agent de la nation juive portugaise, âgé d’environ 70 ans, est décédé à minuit de maladie dans sa chambre au 2ème étage d’une maison occupée par un marchant mercier. Le corps d’un cadavre masculin, gisait sur de la paille étendue sur le plancher de ladite chambre. Pourquoi ils requièrent qu’ils soient pourvus à son inhumation dans le Cimetière Juif Portugais, à la Villette».

Hommage soit rendu à Jacob Rodrigues Pereire: une sacrée personnalité et un innovateur par ses recherches pour l’époque.

 

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(1) Fait de recouvrer la parole, de cesser d’être muet.

(2) Un alphabet dactylologique ou alphabet manuel ou encore alphabet digital est une manière de représenter l’alphabet avec des signes. En LSF, il s’effectue avec la main droite pour les droitiers et la main gauche pour les gauchers. En langue des signes britannique, il s’effectue avec les deux mains.

 

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