Un père, un fils et une même captivité : l’incroyable destin des Simões da Costa pendant la Grande Guerre

Des histoires naissent, renaissent, se croisent. Parfois, des coïncidences ou des faits surprenants deviennent le point de départ de récits que nous publions dans LusoJornal.

L’histoire que nous allons raconter, fruit de longues recherches, est l’une de celles qui surprennent par leur singularité : un père et un fils faits prisonniers le même jour, au même endroit, alors qu’ils servaient au sein du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) pendant la I Guerre mondiale dans le nord de la France.

Tout a commencé pour nous par un passage tiré du livre de Filipe Ribeiro de Menezes, frère de l’actuel Ambassadeur du Portugal en France, intitulé «De Lisboa à La Lys», cité par l’auteur à partir d’un manuscrit de son grand-père, Mário Sílvio Ribeiro de Menezes : «De Meunesses, l’officier le plus gradé parmi les prisonniers, demanda d’alerter le Gouvernement portugais de la situation alarmante de deux camarades : le Lieutenant …, souffrant de troubles mentaux, et le Capitaine Simões da Costa, âgé de plus de cinquante ans, capturé à Neuve-Chapelle lors d’une visite à son fils…».

Cette note fut le point de départ d’un travail de recherche qui nous conduisit à une histoire aussi émouvante qu’exceptionnelle.

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Une famille entre Portugal et Angleterre : les origines

Le père : Joaquim Simões da Costa

Né le 6 mai 1861 à Mamarrosa (Oliveira do Bairro, Aveiro), Joaquim Simões da Costa est décédé en 17 juillet 1936. Déclaré «fils naturel» de Jacinta de Jeuss, il fut ensuite reconnu par son père José Simões da Costa.

Il épouse le 23 juillet 1890, à São Julião da Figueira da Foz, Eugénia Cooke Carrington, fille de Maria Isabel Sousa Barbosa et de João Cooke Carrington, commerçant installé à Figueira da Foz, d’origine londonienne, décédé quelques mois avant le mariage de sa fille.

Le couple aura trois enfants : João Carrington Simões da Costa (1891), Joaquim (1892) (1) et Ruy (1894) (2).

Le premier, João, est au centre de notre histoire.

Le couple se sépare rapidement, et le divorce est officiellement déclaré le 14 mars 1916.

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Le père soldat : un Capitaine expérimenté au CEP

Le Capitaine Joaquim Simões da Costa, alors âgé de 56 ans, embarque à Lisboa le 23 mai 1917, peu après son divorce, cela expliquant que dans sa fiche militaire soit indiqué comme parent vivant le plus proche, son fils : João Carrington Simões da Costa, son adresse, à l’époque étant, Rua da Madalena n°237, 4°E, à Lisboa.

Il sera rattaché au Quartier Général de Base (Q.G.B) et nommé responsable du dépôt le 28 novembre 1917.

Le Capitaine qu’on voulait réformer, demande le 4 avril 1918 de continuer à faire partie du CEP. Le même jour, dans un autre document, il explique vouloir continuer pour, d’une certaine façon, être plus proche de son fils João qui est en première ligne.

Le lieutenant responsable administratif, João de Brito Pimenta de Almeida, donne son accord pour qu’il puisse continuer son service au sein du CEP, d’autant plus que le responsable de la cantine est parti au Portugal.

Le Capitaine obtient une permission de 4 jours. Cette décision lui sera fatale. En visite sur le front à son fils João Carrington Simões da Costa, il est fait prisonnier à Neuve Chapelle au même moment et endroit que son fils. Le 10 avril, Joaquim Simões da Costa est signalé absent de son poste, car fait prisonnier.

Joaquim Simões da Costa était au mauvais endroit, au mauvais moment.

Le 25 juin 1918 le Chef intérimaire de l’Administration du dépôt du QGB du CEP, José Mendes Silvestre écrit au Chef d’État Major de la Base, signalant que tous les biens de Joaquim Simões da Costa, prisonnier militaire, restent intacts dans sa chambre. Il demande supérieurement ce qu’il doit en faire.

Joaquim passe par les camps de prisonniers de Strasbourg et Neubrandenburg.

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Le fils soldat : João Carrington Simões da Costa, un jeune officier engagé

C’était un Républicain brillant.

João Carrington Simões da Costa, né en 1891, est un brillant étudiant. Franc-maçon dès 22 ans, il rejoint la loge Madrugada (GOLU) en 1913. Son frère, Ruy, encore plus jeune, 19 ans, rentre au même temps dans la même loge. La Loge Madrugada a été fondée à Lisboa par décret le 10 juin 1911, recevant le numéro 339 du Grand Orient Uni de Lusitanie (GOLU).

João a porté le nom symbolique de Enjolras, il ira jusqu’au 7ème grade de Royal Foundation. Il rejoint ensuite la loge Renascença.

Jeune homme engagé, il écrit un long article sous le titre «De Cara» dans le premier numéro de la revue «Et Real !» du 13 mai 1915 dans lequel il défend la République qu’il juge en péril. Il conclut l’article par : «Cela signifie-t-il que la République est morte ? Non. Cependant, il est clair qu’elle est en grand danger ; il est nécessaire que tous les vrais Portugais, ceux qui ont placé la libération de la Patrie dans leur fervente foi républicaine, s’unissent et, faisant ce que nous avons oublié le 5 octobre, proclament la République au Portugal une fois pour toutes !».

Dans ce même numéro de «Et Real !», Fernando Pessoa signe un article intitulé «O preconceito da ordem».

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La guerre

João interrompt ses études pour s’engager dans le CEP. Parti de Lisboa le 17 novembre 1917 avec le grade de Lieutenant du Bataillon d’infanterie 16, il passe depuis par les BI 20 et le BI11.

Comme son père, il est fait prisonnier le 9 avril 1918 lors de la Bataille de La Lys, à Neuve-Chapelle.

Les deux hommes sont envoyés dans les mêmes camps : Strasbourg, puis Mecklembourg. Dans la liste des prisonniers portugais au camp de Strasbourg, les deux noms apparaissent avec la confirmation du jour et de lieu de capture. Rappelons que la ville de Strasbourg était un centre administratif pour l’Empire allemand pendant la guerre, avec des infrastructures de gestion des prisonniers.

Père et fils quittent la captivité ensemble, embarquant du port hollandais de La Haye. Ils se présentent au Q.G.B le 25 janvier 1919.

João rentre au Portugal le 3 avril 1919, décoré de la médaille du CEP.

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Le jour où tout bascula : le 9 avril 1918, La Lys

Le jeune journal quotidien, «A Situação», du 9 juin 1918 qui n’est qu’à son 59ème numéro, publie les noms d’un certain nombre de prisonniers portugais. Le père et fils Da Costa Simões y apparaissent, apportant un soulagement aux familles. Dans l’éditorial du 9 juin 1918, le journal dénonce l’incapacité du Gouvernement portugais à renforcer les troupes du CEP entre août et décembre 1917, laissant ainsi les lignes portugaises dramatiquement affaiblies avant l’offensive allemande. Il posait deux questions : «Pour quelle raison n’ont pas embarqué vers la France depuis août jusqu’au 5 décembre, les forces qui étaient préparées ? Pour quelle raison, pendant les quatre derniers mois le Gouvernement de União Sagrada, n’a pas réussi à envoyer un seul homme en renfort alors que pendant ce temps, 18 mille auraient dû partir ?

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Une captivité difficile, aggravée pour les Portugais

Grâce au manuscrit de Mário Silvio Ribeiro de Menezes, on sait que le Capitaine Simões da Costa, qui en réalité, par nos recherches et rapprochements, savons qu’il s’appelait Joaquim Simões da Costa, aurait dut avoir un traitement différencié dans le camps, au vu de son âge et de son état mental : «L’Officier français évoqua ensuite le souhait des Officiers portugais de recevoir de leur Gouvernement les vivres nécessaires à leur survie. Un accord signé par les Gouvernements français et allemand, affirmèrent les autorités du camp, n’avait pas été étendu aux Portugais en raison du prétendu mauvais traitement infligé aux prisonniers allemands dans les colonies africaines portugaises. Parmi les Officiers français emprisonnés figurait le Capitaine ‘De Meunesses’, le plus gradé des Officiers détenus dans le camp, qui demanda la libération du Lieutenant Norberto Figueiredo Salgueiro, qui présentait des signes d’‘aliénation mentale’ et et du Capitaine ‘Simones da Costa’, qui, âgé de plus de cinquante ans, avait été capturé à Neuve-Chapelle lors d’une visite à son fils. Compte-tenu de son âge et de ses longs séjours en Afrique, cet Officier ne pouvait supporter longtemps la captivité. Le Capitaine de Meunesses demande que ces deux officiers, dont la situation est préoccupante, bénéficient au plus vite d’une mesure de faveur et soient soit rapatriés, soit internés dans un pays neutre». On comprend aussi par ce récit la raison pour laquelle les prisonniers portugais étaient encore plus mal traités que les Français, par exemple.

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Après la prison : le destin remarquable de João Carrington Simões da Costa

Le savoir-faire, l’humanisme de João, durant son emprisonnement, le conduit à participer et à l’organisation de cours et de conférences au sein d’un groupe d’Officiers de leur camp de prisonniers.

Après la guerre, João reprend ses études. Son parcours académique et professionnel est exceptionnel : Licence en sciences historiques et naturelles à l’Université de Porto, Diplôme de l’École normale supérieure de Lisboa, Docteur en géologie (1931), Professeur, puis professeur titulaire à la Faculté des sciences de Porto (1942), Naturaliste au Musée minéralogique et géologique, Président de la Société géologique du Portugal, Directeur du Centre de minéralogie et géologie, Responsable de missions géologiques en Guinée (1946-1947), Auteur de manuels de géologie.

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Un parcours politique engagé

Républicain convaincu, il participe à la répression de la contre-révolution monarchiste (1919), à l’administration civile (Gouverneur civil de Braga), à divers services ministériels (Guerre, Agriculture, Éducation).

Il a également reçu plusieurs distinctions dont Commandeur de l’Ordre de l’Instruction publique (1955), Grand Officier de l’Ordre de l’Empire (1961) et Grand Officier de l’Ordre de l’Infant Dom Henrique (1962).

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L’histoire de Joaquim et João Carrington Simões da Costa n’est pas seulement celle d’un père et d’un fils plongés dans l’horreur de la Grande Guerre. C’est aussi l’histoire de deux hommes liés par un destin exceptionnel : faits prisonniers le même jour, ayant traversé les mêmes camps, ils ont pourtant suivi des trajectoires de vie très différentes.

Le père, déjà âgé, fut mis à l’épreuve par des conditions de captivité particulièrement dures pour les Portugais. Le fils, jeune Officier républicain, deviendra plus tard l’une des grandes figures de la géologie portugaise.

Leur histoire rappelle la complexité de la participation portugaise à la I Guerre mondiale, souvent peu connue, et met en lumière ces destins singuliers qui donnent à l’Histoire ses moments les plus humains et les plus émouvants.

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(1) Joaquim Carrington Simões da Costa, fonctionnaire des travaux publics en Guinée-Bissau, sa veuve, Teresa Maria Dias Carrington da Costa, demande en septembre 1959 capital décès pour elle et ses trois enfants, suite au décès de son mari.

(2) Ruy Carrington Simões da Costa se marie avec Maria das Dores Pereira Braga. Leur fils, Rui Braga Carrington Costa, né le 21 décembre 1932, professeur d’université, médecin, chercheur dans le domaine des soins intensif sera nommé Presidente da Comissão Administrativa da Câmara Municipal de Coimbra juste après la Révolution des Œillets, entre le 13 mai 1974 et jusqu’aux premières élections municipales libres au Portugal, le 12 décembre 1976. Rui Braga meurt tragiquement dans un accident à Abidjan, en Côte D’Ivoire, le 26 juin 1994. Hommage lui sera rendu par l’inauguration d’une rue à son nom à Coimbra dès le 5 octobre 1994. Le discours de l’hommage sera prononcé par António Arnaut.