Home Comunidade Abattus le 13 mars 1944 : António Ribeiro et José Augusto Gonçalves étaient au mauvais endroit au mauvais momentAntónio Marrucho·8 Agosto, 2025Comunidade «Offrir du bon miel à la bonne mouche au bon moment et au bon endroit». C’est ainsi que Salvador Dalí résumait le secret du succès. Une formule pleine d’ironie, presque cynique, qu’on pourrait prendre à rebours pour penser au malheur : être au mauvais endroit, au mauvais moment, face aux mauvaises personnes. C’est ce qui est arrivé à António Ribeiro, José Augusto Gonçalves et Gradic Martin, tous trois bûcherons étrangers, tous trois exécutés sommairement le 16 mars 1944 à Avallon, dans l’Yonne, par des Feldgendarmes, police militaire allemande. Ils n’étaient ni Résistants, ni armés. Ils avaient des papiers en règle, et s’étaient rendus à la Mairie, sans doute pour y retirer des tickets d’alimentation. C’était le jour du marché, la ville était animée. Mais une mauvaise interprétation, un soupçon injustifié, une peur ou un zèle arbitraire les ont désignés comme des cibles. Selon des témoignages cités par le site Maitron, un brigadier de police français a entendu deux fois «Haut les mains», puis une rafale de mitraillettes. Deux hommes sont morts sur le coup dans le couloir de la Mairie. Le troisième, grièvement blessé sur les marches extérieures, a été emmené à l’hôpital, où il est décédé quelques heures plus tard. Ils étaient là pour travailler. Leurs visages mal rasés, leurs vêtements usés ont peut-être suffi à les rendre suspects. Ils n’ont probablement pas compris les injonctions hurlées en allemand…on les a abattus. . Des vies brisées António Ribeiro, né le 22 juin 1913 à Alcains (Castelo Branco, Portugal), vivait à Villeneuve-sur-Yonne avec son épouse Guilhermina Pinho Luiz, originaire de Relva (Vila de Rei, Castelo Branco) est né le 22 juin 1913, elle décédera le 4 décembre 2004 à Sens (Yonne). António Ribeiro, le jour même où il a été blessé, meurt à 15h00 à l’hôpital d’Avallon. Au moment du drame, il habitait 36 rue du Puits d’Amour, à Villeneuve-sur-Yonne. José Augusto Gonçalves, né le 3 novembre 1909 à Vila do Touro (Sabugal, Portugal), fils de Manuel Gonçalves et d’Isabel Carolina, résidait également à Villeneuve-sur-Yonne. Dans l’acte de décès il est indiqué qu’il est mort au 37 Grande Rue Aristides Briand, à Avallon. Gradic Martin, d’origine yougoslave, fut le troisième bûcheron à être abattu, il meurt sur le champ. À ce jour, aucune plaque, aucun monument, aucune stèle à Avallon ou à Villeneuve-sur-Yonne ne rappelle la mémoire de ces trois bûcherons. Ils ne figurent sur aucun monument aux morts du département de l’Yonne. Leurs noms semblent avoir disparu des archives, oubliés des commémorations. Peut-être parce qu’ils étaient bûcherons itinérants, travailleurs invisibles, passants de l’Histoire. Peut-être parce qu’ils étaient étrangers. Au recensement de 1936, les deux portugais ne figurent pas sur la liste des 277 étrangers, essentiellement des Italiens. La population totale étant à l’époque de 4.091 habitants dont un de nationalité portugaise. L’Histoire ne s’écrit pas seulement dans les grandes batailles. Elle se tisse aussi dans ces tragédies muettes, dans ces vies volées sans raison. . Notre rôle aujourd’hui : Parler. Écrire. Témoigner. Rappeler que trois hommes sont morts, non pour avoir combattu, mais pour avoir été là, au mauvais moment, au mauvais endroit. Rappeler qu’ils avaient des noms, des familles, des origines. Et pourquoi ne pas leur rendre hommage là où ils sont nés ? À Alcains, à Relva, à Vila do Touro… Le Portugal n’a pas oublié ses émigrés. Il est temps qu’il reconnaisse aussi ses morts sans croix, sans stèle, sans gloire – mais pas sans mémoire.