Cécile Ruggeri-Liberatore : sur les traces des Portugais de CorseAntónio Marrucho·Comunidade·26 Outubro, 2025 En Corse, comme ailleurs en France, la Communauté portugaise occupe une place discrète mais essentielle dans le tissu social et économique. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, aucun travail universitaire n’avait été consacré à son histoire insulaire. Cela va bientôt changer grâce à la thèse de doctorat menée par Cécile Ruggeri-Liberatore, chercheuse, entrepreneure et guide-conférencière au Musée de la Corse. Entrepreneure passionnée et guide-conférencière au Musée de la Corse, Cécile Ruggeri-Liberatore propose aux visiteurs de «visiter Corte autrement». «Je veux faire découvrir la cité paoline et sa région sans me limiter aux récits historiques. J’aborde aussi l’évolution contemporaine de la ville, notamment son rôle de capitale universitaire de l’île», explique-t-elle. Avec 4.500 étudiants pour 7.000 habitants, Corte symbolise selon elle «le renouveau culturel et linguistique de la Corse». Membre du CESEC de Corse (Conseil économique, social, environnemental et culturel), Cécile Ruggeri-Liberatore s’intéresse également aux questions d’environnement, de langue et de tourisme : «Nous représentons la société civile et donnons notre avis sur de nombreux thèmes». Parallèlement à ses activités au musée, Cécile Ruggeri-Liberatore mène depuis plusieurs années un travail de recherche universitaire consacré à l’immigration portugaise en Corse depuis 1945, un sujet jusqu’ici inexploré, raison pour laquelle nous l’avons interviewé pour LusoJornal. . Cécile Ruggeri-Liberatore, pouvez-vous vous présenter ? Mes parents sont originaires du Boziu, plus précisément de Bustanicu, village d’où partit la révolution corse de 1729. Je suis née à Bastia, mais j’ai grandi et vécu dans la vieille ville de Corte. J’y ai fait mes études à l’Université de Corse, où j’ai obtenu un DEA en langues et cultures corses. On dit souvent que la Corse ressemble au Portugal. Qu’en pensez-vous ? Oui, il existe effectivement des proximités linguistiques et culturelles. On retrouve des ancrages romans communs entre les deux régions. Pourquoi avoir choisi de consacrer votre thèse aux Portugais de Corse ? En 2016, le Musée de la Corse m’a confié un travail sur les confréries de pénitents non corses installées sur l’île. À Corte, j’ai découvert l’existence d’une confrérie portugaise autour de Notre-Dame de Fátima. Cette découverte a été le déclencheur. Comme aucun travail n’avait été réalisé sur ce sujet, j’ai décidé d’être la première à me lancer. Pourquoi avoir choisi 1945 comme point de départ de votre travail ? La plus grande vague migratoire a eu lieu dans les années 1960, mais quelques Portugais étaient déjà présents dès 1945, voire avant. Certains, comme Américo et António Afonso, ont même été tués par les Allemands en 1943 (lire ICI). Que peut-on dire aujourd’hui des Portugais de Corse ? Selon l’INSEE, ils sont plus de 9.000, ce qui en fait la deuxième communauté étrangère de l’île, après celle du Maroc. Les hommes travaillent surtout dans le BTP et l’agriculture, tandis que les femmes occupent majoritairement des emplois dans l’aide à la personne. Quel portrait dressez-vous de cette communauté ? Ce sont des travailleurs acharnés, souvent discrets, parfois même «invisibles» pour certaines familles corses. Sont-ils organisés en associations ? Oui, il existe quatre associations portugaises : deux à Ajaccio, une à Corte et une à Porto-Vecchio. Votre recherche s’appuie sur plusieurs années d’enquête ? Effectivement. Je travaille sur ce sujet depuis huit ans. Entre 2017 et 2024, j’ai mené de nombreuses enquêtes de terrain. J’ai d’abord réalisé une recherche bibliographique, notamment à partir des travaux de Victor Pereira et Marie-Christine Volovitch-Tavares. Ensuite, j’ai élaboré une grille d’entretien pour recueillir les témoignages des Portugais et de leurs associations, avant de compléter le tout par une étude statistique. Avez-vous rencontré des difficultés particulières ? Oui, surtout au début. Il n’est jamais facile d’entrer dans une communauté lorsqu’on n’en fait pas partie. J’ai dû être présentée aux personnes que je souhaitais interviewer. Heureusement, la confiance s’est installée. Avez-vous bénéficié de soutiens extérieurs ? Bien sûr. Mes deux directeurs de recherche, Philippe Pesteil et Tony Fogacci, m’accompagnent dans ce travail. J’ai également reçu les conseils de Victor Pereira et Didier Rey. Du côté institutionnel, j’ai pu compter sur la collaboration de Mme Pantalacci, Consule honoraire du Portugal en Corse, et de M. Álvaro Esteves, Consul-Général du Portugal à Marseille.Un travail qui aurait été impossible sans le réseau professionnel d’enseignants guides professionnels, le Grupo de Bombos d’Ajaccio et Eva Guimarães à Corte et Pedro Braz, deux personnes-relais de la Communauté portugaise de Corse. Où en êtes-vous dans votre travail de thèse, une présentation prochaine ? Le plan et la méthodologie sont finalisés. J’attends les retours de mes directeurs et je compte présenter mon travail au début de l’année prochaine. Ce fut un parcours exigeant, mais cette population mérite d’être mieux connue, pour sa culture, sa musique et son rôle dans l’histoire contemporaine de la Corse.