LusoJornal / Dominique Stoenesco

Fantcha en concert au New Morning avec son album «Nôs Caminhada», en hommage à Cesária Évora

Le samedi 3 mars, au New Morning, à Paris, la chanteuse capverdienne Fantcha présentera son nouvel album «Nôs Caminhada», un hommage à Cesária Évora, sa «marraine», celle avec qui elle a souvent partagé un bout de chemin non seulement dans le monde de la musique mais aussi dans la vie de tous les jours.

Le concert aura lieu là-même où, il y a presque trente ans, Cesária Évora donnait son premier concert public à Paris. Fantcha sera accompagnée de Bau – directeur musical du présent album – à la guitare de 12 cordes; Humberto Ramos, au piano; Paulo Figueiredo, à la contrebasse; Stefan Almeida, au cavaquinho; Nir Paris, à la batterie; Laura Rafecas, au violon. Teófilo Chantre sera aussi de la partie, en duo avec Fantcha. Dans le répertoire figure, entre autres, la célèbre chanson «Miss Perfumado», restée gravée dans le cœur de public français, et pas seulement.

C’est grâce au concours d’Ariane Morais-Abreu (relation presse) et d’Apamée Abreu (assistante de production) que nous avons pu rencontrer Fantcha, au café-concert «Chez Céleste», à Paris, passage obligé de tous les amateurs de musique et de cuisine brésiliennes ou capverdiennes.

 

Pouvez-vous nous parler de votre enfance?

Je suis née à Mindelo, au Cap-Vert, dans le quartier de Chã de Alecrim. Je viens d’une famille très humble, je suis fille d’une mère célibataire. J’ai eu une enfance heureuse, avec mes deux frères musiciens. L’un jouait du cavaquinho, l’autre de la guitare. À la maison il y avait toujours des chanteurs et des musiciens, les «tocadores de serenata». J’ai donc grandi dans ce milieu, où j’ai commencé à chanter dès l’âge de 10 ans. Avec d’autres enfants on improvisait des scènes musicales, avec des moyens rudimentaires. Et les adultes venaient assister à notre «show»… Très tôt, quand ma mère m’a inscrite dans le groupe carnavalesque Flores de Mindelo, j’ai fait la connaissance de Gregório Gonçalves, plus connu sous le nom de Ti Goy, l’un des plus grands compositeurs de mornas, de coladeiras et de musiques de carnaval de l’époque, qui a beaucoup fait pour la culture capverdienne. Je lui dois beaucoup, car c’est lui qui a «découvert» ma voix et qui m’a encouragée à chanter. Puis, c’est Ti Goy qui m’a présentée à Cesária Évora, dont il était le mentor pendant son adolescence, dans le fameux quartier du Lombo. Il m’avait invitée pour participer à une grande fête locale où Cesária devait chanter aussi. Je n’oublierai jamais ce moment où j’ai vu pour la première fois Cesária Évora, c’était en 1980. Ce jour-là j’ai chanté la morna «Belga», que Ti Goy m’avait apprise. Et j’ai eu beaucoup de succès… Cesária a été comme une deuxième mère pour moi.

 

D’après vous, qu’est ce qui est à l’origine de cette renommée immense de Cesária Évora?

Au-delà de sa voix unique, reconnaissable entre toutes, Cesária était une femme de beaucoup de caractère et une forte personnalité, et aussi très humaine. Elle aimait les gens, à qui elle s’adressait toujours avec le même respect et beaucoup de tendresse.

 

Bana a également beaucoup compté dans votre carrière…

C’était un compositeur génial ! Je suis fière de dire que c’est lui qui a enregistré mon premier album, «Boa Viagem», en 1988, au Portugal. J’ai eu le privilège de faire partie de cette «école» de grands auteurs-compositeurs comme Ti Goy, Bana, Manel de Novas, Luís Morais, ou encore Frank Cavaquim, personnage emblématique de la culture capverdienne, dont les textes sont d’une grande qualité, comme «Cavala na bolsa», qui évoque l’émigration, et qui figure dans «Nôs Caminhada». Sans oublier aussi Bau, mais qui fait partie d’une nouvelle génération.

 

Comment expliquez-vous cette dévotion pour la morna et la coladeira au Cap-Vert?

La magie de la morna et de la coladeira se trouve dans leur simplicité et leur authenticité. Elles font partie de l’identité de la culture capverdienne. Cesária Évora, par exemple, avait une manière de chanter la morna qui venait du fond de son âme. Elle exprimait un sentiment très profond. Sa chanson était l’essence même de la culture capverdienne, qu’elle savait fort bien transmettre aux autres.

 

Comment définiriez-vous votre propre style musical et votre manière de chanter?

Personnellement, je me considère comme une artiste de la chanson traditionnelle capverdienne. Je chante surtout la morna, mais aussi la coladeira. Le Cap-Vert est un archipel au milieu de l’Atlantique qui a toujours eu des influences d’autres cultures. Nous sommes le résultat d’un métissage composé d’Africains et d’Européens surtout. Mais la musique brésilienne, qui elle aussi est multiculturelle, nous a influencés également, comme la bossa-nova, que l’on retrouve parfois chez Teófilo Chantre, par exemple. N’oublions pas non plus le blues américain qui a imprégné beaucoup de Capverdiens suite à leur forte émigration vers les États-Unis.

 

Comment est né ce dernier album, «Nôs Caminhada»?

Depuis un bon moment, Bau et moi voulions rendre un hommage à Cesária. En 2011, quelques mois à peine avant sa disparition, j’étais venue la voir à Paris, nous avions fêté son anniversaire ensemble. Tous les souvenirs des meilleurs moments que nous avions partagés étaient réapparus. L’idée de «Nôs Caminhada» (littéralement: chemin, parcours) est née de là. Je voulais rendre un hommage à ma «marraine», à travers un album qui reprendrait toutes les chansons qui ont jalonné notre parcours commun, une sorte de rétrospective. Je me souviens qu’au moment de la quitter, le 16 octobre 2011, avant de reprendre l’avion pour New York, où je vis depuis une trentaine d’années, je l’ai embrassée sur le front et je lui ai dit que nous allions nous revoir à Mindelo, où elle aimait passer Noël. Dans l’avion, un étrange sentiment m’envahissait, j’avais encore son regard triste incrusté dans ma mémoire. Et malheureusement, le 17 décembre 2011 elle rendait son dernier souffle, nous ne nous sommes plus revues… Mais je suis très heureuse maintenant que ce projet ait pu aboutir. En 2016 «Nôs Caminhada» était lancé au Cap-Vert et le 24 février dernier à Lisboa. Et c’est avec beaucoup d’émotion que je viens aujourd’hui à Paris pour le présenter… Cesária et moi étions plus que des amies dans le monde artistique, nous étions des complices de la vie courante.

 

Quel est votre regard sur le Cap-Vert d’aujourd’hui?

Le Cap-Vert a connu un développement très important ces derniers temps. Des changements radicaux ont eu lieu dans ce pays. Entre le Cap-Vert de mon enfance et celui d’aujourd’hui les progrès ont été considérables. Mais il y a encore beaucoup d’aspects négatifs, des gens qui vivent encore très mal. Par ailleurs, malgré tout ce qui a été fait dans le domaine de l’éducation et de la formation, un grand nombre de jeunes restent exclus du monde du travail. Et beaucoup sont obligés de quitter leur pays.

 

Le samedi 3 mars, 21h00

New Morning

7-9 rue des Petites-Ecuries

75010 Paris

 

 

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