I Guerre mondiale : Le malaise au sein du Corps Expéditionnaire Portugais (la preuve par les chiffres)


Il y a eu un grand malaise au sein du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) qui est venu participer, dans le nord de la France, à la I Guerre mondiale et qui peut être étudié selon certains indicateurs. Des centaines de dossiers du CEP restent sans être consultés depuis la fin de la I Guerre mondiale.

L’intérêt grandissant sur le sujet, des passionnés consultant des documents, enrichissent notre connaissance de l’histoire du Corps Expéditionnaire Portugais.

Évoquons ici le malaise entre la hiérarchie du CEP et les soldats à travers les autorisations de campagne. Assez notoire, assez révélateur d’une situation.

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Le Portugal aurait mobilisé pour le Corps Expéditionnaire Portugais (CEP), 55.165 hommes (aussi quelques femmes) qui seraient ainsi distribués :

– 3.376 Officiers
– 3.051 Sergents
– 5.398 Caporaux
– 43.260 Soldats
– 26 Infirmiers
– 54 Infirmières

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Les 55.165 mobilisés faisant partie :

– 35.631 de l’Infanterie
– 9.622 de l’Artillerie
– 4.099 de l’Ingénierie
– 2.203 de la Cavalerie
– 1.927 des services de santé
– 1.408 de l’administration militaire
– 114 équivalent
– 43 de l’État-Major
– 82 de la Croix Rouge
– 36 du Secrétariat
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Selon un document signé par le Colonel (Lieutenant-colonel pendant la I Guerre mondiale) Eugénio Carlos Mardel Ferreira, en date du 30 septembre 1933, émis par la Repartiçao de Estatísticas e Estado Civil do CEP, les officiels qui sont rentré au Portugal avec une autorisation de campagne :

– 1.677 sont rentrés une fois, mais seulement 1.016 sont revenus en France, 661 sont restés au Portugal (39,4%)
– 232 sont rentrés deux fois, mais seulement 74 sont revenus en France, 158 sont restés au Portugal
– 3 sont rentrés trois fois, mais aucun n’est revenu en France.

Par contre, concernant les soldats seuls 34 ont obtenu une autorisation de campagne en 1917 et 485 en 1918.

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Un jour devra-t-on se pencher sur les punitions, en grande majorité infligées aux soldats, toutefois, dans les chiffres ci-dessus il y a déjà l’évidence du fossé entre les officiers et les soldats du CEP.

On utilise en portugais l’expression «Carne para canhão», (chaire à canon). Les soldats portugais étaient ainsi utilisés, considérés pendant la I Guerre mondiale, les soldats étant obligés de lutter vers un but difficile, voire impossible à atteindre, ce qui explique les pertes extrêmement élevées dans les tranchées.

Les officiers qui devaient commander se sentent en partie peu concernés, désirant surtout rentrer au pays, voire aller jusqu’à Paris.

À l’examen des chiffres ci-dessus, des 3.371 officiers du CEP, 1.677 ont pu aller passer des vacances au Portugal avec ce qu’on appelait d’autorisations de campagne. 49,8% des officiers ont voyagé jusqu’au Portugal au moins une fois pendant la I Guerre mondiale.

Des officiers rentrés au Portugal pour repos, 44% ne sont pas rentrés en France. Les 738 officiers restés au pays représentent 22% des officiers totaux mobilisés par le CEP.

Bien d’autres officiers se sont absentés, profitant pour séjourner, assister à des soi-disant congrès, visiter Paris.

On comprend, grâce à ces statistiques, au vu du comportements des officiers, que la situation du CEP n’était pas facile : une hiérarchie souvent absente, allant jusqu’à démoraliser ceux qui sont sur le terrain depuis des mois et des mois, sans être remplacés. Les Anglais se rendant compte de cette situation, avaient prévu de remplacer les soldats portugais sur le front par des soldats britanniques le 9 avril 1918, jour du début de la Bataille de La Lys.

On ne peut pas dire qu’il y a eu beaucoup de désertion dans l’Armée portugaise, quoique… Les officiers qui restent au Portugal, ne revenant pas en France, ne sont-ils pas des déserteurs ? Ont-ils eu une complicité au Portugal pour les déclarer malades ou pour trouver d’autres excuses justifiant ce qui ne devrait pas l’être ?

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António Gomes, 1ero Cabo, matricule 298 du Bataillon d’Infanterie 1, serait un des rares soldats à passer à ennemi. Passage qui a eu lieu le 1 janvier 1918, lors d’un intense bombardement allemand pendant la nuit.

Chez les soldats, beaucoup de punitions l’ont été pour des raisons de retards de quelques heures par rapport à reprise de service prévu. Des punitions plus ou moins sévères par une hiérarchie souvent pas si exemplaire que ça. L’excès de punition – rares sont les soldats qui n’en ont pas eu – n’est pas la preuve d’um mauvais management ?

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Les chiffres des autorisations de campagne des officiers sont à comparer avec ceux des soldats : au total 519 ont eu autorisation de campagne pour aller au Portugal, soit 1,2% du total des soldats. Pour éviter que ces derniers puissent rentrer au pays, la bureaucratie était organisée.

L’écrivain Jaime Cortesão, Lieutenant milicien, dans son livre «Memórias da Grande Guerra», tombé lui-même malade, écrit : «…puis, peu à peu, ceux qui avaient été blessés ont été autorisés à venir au Portugal pour se rétablir. Nous sommes retournés à la patrie. Mais quelle torture de s’arracher aux manches d’alpaga qu’on avait installées dans leurs vieilles souricières bureaucratiques de la base. Nous avons dû mener des batailles douloureuses là-bas pour pouvoir se faire soigner et rétablir au Portugal !».

Devant le désespoir, dans la révolte du soldat, Jaime Cortesão se pose la question : «…parce que si le Portugal n’envoie pas de renforts et qu’ils nous oublient, que les hauts commandements n’ont pas le courage de protester en aucune façon contre ce désespoir et qu’ils font chaque jour aux soldats des promesses de repos et de départ qui n’arrivent jamais, laissent quelques milliers d’hommes devant, pour accomplir des pénibles efforts, qui, dans d’autres armées sont répartis sur des centaines de milliers de combattants, à quoi doit-on s’attendre d’autre ? L’évanouissement, l’épuisement, le désespoir atteignent leur paroxysme dans nos rangs».

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Le propre Commandant du CEP à l’origine du «miracle de Tancos», né un 13 mai de 1856 et qui a eu droit à la une du «Petit Journal» le 13 mai 1917, date de la 1ère apparition de la vierge à Cova da Iria (Fátima), le Général Tamagnini, lui-même se rendait compte des difficultés.

Fernando Tamagnini de Abreu e Silva est le seul commandant des armées en guerre, à tenir un journal quotidien, il écrivait pendant la nuit. On le dit même, à un moment, en dépression au Quartier Général, Château de La Peylouse, à Saint Venant, supportant mal l’attitude des officiers qui l’entourent.

Fernando Tamagnini écrit une semaine après la Bataille de La Lys : «Tout celui qui aura la patience de lire le présent journal, se rendra compte que bien plus d’une fois j’ai écrit ici que si on continue à vouloir gérer la guerre et commander le CEP à partir de Lisboa, cela conduira à la catastrophe…».

Fernando Tamagnini, contrairement à bien d’autres officiers, n’a pas d’ambition politique, sa mission étant de servir son pays. Il critique les dirigeants portugais, les qualifiant d’incompétents, d’indisciplinés, de manque de leader. Il se montre outré par les officiers politiques qui s’absent du Commandement sur le front, de France, par des séjours à Lisboa, voire à Paris. Absences qui devaient être brefs, mais qui deviennent trop souvent définitives.

Le Général Tamagnini fait référence dans son journal de ce qui faisait la force des portugais, du Portugal : son caractère… caractère qui est devenu, selon lui, bas aux ambitions déloyales. Il sent la lourdeur, la responsabilité et le sacrifice des soldats qui, sur 15 mois, ont passé 11 sur le front.

Les mots sont lourds quand il écrit : «Pauvre pays… le Portugal s’effondre, j’en ai honte…».

Des dires qui vont avoir des conséquences.

Fernando Tamagnini sera remplacé le 25 août 1918 du Commandement du CEP par le Général Garcia Rosado.

LusoJornal