Home Comunidade Les frontières les plus anciennes d’Europe, le Portugal : une stabilité à nuancerAntónio Marrucho·19 Dezembro, 2025Comunidade Il est difficile de déterminer quelles sont les frontières les plus anciennes du monde. En ce qui concerne l’Europe, la réponse la plus fréquemment avancée est celle du Portugal, dont les frontières remonteraient à 1297, grâce au traité d’Alcanizes signé entre le roi portugais D. Dinis et D. Ferdinand IV de Castille. Cependant, peut-on considérer cette affirmation comme absolument exacte ? Selon nous, cette réalité mérite d’être nuancée. En effet, malgré une remarquable stabilité, les frontières portugaises ont connu, au fil des siècles, quelques modifications ponctuelles et des situations territoriales particulières. Pour quelles raisons ces modifications ? Quelles sont ces spécificités et ces territoires à part ? Un premier exemple emblématique est celui d’Olivença. Ce territoire appartint à la Couronne portugaise depuis le traité d’Alcanizes jusqu’à son occupation par l’Espagne en 1801. Il faisait partie de la province de l’Alentejo. L’occupation espagnole d’Olivença eut lieu à la suite de la Guerre des Oranges, lorsque les troupes espagnoles, appuyées par la France, envahirent la région. Le territoire ne fut jamais officiellement restitué au Portugal, malgré le traité de Vienne de 1815 qui recommandait son retour à la Couronne portugaise, restitution qui ne se concrétisa jamais. Hermisende est un village frontalier de la province de Zamora, dans la communauté autonome de Castille-et-León. Il s’étend sur 109,05 km² et compte environ 350 habitants. Il appartint au Portugal jusqu’en 1640, tout comme les villages voisins de San Ciprián et de La Tejera. Curieux comme date, 1640, année de Restauration de l’Indépendance du Portugal après 60 ans de domination espagnole. L’ensemble des influences historiques qui ont marqué la région a contribué à l’émergence d’un dialecte mêlant des influences galiciennes et portugaises, faisant de cette zone un véritable carrefour linguistique. São Felizes dos Galegos, officiellement appelé San Felices de los Gallegos, est une commune située près de la frontière, dans la province de Salamanque, dans la communauté autonome de Castille-et-León. Elle s’étend sur 81,43 km² et compte 553 habitants. Le village doit son nom à un supposé repeuplement par des Galiciens. L’intégration de la région au royaume de León fut tardive et liée à l’élévation de Ciudad Rodrigo au rang de siège diocésain. Ce territoire fut portugais de 1297 à 1327, le roi D. Dinis ordonna même la construction de son château. La municipalité reconnut par la suite la souveraineté portugaise durant de brèves périodes, notamment vers 1370 et 1476, avant d’être définitivement intégrée à la Castille à une date incertaine. Salvaterra de Miño est une commune frontalière de Galice, dans la province de Pontevedra. D’une superficie de 62 km², elle compte 8 761 habitants. Dotée de fortifications sur une hauteur stratégique, elle se situe à proximité d’un carrefour de chemins naturels, dont l’un franchissait autrefois le fleuve Minho grâce à un pont de bateaux datant du XVIIᵉ siècle. Située à seulement deux kilomètres de la commune portugaise de Monção, elle est aujourd’hui reliée à celle-ci par un pont moderne. Salvaterra fut sous domination portugaise durant la guerre de Restauration, jusqu’en 1649. Dès le règne du roi Jean Ier, le second traité de Monção, signé en 1389, instaura une trêve de trois ans avec la Castille et la restitution de plusieurs territoires. À ces villages s’ajoute un cas tout à fait particulier : celui du Couto Misto. Il s’agissait d’un petit ensemble territorial partagé entre le Portugal et l’Espagne, doté d’un statut unique. Couto Misto (en galicien : Couto Mixto, en espagnol : Coto Mixto) était situé au nord du massif du Larouco, dans le bassin intermédiaire du fleuve Salas, en Galice, dans l’actuelle province d’Ourense, à la frontière de la commune portugaise de Montalegre. D’une superficie d’à peine 27 km², il fut, dès la période de la Reconquête, indépendant des royaumes voisins du Portugal et d’Espagne. Trois villages : Santiago, Rubiàs et Meaus, formèrent cette entité indépendante entre le Xe et le XIXᵉ siècle. Sur le plan politique, Couto Misto fonctionnait selon un principe de démocratie directe. Le pouvoir était exercé par trois juges élus par les habitants, un par village. Ce mode de gouvernance est d’autant plus surprenant à une époque où l’autorité absolue des seigneurs, nobles ou monarques, s’exerçait généralement par la force, la loi ou la religion. Le territoire prospéra notamment grâce à la contrebande, facilitée par sa position stratégique entre les deux royaumes ibériques. Les habitants bénéficiaient de nombreux privilèges : exemption de taxes et d’impôts, droit de porter des armes, possibilité de choisir leur nationalité : portugaise, espagnole ou mixte, exemption du service militaire, droit d’asile pour les criminels non coupables de crimes de sang, et liberté totale de circulation sur leur route, sans péage. Le choix de la nationalité se matérialisait symboliquement par les lettres «P», «E» ou «X» gravées sur les maisons, certaines visibles encore aujourd’hui. «X» sur le mur signifiant qu’ils optaient pour la nationalité mixte, en cas de crime, ils seraient jugés par les trois juges de Couto, «P» pour ceux qui ont choisi la nationalité portugaise, un «E» pour ceux qui ont choisi la nationalité espagnole. La religion pratiquée était le catholicisme. Une seule paroisse existait, celle de Santiago, liée au passage d’un itinéraire du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. L’église abritait également l’«arche de la loi», conservée dans la crypte et protégée par trois clés, une par village. On y conservait les lois, les procès-verbaux des délibérations et les documents officiels de cette singulière république. Cette situation exceptionnelle prit fin avec le traité des limites de Lisboa, signé le 29 septembre 1864, qui mit définitivement un terme à l’existence du Couto Misto. Son annexion formelle au territoire espagnol eut lieu le 23 juin 1868. Ces petites spécificités territoriales ont progressivement basculé vers une appartenance espagnole. Une façon d’équilibrer ce qui a appartenu au Portugal et qui devait revenir à l’Espagne grâce au traité de Tordesillas ? Parmi les héritages encore vivants de ces singularités figure la langue mirandaise. À ce titre, il convient de saluer l’initiative récente de la municipalité de Miranda do Douro, qui a décidé d’investir environ 90.000 euros pour transformer le Centre culturel de Sendim, ancienne école primaire, en «Scuola d’Amadeu Ferreira». Cet espace sera dédié à la promotion de la langue et de la culture mirandaises. Pour la famille d’Amadeu Ferreira, ce projet constitue une reconnaissance de l’œuvre menée pendant des décennies par leur ancêtre en faveur de la préservation de cette identité linguistique unique. Si les frontières du Portugal figurent parmi les plus anciennes et les plus stables d’Europe, leur histoire révèle néanmoins une réalité plus nuancée. Derrière cette apparente immuabilité se cachent des ajustements territoriaux, des enclaves singulières et des expériences politiques uniques, comme celle du Couto Misto. Ces particularités rappellent que les frontières ne sont pas seulement des lignes sur une carte, mais aussi le reflet d’histoires humaines, culturelles et linguistiques complexes, dont certaines continuent encore aujourd’hui à façonner l’identité des régions frontalières.