L’image des Portugais de France en 1972 : l’exemple de Pérenchies

LusoJornal était présent à la Journée de l’Europe, le 9 mai, au Complexe Culturel de l’Horloge, à Pérenchies (lire ICI), la Communauté portugaise tenant un stand animé par le Football Club des Portugais de Pérenchies.

Nous avons eu l’occasion d’échanger avec Philippe Jourdan, Président de l’association historique «Si Pérenchies m‘était contée…». Petite anecdote : la confrérie qui fait partie de cette association a comme décor vestimentaire les couleurs rouge et vert, couleurs du drapeau portugais. Ce sont les couleurs des Armoiries de la ville, un héritage des anciens seigneurs de ces terres.

La Communauté portugaise est présente dans la ville dès le début de la grande vague d’immigration portugaise des années 1960, une grande partie travaillant pour l’usine de textile Agache, principal employeur de la ville, et qui a été la plus importante entreprise française de filature de lin, en y employant 2.000 ouvriers, l’activité a cessé en 1990.

En 1972, 15% des ouvriers de l’usine étaient portugais. Les 163 ouvriers lusitaniens représentaient 65% des ouvriers étrangers de l’établissement.

Notons qu’actuellement une Maire-Adjointe de la ville est d’origine portugaise, Emília de Sousa epouse Balbo, Fernanda Rodrigues étant Conseillère municipale.

Philippe Jourdan, avec son association, est dans une période de classement et recherche d’informations sur le thème de la fête sur la ville. Il est tombé, presque par hasard, sur un rapport que nous transcrivons ci-dessous.

Philippe Jourdan nous dit : «Ce rapport daté de 1972 a été retrouvé dans de nombreux documents sur les Ets Agache en notre possession. Il n’avait pas été dépouillé. On n’en connaît pas son rédacteur. Il a pu être réalisé à destination des services sociaux de l’entreprise».

Il est évident qu’il faut voir le rapport en relation avec le contexte de l’époque. Cet écrit nous permet d’avoir une image de la situation des Portugais de France, l’image que la Communauté transmettait et tout spécialement celle habitant Pérenchies en 1972 et de la comparer au moment présent et ainsi voir l’évolution de la Communauté portugaise vis à vis de soit même et vis à vis de la Communauté française en général.

Beaucoup a changé, peut-être beaucoup reste à faire. À vous d’en juger.

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«Pérenchies, le 21 décembre 1972. A Pérenchies, un habitant sur dix est un étranger. C’est certainement une des villes de France où la densité d’immigrants est la plus forte.

L’origine de cette immigration est assez floue et remonte à bien des années. Il semble qu’après la première guerre mondiale, les besoins de main d’œuvre étaient supérieurs aux demandes d’emploi et tout paraît avoir commencé avec nos voisins belges qui, petit à petit, se sont définitivement installés dans la commune.

Plus tard, on assista à un recrutement de la part de certaines entreprises en Italie et ce fut l’arrivée de cimentiers, maçons et ouvriers du bâtiment.

A l’image des Belges, quelques familles de travailleurs italiens se sont installées définitivement à Pérenchies et ont même opté pour la nationalité française.

A présent, il arrive de moins en moins de travailleurs italiens en raison notamment des possibilités d’emploi qu’ils trouvent dans leur pays. En revanche, l’arrivée de Portugais occupe une place prépondérante.

Beaucoup de raisons à cette immigration importante :

– D’abord, une raison permanente. Le Portugal, pays sous-développé, a toujours fourni de gros contingents à l’émigration.

– La seconde raison concerne les répercussions de la guerre d’Angola. Les jeunes Portugais abandonnent leur pays, de plus en plus nombreux, dès l’âge de 17 à 18 ans, pour éviter l’envoi outre-mer, dans les troupes de pacification.

– Enfin, à ces deux sortes d’émigration, vient se superposer une émigration politique non négligeable.

Les Français ne voient dans l’émigration qu’une main d’œuvre d’appoint et manifestent à son endroit des réflexes de défense collective. On ne peut contester l’existence d’un sentiment général de méfiance vis-à-vis des étrangers, même s’il disparaît assez vite à leur contact.

Il serait excessif de prétendre que l’accueil est, dans tous les cas, défavorable. L’expérience prouve, au contraire, que la France est un pays qui sait le mieux assimiler les immigrants, même s’il existe quand même certaines insuffisances.

La méconnaissance de notre langue reste à la base de toutes les difficultés administratives et autres. En effet, beaucoup de Portugais ne savent ni lire ni écrire. Il n’y a pas de Consulat à Lille. Il n’est que Honoraire. On n’y comprend pas, ou très peu, le Portugais et il n’y a pas d’interprète officiellement attaché. En fait, le nouvel arrivant dépend de tout un réseau de bonnes volontés et, parfois, de profiteurs.

Au travail, l’ouvrier portugais apprend l’indispensable français de base. Mais l’épouse qui reste toute la journée à la maison n’apprendra jamais notre langue. Et pourtant, c’est indispensable. Ainsi, c’est parce qu’elle ne peut s’exprimer qu’elle hésite à consulter un docteur pour un enfant malade. Si c’est vraiment nécessaire, il faut que le mari ou un compatriote s’exprimant en français l’accompagne et c’est bien souvent des heures de travail perdues. En attendant, la santé des enfants s’en ressent dangereusement.

Les contacts avec l’extérieur sont donc réduits au minimum. Les plus importants sont ceux que nouent à l’école les jeunes Portugais avec leurs camarades français. Au fond, seuls les enfants qui naîtront en France réussiront à s’intégrer parfaitement. Ces hommes et ces femmes forment une Communauté à part qui ne désire pas ou ne peut pas s’intéresser tellement à la vie de la commune. Même ceux qui, au fil des ans, ont réussi à parler notre langue, demeurent pour la plupart attachés à leur passé. Ils hésitent même à s’unir avec une Française.

Certains ont tenté de s’intégrer à la vie communale en pratiquant leur sport favori, le football, à l’U.S.P., une société sportive. Ils ont abandonné. Par contre, ils ont formé une équipe de football ne comprenant que des joueurs portugais. Cette équipe est engagée dans le championnat de la Ligue du Nord, depuis deux saisons, et se comporte très bien. Cet exemple a été suivi puisqu’à l’heure actuelle, 8 équipes portugaises sont engagées dans les différents championnats de la région. Peut-être un jour aurons-nous un championnat portugais dans le Nord.

En matière d’enseignement des langues pour travailleurs étrangers, une tentative avait été faite avec l’école communale mais les cours de français, de caractère très scolaire, rebutent généralement les étrangers de faible niveau.

D’une manière générale, les travailleurs étrangers ont très peu de chance d’acquérir ou d’améliorer leurs connaissances professionnelles chez nous car, bien souvent, ils sont employés la nuit, à des postes de manœuvres spécialisés comme cardeur ou fileur. Néanmoins, quelques travailleurs étrangers ont accédé au poste de surveillant après un certain temps de présence dans l’entreprise entre 12 et 14 mois.

A Pérenchies, les travailleurs étrangers ne connaissent pas les conditions misérables de certains de leurs compatriotes logés à Roubaix, Lille et Paris. L’entreprise assure aux travailleurs seuls un logement convenable et moderne. Un groupe d’H.L.M. tout entier est habité par des familles portugaises. Bien sûr, cette vie de groupe se répercute aussi sur leur façon d’agir. Ils ont leur monde à eux et le reste les laisse indifférents.

A travail égal, le salaire de ces étrangers est égal. Au dire même de certaines personnes, les étrangers, de par leur travail de nuit, ont souvent de meilleurs salaires que les Français.

Pour le renouvellement de leur Carte de séjour, la municipalité de Pérenchies leur a facilité la tâche en suppléant le Commissariat de Lomme sous forme de permanences.

D’une manière générale, ces étrangers sont bien admis par la population locale».

Nous répétons qu’il y a lieu de situer le rapport, que vous venez de lire, dans le temps et dans le contexte de l’époque. Les contingents d’immigration portugaise vers la France venaient tout juste d’attendre les apogées annuels d’arrivés (1969, 1970, 1971). C’est toujours délicat de prendre un cas et de généraliser, toutefois cela fait partie des histoires, cela fait partie de l’Histoire, l’histoire qui est en mouvement, qui s’enrichit et qui s’écrit.

Que du chemin parcouru depuis 1972. Non ?