Lusa | Paulo Novais

Opinion : 18 août, premier jour au Portugal


Je suis un privilégié. Je suis à l’hôtel. Enfermé, mais à l’hôtel. Je passe d’une chaîne à une autre. Celles de la télé transmettent presque toutes les mêmes images, même si les lieux sont différents. Quelques-unes à 5, 6 kilomètres, à vol d’oiseau, depuis mon lieu forcé de ‘villégiature’.

La nuit s’écoule, le sommeil n’est pas là, entre la fenêtre et le lit, un mètre. Je voulais me convaincre de ne pas écrire, résister, mais ce n’est pas possible, c’est plus fort que moi.

Dans l’hôtel, je me sens en prison, car là où je devais aller, le drame se vit, j’envoie des messages, je reçois des messages. Les routes sont coupées, le village entouré de flammes, le drame est là, il approche. Que faire ? Que puis-je faire ? Il y a des feux, il y a le feu proche du village, le feu a commencé ailleurs, depuis 10 jours. Les «soldats de la paix», quand ils sont là, ils font le maximum pour protéger les villages et les personnes, mais il n’est pas possible de tout défendre, de tout attaquer à la fois. Ils attendent le feu avant de l’attaquer pour défendre les villages et les villageois. Le plus souvent ce sont les villageois qui s’arment de sceaux et du petit tuyau pour mouiller les alentours des maisons, les murs, les toits, un combat inégal.

Je suis un privilégié, je suis à l’hôtel. De la fenêtre au 5ème étage, j’ouvre le rideau et je regarde au loin, un nouveau feu qui débute et qui s’éteint. La population a dû intervenir.

La nuit avançant, je n’ose plus poser la question à la famille au village de «comment ça va?» Et pourtant, probablement ils ne doivent pas dormir, surveillant, j’imagine, avec des armes à la main : un simple tuyau, une branche d’arbre feuillu pour essayer de piétiner ce qui risque de les massacrer. On se sent inutile. Je me sens inutile.

Je suis à l’hôtel. De là-bas, on me dit : «restes-y, tu ne peux pas passer, les routes sont coupées». De France, les enfants m’ont envoyé, jusqu’à une certaine heure de la nuit, l’évolution sur la carte du feu qui est actualisée toutes les 5 minutes.

Hier j’ai atterri à Porto, ce matin, en rejoignant ma région, j’ai visité un ami. Pendant les 15 derniers kilomètres à l’approche du village, beaucoup de gens aux portes… j’ai compris qu’ils attendaient l’arrivée au village… que c’était là qu’il allait être enterré le «soldat de la paix» mort alors qu’il allait au combat, un Pompier parmi 3.000 qui combattent le feu depuis 3 semaines au Portugal.

Les responsables politiques du pays étaient présents aux funérailles.

Le Portugal comme l’Espagne, la Grèce et d’autres pays, sont en guerre contre l’ennemi commun : le feu.

On s’est réjoui, je me suis réjoui. L’automne et l’hiver au Portugal ont été pluvieux, les barrages sont remplis, toutefois cette humidité a créé beaucoup d’herbe qui, séchant, devient un combustible pour l’ennemi : le feu.

Je suis un privilégié… je suis à l’hôtel.

Après avoir mangé avec mon ami, j’ai été le reconduire chez lui… la fumée rendait le jour encore plus sombre, le feu n’était pas loin. Avant d’étendre la télévision et de m’allonger, cherchant le sommeil, on a vu des images de là où j’étais. Après être descendue, une partie des habitants du haut du village a été confinée un peu plus bas, dans une salle publique.

Dans la ville où je dors tout le jour s’est fait nuit, la fumée cachant le soleil.

Tout à l’heure encore dehors, en scrutant, en photographiant un horizon qui n’en est pas, la fumée le limitant, les larmes ont coulé. Mais de quel droit ? À la télévision, en parlant avec les gens, on sent de la résignation et pourtant, ils ont, parfois, perdu en 5 minutes ce qu’ils ont construit pendant une vie. Recommencer ? Replanter ? La solidarité aidant, il y en a qui disent qu’il faut bien reconstruire un avenir… les plus vieux, beaucoup, abandonnent le combat… plus le temps de rebâtir, quelques-uns ont déjà vécu les feux de 2013, de 2017 et maintenant de 2025…

La lutte est encore là. L’ennemi ne semble pas vouloir de trêve, signer la paix… Que se passera-t-il demain quand les pluies arriveront et que la végétation n’est plus là pour absorber, pour canaliser, pour éviter le ruissellement ?

Je suis un privilégié. J’écris, mais pourquoi ? Il y a déjà tant qui a été écrit sur le sujet ! Ce sont des anonymes de ce pays qui souffrent, qui ont le droit, qui devraient en avoir. Je ne les représente pas, mais ils sont nombreux, le pays a 10 millions d’habitants.

Quels mots pour soigner l’après feu ? Quels mots pour soulager les maux ?

Le sommeil n’a pas été le compagnon de la nuit… une, deux, trois heures… Que se passe-t-il au-delà de la montagne ? Au village ?

Les lieux évoqués ont un nom, toutefois, ce qui s’y passe, est à l’image de dizaines, de centaines de lieux ces jours-ci au Portugal.

Il y a l’humain, il y a la nature, il y a les animaux… Une pensée particulière pour les abeilles. Des milliers de ruches ont été détruites, les abeilles, sources de pollinisation, font partie prépondérante de notre avenir, bonté au travail sans relâche, source propagatrice de la beauté.

Je suis un privilégié, mais j’ai mal pour le Portugal, pour ceux qui souffrent.

Merci aux pompiers, aux gendarmes, merci à tous les courageux anonymes, à ce peuple qui a toujours réussi à rebondir malgré les souffrances qui, pour l’instant, son là.

Combien de temps pour guérir la plaie. Pourra-t-elle être guérie ?