LusoJornal | LSG

Roncq: À 103 ans, Maria dos Santos s’en est allée

Il y a eu des jours, il y a eu des nuits. Il y a eu des hauts et il y a eu des bas. Il y a eu une vie, celle de Maria dos Santos, veuve de Manuel Bernardo… beaucoup restera de ses 103 ans de passage sur notre terre. Une vie sans histoire pour Wikipédia, mais avec ô combien d’histoires ! De nos histoires communes… c’est comme un peu de nous qui part, de nos vaillants et courageux parents qui ont traversé frontières pour construire une meilleure vie, construire la vie des enfants, construire le Portugal, donner du travail à ceux restés là-bas… à Fundão ou ailleurs.

Maria dos Santos est partie ce vendredi 7 février, laissant derrière elle ses quatre Marias, ses filles : Maria Lucinda, Maria Manuela, Maria Carmen et Maria Conception, mais aussi 10 petits-enfants et 14 arrière-petits-enfants.

La voir partir, c’est un peu de notre histoire qui part, elle qui a travaillé avec les nôtres à l’usine de plastique Silvallac, à Roncq.

Alors qu’elle venait d’avoir 100 ans, nous l’avons interviewée (voir ICI), entourée de deux de ses filles, elle nous a étonné par sa vivacité et lucidité !

Maria dos Santos est partie dans la discrétion, comme en générale beaucoup d’entre nous, les Portugais de France, alors que – oh coïncidence – son interview pour LusoJornal est diffusée le 10 janvier 2022… nous rentrions de Gisors, après avoir assisté à l’Adieu à Linda de Suza, à l’église, au cimetière, enterrée sous terre partant pour là-haut (voir ICI). Linda de Suza est partie dans une certaine discrétion médiatique, mais une chanteuse, une personnalité ô combien importante pour l’immigration portugaise… elle est devenue en 1978 avec «Um Português», la partie visible de l’iceberg, permettant à la France, de s’apercevoir qu’elle avait dans son sol, un million de portugais.

Maria dos Santos n’est rentrée à l’hôpital que pour l’adieu, restant chez elle jusqu’à presque la fin, la famille s’organisant pour lui ramener à manger, l’entourant, passant du temps avec elle, la sortant voir les magasins…

Cela nous fait rappeler une autre de nos interviews, celle de Fiona Lauriol, qui contactait par la maison de retraite, annonçant la fin prochaine de sa grand-mère, décide d’aller la chercher et de l’emmener voyager… un voyage, une vie, prolongée de trois ans, dans le sud de la France, Italie, Espagne, Portugal. Depuis, le voyage dans le camping-car se prolonge. Après la France, pendant plus d’un an, pour alerter tous et partout, jusqu’au plus haut niveau, de combien il est important de s’occuper des personnes du quatrième âge, a continué et cela, depuis à parcourir l’Europe, l’Afrique pour alerter, sensibiliser, appeler à légiférer.

Malgré la disparition de grand-mère, «101 ans, Mémé part en vadrouille» continue de vivre (lire ICI).

À la recherche d’une meilleure vie, le mari de Maria dos Santos l’a précédé, d’un an. Parti clandestinement à Noël, destination la Corrèze, à l’âge de 44 ans, pour travailler en tant que grutier dans une scierie. Malheureusement, 6 mois après son arrivée en France, un tronc de plusieurs tonnes de bois lui tombe dessus, un drame familial, la perte d’un père, d’un mari.

Se sentant seule, Maria dos Santos décide de rejoindre sa sœur à Roncq, dans le département du Nord, un an après son arrivée en France.

À Roncq, Maria dos Santos, devient manutentionnaire à l’usine de plastique Silvallac, la maison où la famille viendra habiter est juste à côté de son travail et est louée par l’usine.

Pas évident de travailler et d’élever 4 filles quand on est toute seule. Très tôt, les quatre Marias se prennent en charge, s’entraidant pour soulager leur mère dans certaines tâches ménagères.

Maria dos Santos habitait chez elle, dans une maison acquise en 1988… elle a toujours espéré «y finir» comme elle le disait, entretenant des bonnes relations avec ses voisins, s’occupant de son jardin jusqu’à l’âge de 99 ans.

Très croyante, chaque fois qu’elle allait au Portugal, une visite au Sanctuaire de Fátima s’imposait, elle a par ailleurs été 3 fois à Lourdes et à l’âge de 86 ans, une des filles l’a emmenée à Rome où elle a vu le Pape.

Une vie qui, au départ n’a pas été facile, comme nous disait Carmen lors des 100 ans de sa maman : «On a dû tout savoir faire, même réparer le vélo, étant donné qu’il n’y avait aucun homme dans la famille, ni père, ni frère, on a, jeunes, appris à s’occuper de la maison… Les années sont passées et là, pour les 100 ans de notre maman, Monsieur le Maire de Roncq est venu la visiter, il a été étonné de la voir encore chez elle toute seule. Évidemment à l’âge de notre maman, c’est un peu normal d’avoir quelques plaintes, toutefois quand on lui propose de sortir, elle fait encore l’effort de venir, elle dit que cela lui fait passer le temps et voir autre chose. Sortir c’est une des choses qui la maintient encore en bonne forme. Maman est une couche tard, mais une lève tard aussi, parfois c’est sa voisine qui vient la réveiller pour papoter, elles se racontent mutuellement leurs petites misères».

Le grand plaisir de Maria dos Santos c’était de réunir la famille. C’est chose faite, par exemple, pour ses 90 ans, ils étaient plus de 50 personnes, pour les 100 ans, une grande réunion a eu lieu, un moment de retrouvailles autour de la plus âgée d’entre eux.

Nous sommes arrivés chez Maria dos Santos à 14h45, lors de l’interview. Deux de ses filles, Carmen et Conceição, nous ont conduit à la cuisine où leur maman mangeait, elle avait bon appétit, manger c’était, un des plaisirs de sa journée, moment presque aussi sacré que, le soir venu, prier Notre Dame de Fátima.

Souriante et taquine, Maria dos Santos, était bien l’exemple, le portrait, de cette première génération d’immigrés portugais, une vie avec des difficultés, des obstacles qu’elle a su traverser, grâce, entre autres, à l’union sacrée de toute la famille, qui a continuée à la choyer jusqu’à la fin.

Il était 20 heures, ce samedi 8 février, quand nous recevions le faire-part par message. Nous venions d’écouter de la musique portugaise. Dans la playlist il y avait ‘Pedra Filosofal’ de Manuel Freire, ‘Menina dos olhos d’água’ de Pedro Barroso et ‘Chuva’ de Jorge Fernando…

.

“As coisas vulgares que há na vida não deixam saudade

Só as lembranças que doem ou fazem sorrir

Há gente que fica na história da história da gente

E outras de quem nem o nome lembramos ouvir

São emoções que dão vida à saudade que trago

Aquelas que tive contigo e acabei por perder

Há dias que marcam a alma e a vida da gente

E aquele em que tu me deixaste não posso esquecer

A chuva molhava-me o rosto gelado e cansado

As ruas que a cidade tinha, já eu percorrera

Meu choro de moço perdido gritava à cidade

Que o fogo do amor sob a chuva, há instantes morrera

A chuva ouviu e calou meu segredo à cidade

E eis que ela bate no vidro trazendo a saudade”

.

Le poème de Fernando Pessoa sur la ‘Chuva’ (pluie) commence ainsi :

Chove. Há silêncio, porque a mesma chuva

Não faz ruído senão com sossego.

Chove. O céu dorme. Quando a alma é viúva

Do que não sabe…

.

Un peu de nous, peut-être de vous, s’en est allé avec Maria dos Santos, probablement une des Portugaises les plus âgées de France.

La cérémonie d’Adieu aura lieu jeudi prochain, à 10h15, en l’église Saint Piat de Roncq-Centre.