José Victor Moreira naturalisé en 1929, dénaturalisé par Vichy en 1943: une histoire singulière

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Voici le cas de José Victor Moreira et famille. Un exemple parmi d’autres, mais significatif et qui nous permet de comprendre les rouages de la dénaturalisation et ses conséquences.

L’Histoire est faite d’histoires, parfois d’histoires personnelles (1) (2).

José (Joseph) Victor Moreira est né le 2 janvier 1879 à Santa Maria (Celorico da Beira), fils de Eduardo José Moreira e Casemira Maria Victor.

Au Portugal il a exercé le métier de serrurier. À la suite de son service dans l’Armée portugaise, il est définitivement exempté par le Conseil du 12ème Régiment d’infanterie, caserne de Trancoso, en septembre 1899.

José Victor Moreira migre vers la France en 1908, son adresse connue étant rue St Fort, à Bordeaux. Il navigue entre 1908 et 1912 pour la Compagnie Générale Transatlantique.

José Victor Moreira rejoint la ville de Marseille dès 1912. Il habitera au 8 rue Servian de la Figuière et à partir de 1917 il y vit en concubinage avec Marie Titomalio, veuve Liccioni, née à Marseille le 5 janvier 1885. Le couple aura deux enfants: Françoise, née le 4 janvier 1919 et Raymond, né le 8 mai 1920. Ce dernier s’engage dans la Marine Nationale dans la flotte basée à Toulon en 1939, lors de la II Guerre mondiale. Il en sera réformé le 25 février 1942 pour exercer, à partir de cette date-là, le métier de piqueur de sel, nettoyeur de la coque des bateaux.

José Victor Moreira finit par adopter et donner son nom à deux autres enfants que sa compagne avait eu d’une précédente union.

De 1912 jusqu’au 12 janvier 1929, José Victor Moreira navigue à partir de Marseille sur des paquebots de la Compagnie Paquet où il exerce le métier de chauffeur de paquebots. Il cesse son activité en 1938, date à laquelle il prend sa retraite.

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En 1927 José Victor Moreira entreprend des démarches pour obtenir la nationalité française. Les responsables des entreprises où il a travaillé sont questionnés. Ils répondent qu’ils sont satisfaits de ses services et comportement, la conduite étant, par ailleurs, bonne.

Des démarches administratives sont faites auprès du Portugal pour obtenir acte de naissance, mais elles n’aboutissent pas. En remplacement de cet acte, 3 témoins se présentent devant le Juge de Paix attestant sur l’honneur : «bien connaître José Victor Moreira». Le juge de Paix délivre acte de notoriété en remplacement de l’acte de naissance pour servir et valoir aux fins de naturalisation.

Le 26 janvier 1928 José Victor Moreira écrit au Ministre, demandant la naturalisation française. Le 23 mai 1928 le Percepteur signe un certificat de non-imposition. Le 6 décembre 1928 la Préfecture des Bouches-du-Rhône demande un casier judiciaire. Le Sous-Préfet chargé du casier central à Paris répond en date du 11 décembre 1928 que rien ne figure au casier judiciaire. Le Préfet du Rhône, le 30 décembre 1928 écrit et signe que la naturalisation peut, à son avis, lui être accordée avec en sus un abattement de 9/10 sur les droits de sceau. En date du 12 janvier 1929, la ville de Marseille donne également un avis motivé concernant la naturalisation de José Victor Moreira.

La naturalisation est accordée et publiée au Journal officiel du 26 juin 1929.

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La II Guerre mondiale arrive, la Loi du 22 juillet 1940 ou Loi portant révision des naturalisations obtenues depuis 1927, est promulguée par le régime de Vichy, afin d’examiner et, le cas échéant, de déchoir de leur nationalité toute personne naturalisée depuis la Loi du 10 août 1927, réformant le régime du droit de la nationalité, fortement contesté dès l’époque par l’Extrême droite française.

José Victor Moreira est accusé de prêter sa cave pour tirage de tracts, un rapport du Commissaire du Gouvernement a été établi par le Tribunal Militaire en date du 19 juin 1942. Ce rapport a été établi selon des dires des voisins qui auraient entendu du bruit venant pendant la nuit de la cave, ce que José Victor Moreira ne pouvait pas ignorer.

On reproche à la famille et notamment à sa femme, d’avoir des idées communistes.

On reproche également à José Victor Moreira, dans un rapport du Préfet des Bouches-du-Rhône, daté du 28 octobre 1942 de vivre en concubinage depuis 1917 avec Marie Timotalio, veuve Liccioni. On lui reproche également, à cette date, d’avoir obtenu la nationalité française grâce à des complicités et interventions politiques de l’époque.

Le 13 novembre 1941, José Victor Moreira est condamné par le Tribunal militaire de Marseille, à un an de prison pour activité communiste. Par décret du 24 avril 1943, publié au J.O. le 1er mai 1943, la nationalité française lui est retirée.

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Le 24 juillet 1943, José Victor Moreira remet à la Police de la ville d’Istres, 4 cartes d’électeur des années 1931, 35, 36 et 37, le décret de naturalisation, extrait livret individuel carte de combattant. José Victor Moreira déclare, par ailleurs, ne plus posséder aucune Carte d’identité indiquant sa nationalité française.

Le 23 août 1943, un courrier adressé de Istres, 4 rue de l’ancien hôtel de Ville, écrit et signé par José Victor Moreira, est envoyé au Ministre de l’Intérieur, à Vichy, sollicitant la révision de son retrait de nationalité, sous prétexte d’avoir combattu pour la France lors de la I Guerre mondiale, d’avoir été blessé 3 fois, d’avoir la carte de combattant, d’avoir 2 enfants, plus autres deux qu’il a adopté, que son fils soit engagé en 1939 auprès de la flotte à Toulon. Il continue son courrier en déclarant sur l’honneur ne jamais s’être occupé de politique et de n’avoir eu aucune condamnation.

Pour terminer, il écrira: «…me voici arrivé au seuil de ma vie et c’est avec peine que j’ai appris votre décision, je suis en plein accord avec vous, Monsieur le Ministre, que beaucoup de personnes ont abusé de notre chère France, mais moi, qui ne demandait que servir, soit touché par pareille mesure, me remplit de chagrin. Je vous demande humblement, Monsieur le Ministre, de vouloir bien revisser mon cas».

Le 25 novembre 1943 est adressé au Préfet des Bouches-du-Rhône une requête demandant que l’intéressé puisse fournir justificatif pour faits de guerre.

Le 2 février 1944, José Victor Moreira sollicite à nouveau la révision gracieuse du décret du 24 avril 1943 le privant de nationalité, prétextant des services de guerre et prétendant ne jamais avoir fait de politique.

Parmi les 71 dénaturalisés d’origine portugaise, 13 ont contesté le retrait de la nationalité, un des cas étant celui de José Victor Moreira. Un seul a eu gain de cause: Eugénio Verde, né à Lisboa le 11 août 1893, familier du poète César Verde.

Du dossier de dénaturalisation de José Victor Moreira 48 pages sont numérisées. Le travail ici fourni, en résume son contenu.

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Dans l’inventaire des Archives Nationales, rubrique dénaturalisations de Vichy on peut lire :

José Victor Moreira

Naissance: 2 janvier 1879 (Celorio, Portugal).

Naturalisation: 26 juin 1929 par décret.

Dossier de naturalisation: 3559 X 29 (conservé aux Archives nationales sous la cote BB/11/11976).

Retrait de nationalité: Décret du 24 avril 1943, publié au Journal officiel du 1er mai 1943, après examen au cours de la séance n°888 du 19 novembre 1942 par la commission 1.

Résidence: Bouches-du-Rhône.

Cet individu a été intégré au corpus grâce à sa présence dans le fichier BB/27/1422-BB/27/1445 (sa fiche est conservée au sein de l’article BB/27/1436).

La numérisation de ce dossier de naturalisation a été menée dans le cadre d’une collaboration entre les Archives nationales, l’US Holocaust Memorial Museum et le Mémorial de la Shoah.

Notes

(1) https://lusojornal.com/les-portugais-de-france-au-debut-de-la-ii-guerre-mondiale-lexemple-des-denaturalises/

(2) https://lusojornal.com/un-ancien-combattant-portugais-de-la-i-guerre-mondiale-denaturalise-par-letat-francais-de-vichy/

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