La Couture : L’inauguration du monument en honneur aux soldats portugais, et les hommages à Bento Roma et à Ferreira Martins

Faisant suite à un premier article sur le Devoir de Mémoire entre le Portugal et la ville de La Couture (lire ICI), nous poursuivons l’histoire qui relie le Portugal à cette ville du Pas-de-Calais.

Le 11 novembre 1923 est une date fondatrice, date de la première pierre posée de la construction du Monument portugais en hommage aux soldats portugais qui ont participé à la I Guerre mondiale, à La Couture. Exactement 5 années après, une autre date importante : le 10 novembre 1928, le monument achevé, une grande manifestation franco-portugaise était organisée pour son inauguration.

«Le grand écho de la région du Nord» et «L’avenir de l’Artois» décrivent ainsi l’évènement : «une importante délégation des hautes autorités civiles et militaires, d’anciens combattants, de mères, était venue du Portugal et avait été reçue à Paris par M. Marin, Ministre des Pensions. Après avoir salué la tombe du Soldat inconnu, nos Alliés sont venus chez nous pour le plus pieux des pèlerinages. L’accueil qui les attendait leur prouva le sentiment de bonne fraternité de leurs camarades français. La gare de Béthune avait été pavoisée aux couleurs franco-portugaises et de nombreuses maisons de la place et du boulevard Degeorges avaient, elles aussi, été ornées de ces emblèmes. L’arrivée de nos hôtes était fixée vers 11 heures, mais bien avant l’heure s’étaient rangés : L’Union des Officiers de Réserve, présidée par M. Guerre, Lieutenant-Colonel, Directeur Général des Mines de Courrières ; la Fédération des Anciens Combattants du Pas-de-Calais ; l’Union Fraternelle des Mutilés et Anciens Combattants ; les Anciens Prisonniers de guerre ; les Médaillés Militaires ; les anciens Sous-Officiers ; l’Association Amicale des Mutilés ; les Groupements d’éducation physique et de préparation militaire. La grande Harmonie des Mines de Courrières, comptant 150 exécutants, prêtait son concours pour rendre honneur».

De nombreuses personnalités de la région attendaient la délégation portugaise à la gare: le Maire de Béthune et de nombreux Conseillers municipaux, le Sous-Préfet dont c’était le dernier jour de fonction à Béthune, le Député, ainsi que divers responsables militaires. Notons que de nombreux groupements portugais d’entraide étaient également présents, ceux d’Albert, Hénin-Liétard, Vimy, Neuve-Chapelle.

Du train arrivé de Paris descendit M. Jacobsen, Chef du Cabinet de M. Marin, Ministre des Pensions, accompagné de M. Peytral, Préfet. Après un repas officiel, le cortège s’organise et, bientôt, une longue file d’autos et d’autobus prend la direction de La Couture.

Les journalistes suivent et poursuivent en décrivant la suite des cérémonies : «une foule nombreuse attendait, à l’entrée de la commune, les autorités portugaises et françaises… de tous les points du département sont venus des portugais qui se pressent au pied du monument élevé à leurs compatriotes. Le cortège se rend aussitôt devant le tertre sacré. Le voile tombe, l’hymne national portugais retentit, joué par l’Harmonie de Courrières, et aussitôt suivi de la Marseillaise. L’admiration est générale, et c’est avec raison que l’on félicite M. Teixeira Lopes, auteur de cette œuvre d’art magnifique. M. le Chanoine Pruvot, Archiprêtre de Béthune, assisté de M. L’Abbé Blondiaux curé de La Couture, bénit le monument autour duquel sont groupés près de cinquante drapeaux. Des gerbes sont déposées. M. le Commandant de Marine Cerqueira remit, en quelques mots émus, le monument à la commune de La Couture. M. Sarazin, Maire, affirme que la population sera dépositaire, fidèle et respectueuse de ce Mémorial. Il rappelle l’héroïsme de l’Armée portugaise et félicite le maître Teixeira Lopes, auteur du monument. M. le Général Craveiro Lopes (*), le Colonel Aures, prennent ensuite la parole pour exprimer au nom de leur Nation leur gratitude envers le Portugal.

Mme Morais Sacramento, veuve d’officier, femme de lettres, déclare que ce monument restera comme un gage d’amour pour la France que le Portugal a signé de son sang. Melle Lopes de Almeida, avec beaucoup d’expression, dit une ode intitulée: ‘Les fruits mûrs de la paix’.

S’exprima par la suite M. Emile Meaux, Avocat à la Cour d’Appel de Paris, Délégué de la ‘Croix de Feux de France’ : ‘Nous sommes ici, au pied de ce monument, pour nous, souvenir… nous souvenir de cette lutte impitoyable où nous avons produit le maximum de nos efforts, unis dans cette lutte à l’élite morale de la vaillante nation portugaise. Nous souvenir de ce que nous croyions ensemble. Nous souvenir de ce que nous voulions ensemble. Nous souvenir de ce que nous espérions ensemble. Un à un, des hommes ont disparu. Ils tombèrent un à un, et de toute cette foule, il ne reste que quelques-uns, pas beaucoup… Ce sont vos amis, les derniers, les seules. Ils sont ici, et nous les saluons… voyez-vous, nos meilleurs amis, les plus sûrs, les plus consolants, sont encore nos morts, que nous les revoyons fixés dans leur grimace de cadavre ou souriants de leur visage de vingt ans, tels que nous les avons quittés au grand soir des adieux… Nous vous aimions, vous qui en mars 1916, avez conçu le projet d’augmenter encore la gloire de votre pays, dignes héritiers des Vasco de Gama, des Pedro Álvares Cabral. Nous vous aimions, vous qui avez versé héroïquement votre sang dans nos plaines de l’Artois pour la défense du droit, comme jadis au Moyen Âge les Chevaliers Français étaient venus verser le leur sur les rives du Tage et du Douro, pour la civilisation chrétienne. Vous avez sacrifié tout ce que vous possédiez dans l’espoir d’épargner au monde une catastrophe et d’apporter à tous un mieux-être. Mis soudain dans l’obligation de vous surpasser, de devenir surhumains, vous que rien n’avait préparés à cette tâche, parvenant à vous oublier pour ne plus penser qu’au devoir, à la vie, à la liberté des autres, en faisant bon marché de votre propre intérêt, de votre propre souffrance, de votre vie. N’est-ce pas de la beauté ? Voilà pourquoi nous avons voulu vous accompagner pour joindre notre hommage à celui que vous avez voulu leur apporter ici… C’est un exemple de leçon que nous sommes venus chercher près de vous, dont le sang s’est généreusement mêlé au nôtre pour que nous, les survivants, gardions le souvenir fraternel qui, dans la paix, doit continuer à nous unir. Camarades portugais, que cette minute de fraternisation se prolonge et solidifie les liens qui nous uniront désormais à la vaillante nation portugaise’. M. Fernand Vincent, représentant des Anciens Combattants Français résidant au Portugal, et M. Gruson, Président des Anciens Combattants de La Couture, apportent à leurs frères d’armes portugais morts au champ d’honneur, l’hommage de leur pieuse reconnaissance».

Du discours du Commandant de Marine Cerqueira lors de l’inauguration du monument, nous retenons qu’il «remit, en quelques mots émus, le monument à la commune de La Couture». La Couture devient, ainsi, dépositaire et responsable du monument.

Faisons un saut dans l’histoire. Dans le compte-rendu de la même séance du 15 avril 1951 du Conseil municipal, nous lisons : «à l’occasion du 33ème anniversaire de la Bataille de La Lys, le Conseil municipal de La Couture dans son unanimité et en témoignage de gratitude, décerne le titre de Citoyen d’Honneur de la commune de La Couture à : 1. Monsieur le Général Ferreira Martins, ancien Chef d’État-Major du Corps Expéditionnaire Portugais qui a participé à la bataille victorieuse de la Lys en avril 1918. 2. Monsieur le Colonel Bento Roma, valeureux officier du Corps Expéditionnaire Portugais et défenseur du réduit de La Couture. La décision est confirmée par décret ministériel le 11 octobre 1951.

En avril 1953, afin d’assister au 35ème anniversaire de la Bataille de La Lys, le général Ferreira Martins et le Colonel Bento Roma sont accueillis à la gare de Lille par le Consul du Portugal à Arras, Louis Lantoine. Le Colonel Bento Roma meurt cette même année, le 23 décembre.

Le 1er février 1959, le Conseil Municipal de La Couture, à l’occasion du 41ème anniversaire de la Bataille de la Lys, décide, à l’unanimité et en témoignage de gratitude, de donner : à la rue de l’Eglise, le nom du Colonel Bento Roma, citoyen d’honneur de la commune de La Couture, officier du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) et défenseur du réduit de La Couture, et changer le nom de la rue du Rietz en rue Général Ferreira-Martins, citoyen d’honneur de la commune de La Couture, ancien Chef d’État-Major du Corps Expéditionnaire Portugais, qui a participé à la bataille victorieuse de la Lys en avril 1918.

Le Colonel Bento Roma a quitté ce monde en 1953. Le général Ferreira Martins a remercié la commune de La Couture de cet honneur, mais a refusé d’avoir une rue à son nom.

Signalons le fait que c’est le général Ferreira Martins qui inaugure le boulevard du Portugal, le 7 avril 1956, à la Gorgue.

Au Portugal plusieurs rues portent le nom du général, notamment à Lisboa, sa ville de naissance, à Oeiras et à Algés…

L’histoire entre le Portugal et La Couture continue. Là se tiendra une des parties des cérémonies en l’honneur du CEP, le 12 avril prochain.

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(*) Il sera le 12ème Président de la République portugaise pendant exactement 7 ans, entre le 9 août 1951 et le 9 août 1958. Il a fini par être lié à l’opposition au régime, un homme prêt à remplacer Salazar. En 1958, Craveiro Lopes voulait un second mandat, Humberto Delgado disait même qu’il ne se présenterait pas si Craveiro Lopes le faisait. L’Union nationale a cependant choisi Américo Tomás. Craveiro Lopes est éliminé.