LusoJornal / António Marrucho

Opinion: L’autre Portugal – le Portugal qui se meurt, le Portugal qui résiste (3)

Ils s’appellent Maria Delfina, Maria dos Anjos, Glória Ivo, Manuel Mateus et le seul couple Rosa dos Anjos et José Francisco. Et oui, plus que 6 habitants dans ce village de l’intérieur du Portugal, six gardiens de ce temple qui se meurt, qui résiste (?).

L’agriculture, l’exploitation de la forêt, de la résine, étaient les ressources qui faisaient vivre familles et villages. L’émigration vers les centres urbains, vers l’étranger, commence à affaiblir toute la région dans les années 1960, à quoi est venu s’ajouter le drame provoqué par le terrorisme à la portugaise: les feux.

Il y a de cela 15 ans un feu a tout détruit. On a parlé de ce village le 6 août dernier, un feu qui a débuté à 13h58, aux alentours de Janeiro de Cima et Bogas de Baixo, a été dompté avant d’atteindre le village des 6 habitants.

La route est là, elle a fini par arriver avec les éoliennes qui peuplent l’horizon. Malheureusement la route est arrivée trop tard pour permettre de maintenir la population.

Est-il encore possible d’arrêter le déclin, la mort à rythme accéléré de ces dernières années, de ce village?

Enterrer ses morts était une corvée. La population devant amener le cercueil par des chemins difficiles, a fini par construire un cimetière dans le village. Cimetière qui va devenir trop grand pour enterrer les siens, le village se dépeuple. Toutefois, sur les 25 tombes qui compte ce lieu de la dernière demeure, presque une dizaine sont récentes. On meurt parfois loin, quelques-uns demandent aux siens de les conduire au haut du village de naissance afin de peupler le cimetière. Une manière de prolonger la vie du village, d’inciter une à deux visites par an: à la Toussaint et en été?

Les abords de la petite chapelle colorée sont encore bien entretenus, une messe venait de s’y réaliser. Messe qui a réuni une famille, qu’il y a bien peu, a perdu un des siens.

Ceux qu’on aimait, ceux qu’on visitait partant, comment attirer au village tous ceux qui sont devenus des urbains?

Les maisons tombent en ruine, les portes s’entrouvrent, les toits en bon état deviennent des exceptions.

Il y a de cela encore une année, une horde de chiens nous accueillait à l’entrée du village, plus le cas, en cette fin d’été 2020. Les belles fontaines ne coulent plus, des ronces commencent à pousser autour du four communal, le lavoir individuel et collectif n’est plus que le témoin d’un passé, les roues de la charrue de bœufs s’entourent de végétation, un ancien bidon à résine rouille.

Il y a de cela peu d’années, nous avons été ravitaillés lors de notre visite des lieux, à la Jeropiga. Ti José André a perdu sa femme, lui, il est dans une maison de retraite, le banc à l’extérieur de sa maison, faute de jouer son rôle, se meurt lui aussi.

Les 6 derniers habitants du village sont âgés, l’un d’eux nous demande des nouvelles de Ti Deolinda, âgée de 92 ans, du village d’à côté. Ce n’était plus une nouvelle, mais elle n’était pas arrivée, malgré la courte distance de 7 kilomètres. Nous leur avons appris que Deolinda venait de dire son dernier aurevoir, rejoignant son mari Abel, dans sa dernière demeure à Bogas de Cima.

Une des gardiennes du village venait de rentrer, la veille, de l’hôpital distant de 50 kilomètres, Covilhã, à la suite d’une opération à la thyroïde. Nous l’avons accompagnée lors de sa première visite, après l’intervention, jusqu’à ses chèvres. Chèvres qui lui fournissent le lait, le fromage et qui lui servent, d’une certaine façon, de compagnie.

La compagnie des 6 habitants on la trouve dans la quarantaine de lampes qui peuplent le village et la route qui le traverse. Un record? Voilà, d’une certaine façon, le remerciement aux rares habitants, d’avoir accepté la présence des éoliennes pas loin.

 

Petit village qui se meurt, qui résiste?

En 2005 on y inaugure un «Centro de convívio»… quinze ans plus tard on compte le nombre d’électeurs sur une main, plus un. Verra-t-on un jour un Maire, un Adjoint visiter ce village, non encore fantôme?

Malgré les ruines, le village a des attraits: son bon air, ses merveilleux paysages, ses maisons typiques, dont une presque complètement ronde (un peu moins complète que celle, unique, de la Péninsule Ibérique, de Bogas de Cima). Sur Google-maps le village est présent, comme présent est Casal de Santa Margarida, avec ses zéro habitants, à côté de Telhado, dont un investisseur a promis, il y a de cela déjà quelques années, d’acheter pour le transformer en village d’accueil pour touristes désireux de retrouver une certaine authenticité.

Le Covid-19 a fait déplacer vers l’intérieur, plus de touristes nationaux que d’habitude. Est-ce là une des chances à saisir? Est-ce là l’avenir de ses villages qui se meurent?

Dimanche, 23 août, 16 personnes peuplaient le village, en plus des 6 résidents habituels: une famille constituée de 11 personnes, qui venue de France, y passait quelques jours, un couple et trois autres personnes citadines qui viennent y passer régulièrement les fins de semaine.

Voici le portrait d’un village, semblable à biens d’autres de ce Portugal de l’intérieur, loin de Porto, Lisboa et Faro.

Pour le reporter d’un jour, la distance qui séparait ce village de Descoberto, a paru trois fois plus long qu’il y a une dizaine d’années, le portable indiquant toutefois 12 mille pas, une partie foulée par une pente à 10%.

 

De quel village parlons-nous?

Le nom est… et restera: Ladeira. Un village situé à la limite de trois cantons: Fundão, Oleiros et Sertã.

Il est 20h00 quand nous arrivons à Descoberto. Si loin, si près. Revenons-nous à la civilisation?

Nous avons le choix de suivre le match PSG-Bayern, en portugais, au café du village, ou en français, en famille. Nous avons fait le deuxième choix.

Chronique écrite dans la nuit du 23 au 24 août à la lueur de l’éclairage public, avec comme fond le chant des cigales et le vroum-vroum, à peine perceptible, des éoliennes, moment choisi et qui inspire, aussi, les chiens du village pour leurs communications nocturnes. Moment privilégié pour nous, à l’opposé, de l’adieu à Deolinda.

Il est deux heures du matin, le dernier noctambule de village se couche.

 

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