LusoJornal / Dominique Stoenesco Home Cultura «Guitare de la Liberté» avec Francisco Fanhais pour commencer à commémorer Avril à St Germain-en-LayeDominique Stoenesco·20 Fevereiro, 2019Cultura «Cortaram as asas / ao rouxinol» – Ils ont coupé les ailes du rossignol -, c’est par cette métaphore poétique tirée de «Cantilena», poème de Sebastião da Gama, que Francisco Fanhais a entamé, mercredi dernier, son tour de chant devant les nombreux élèves et professeurs de la Section Portugaise du Lycée International de Saint Germain-en-Laye. Ce concert, intitulé «Guitare de la Liberté», avait lieu dans le cadre des commémorations du 45ème anniversaire de la Révolution du 25 avril 1974, dont Francisco Fanhais, à travers la chanson, fut l’un des promoteurs, en compagnie de José Afonso, Luís Cília, José Mário Branco, Adriano Correia de Oliveira, Manuel Freire et d’autres. En l’absence, pour des raisons de santé, de José Carlos Janela, Directeur de la Section Portugaise du Lycée International de Saint Germain-en-Laye, c’est Luís Filipe Pedrosa, professeur d’Histoire, qui se chargea d’adresser à l’assistance les mots de bienvenue à cette rencontre qui, outre son caractère musical et culturel, revêtait également un intérêt pédagogique indéniable. Adelaide Cristóvão, Coordinatrice de l’enseignement portugais en France (Institut Camões), représentant également l’Ambassadeur du Portugal, évoquant le parcours musical et l’engagement de Francisco Fanhais dans la lutte contre la dictature au Portugal et la guerre coloniale en Afrique, dès les années 1960, a notamment rappelé la rencontre de Francisco Fanhais avec José Afonso et quelques-uns des thèmes abordés dans leurs chansons, comme la liberté ou l’émigration, avant d’ajouter: «La voix de Francisco Fanhais appartient à notre patrimoine culturel». Chanteur et aussi compositeur, Francisco Fanhais est né en 1941, à Praia do Ribatejo (Portugal). Il était étudiant, au début des années 60, lorsque l’un de ses professeurs lui montre un disque vinyle 45 tours de José Afonso. Sur une face il y avait «Menino do Bairro Negro» (Enfant du quartier noir) et sur l’autre «Os Vampiros» (Les vampires). Ce disque fut pour lui le premier contact avec la musique de José Afonso et avec ce qu’il représentait. Celui-ci ne se satisfaisait pas uniquement des chansons lyriques. Sa musique s’ancrait dans la réalité portugaise, où régnait la censure imposée par le fascisme et la PIDE, la police politique. «Nous ne rêvions pas de devenir des vedettes» dit Francisco Fanhais entre deux chansons, «nous voulions contribuer, à travers la musique, à changer les choses et les mentalités au Portugal. L’humanisme et le courage de Zeca – c’est par ce surnom affectif qu’on préférait l’appeler – m’ont donné la force nécessaire pour poursuivre dans cette voie». En 1971, Francisco Fanhais décide de venir en France, pour deux raisons principales: durant six ans il a été Prêtre; or, à cause de ses prises de position face à une Église qui soutenait le régime, il a été suspendu de ses fonctions. Par ailleurs, comme beaucoup d’autres artistes-chanteurs, il fut interdit de chanter. Arrivé en France, il retrouve ses compagnons de route, avec lesquels il continuera à chanter et à mener une action de sensibilisation au sein du mouvement associatif portugais, en dénonçant l’injustice de la guerre coloniale, responsable, entre autres, du départ de milliers de Portugais. Tout en prenant soin de contextualiser et d’expliquer le sens de chacune de ses chansons (de «Porque os outros» jusqu’à «Grândola Vila Morena», en passant par «Cantata da Paz», «Menino do Bairro Negro» ou encore «Corpo renascido») devant un public scolaire attentif et intéressé, Francisco Fanhais raconte, avec beaucoup d’émotion dans sa voix et dans son expression, quelques souvenirs de son itinéraire de chanteur engagé, marqué par la résistance à la dictature. C’est ainsi qu’il évoque les lettres qu’il envoyait à sa mère, depuis la France, et qui étaient interceptées par la PIDE. Ou bien encore cette autre lettre qu’il avait envoyée, en arrivant en France en 1971, à un ami de Strasbourg, mais dont il ne découvrira la réponse que bien après le 25 avril 1974, dans les archives de la PIDE… Un des moments les plus émouvants de ce concert a été celui où Francisco Fanhais a évoqué l’enregistrement du disque «Cantigas de Maio», et notamment de la chanson «Grândola Vila Morena», deux ans et demi avant sa diffusion à la radio portugaise par le Mouvement des Forces Armées (MFA), donnant ainsi le signal de la Révolution des Œillets. L’enregistrement de «Cantigas de Maio» eut lieu en octobre 1971, à Hérouville, commune située au nord de Paris. Pour Francisco Fanhais c’était aussi «l’occasion de gagner quelques sous afin de pouvoir survivre à Paris». Il était en compagnie de José Afonso, de José Mário Branco et de Carlos Correia. Comme en 1964 José Afonso avait déjà eu l’occasion de chanter dans la petite ville de Grândola, en Alentejo, à la manière du «cante alentejano» traditionnel, où le chant a capella et en chœur rappelle le mouvement et le bruit des pas des hommes allant et revenant des champs, les quatre compagnons ont voulu enregistrer «Grândola Vila Morena» dans le même style, imitant ainsi le bruit des pas des paysans. Malheureusement, dans les studios d’Hérouville le sol était lisse et inapproprié. Alors ils sont sortis dans un jardin où il y avait des gravillons, mais cette fois-ci c’était le bruit des voitures qui les dérangeait. Ce n’est qu’à l’aube, vers quatre heures du matin, quand le bruit de la circulation avait cessé, que les quatre compagnons musiciens, se tenant par les bras, comme des fantômes dans le froid et dans la brume, et marchant du même pas cadencé sur les gravillons d’Hérouville, ont pu enregistrer «Grândola Vila Morena», à la manière des «cantadores alentejanos»… «Et bien sûr, – ajoute Francisco Fanhais – aucun de nous ne pouvait imaginer que deux ans et demi plus tard cette chanson allait jouer un tel rôle historique». Après le concert, répondant aux questions des élèves et aux cadeaux que ceux-ci lui avaient préparés, Francisco Fanhais, d’un large sourire naturel, rempli d’émotions, avoue: «J’aime me retrouver avec des jeunes qui n’ont pas vécu le 25 Avril, mais qui écoutent mes chansons avec beaucoup d’intérêt. Cela est très gratifiant».