Bévinda, la voix libre du fado en France

La chanteuse luso-française Bévinda revisite le fado avec poésie, audace et douceur. Nous l’avons rencontré après son concert au Studio de l’Ermitage, à Paris, le mardi 17 juin.

C’est dans la chaleur feutrée du Studio de l’Ermitage que Bévinda nous reçoit après un concert vibrant d’émotion. À 63 ans, l’artiste luso-française reste une figure singulière de la scène musicale, tissant depuis trente ans un fado personnel, métissé et lumineux.

À travers ses musiques, c’est la passion d’une langue et d’un pays : «Je suis née à Fundão, no fundo do meu Fundão, comme je le chante. Mais je suis arrivée en France à l’âge de deux ans, en 1963. C’est en Bourgogne que j’ai grandi, et c’est là que je vis encore».

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De la table familiale aux scènes parisiennes

Très tôt, la musique s’invite dans sa vie. «À cinq ans, je chantais déjà. Mon père me faisait monter sur la table et je chantais du Enrico Macias», sourit-elle. Mais l’idée d’en faire un métier viendra plus tard. D’abord, elle chante dans des bals dans le Sud «qui sont une très bonne école» avant de s’installer à Paris, où elle se forme deux ans au Studio des Variétés. Elle y travaille la voix, la danse, le piano. Puis enchaîne les petits concerts dans les bars, principalement en français. Jusqu’au jour où, par hasard, elle chante un fado. Une révélation. «Quand j’ai chanté ce fado, ça a résonné en moi. Très fort. Et puis il n’y a plus eu que du portugais dans les chansons» confie-t-elle au LusoJornal.

C’est ainsi qu’en 1993 naît «Fatum», son premier album, inspiré d’un voyage au Népal, où elle était guide-accompagnatrice en haute montagne. «J’étais au bord d’une rivière, les mots sont venus. J’ai commencé à écrire».

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Le fado, langue du cœur

Chez Bévinda, le fado est un choix conscient, intime. Elle le revendique libre, hybride, influencé par ses voyages et son amour de la poésie. Si elle cite volontiers Amália Rodrigues comme référence «J’ai beaucoup écouté Amália Rodrigues, je l’écoute toujours. Ça surgit du corps, de l’âme». Elle revendique un fado revisité, nourri de jazz et d’autres musiques du monde. «Même mes musiciens ne viennent pas du fado. Je ne fais pas un fado très mélancolique. Ma musique est habitée, mais aussi vivante».

Elle évoque aussi Cidália Moreira, autre figure forte du fado. Et surtout, le lien indéfectible entre langue et émotion : «Le portugais, c’est la langue du cœur. Le français, celle de la raison. Ce sont mes deux pays, mes deux identités».

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Une saudade qui libère

Pour Bévinda, la saudade n’est pas une plainte. C’est une force douce. «C’est un sentiment paradoxal. Vous êtes au bord do Tejo, vous voulez être à la fois sur le quai… et sur le bateau. C’est la nostalgie de ce qui aurait pu être, ou qui ne sera jamais».

Ses textes parlent d’amour, de solitude, de deuil, de passion les grands thèmes universels du fado mais comme elle nous le confie «des thèmes qui font de nous une vie».

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Dix ans de silence… avant la renaissance

Après douze albums, elle fait une pause dans l’enregistrement : «Il arrive un moment où une terre est trop cultivée. Il faut la laisser en jachère». Elle devient alors professeure de chant après une formation «J’adore enseigner. On apprend beaucoup en transmettant» et laisse la création revenir naturellement.

C’est ainsi qu’un jour, à la campagne, la pluie tombe après une longue sécheresse. Une image, un mot, un accord au piano… Et tout recommence.

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Gêmeos, l’album de la mémoire

Son nouvel album, «Gêmeos», sorti après dix ans de silence discographique, naît à la suite de ça. Elle y évoque son frère jumeau, Manuel, elle a donc discuté avec sa mère pour lui écrire une chanson. «Ma mère m’a raconté beaucoup de choses sur lui. J’ai voulu lui donner une place, le faire exister à travers la musique. C’est un hommage car il le mérite».

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Une artiste en mouvement

Aujourd’hui, Bévinda explore aussi le théâtre, car il faut se réinventer. Elle joue et chante dans une pièce de Fernando Pessoa. C’est une pièce inspirée de l’œuvre de Fernando Pessoa, centrée sur la figure d’Ophélie, sa jeune fiancée. Après la mort du poète, elle se souvient de leur amour, entre mémoire, absence et poésie. 

«Quand on aime les mots, il y a toujours quelque chose à faire». C’est ainsi que Bévinda, en plus de continuer la scène, se retrouve au théâtre également.