Opinion : On nous a prêté le village


Un de moins, que les douze coups de minuit. Il est 23 heures.

Les cloches sonnent pour la dernière fois de la journée dans une nuit déjà bien entamé. Ça recommencera demain 6 heures, elles sonneront à nouveau 35 fois, un éternel recommencement.

Les cloches nous font compagnie depuis 180 minutes.

Nous sommes à l’entrée du village, pas un bruit depuis 8 heures du soir. Étonnant !

À 23h03 le silence est brisé par une voiture, elle s’éloigne du village.

Est-ce la fête religieuse à 20 kilomètres qui dépeuple provisoirement le village ? Les uns pour assister aux cérémonies religieuses, à la procession, les autres pour écouter les artistes du soir ou peut-être pour profiter de la fraîcheur qui fait suite à une journée bien chaude.

Sur la route qui conduit les saints en procession de 2 kilomètres, entre l’église du village et la chapelle, des affiches : «Attention à la cire». Les années précédentes plusieurs accidents sur la route à cause de la cire, des dérapages de contrôle difficiles. Des traces qui nous font penser à Hansel et Gretel.

La fête religieuse est en honneur de Nosso Senhor da Saúde, à Souto da Casa. L’image du Christ y est transportée couchée sur un lit.

Pendant plusieurs jours le feu a entouré le village. Le samedi, 1er jour de fête, ou plutôt 1er jour de cérémonie, le feu s’était éloigné, de quoi permettre que la tradition soit respectée.

Pour les villageois, avec quel boom au cœur ? Trouver dans l’incertitude, dans le désespoir, un peu d’espoir ?

Gardiens du temple, le village, nous y sommes restés, pas de procession et sa suite.

Dans le silence on entend les grillons. Est-ce les renards ou les hiboux qui échangent ? Peu experts, nous n’avons pas su distinguer… finalement, dans le silence, d’autres sons deviennent plus perceptibles.

Nous nous levons sans briser le silence, à 20 mètres, la véranda reçoit internet. Il nous livre une réponse.

Les pieds trainant un peu, un autre sens est alerté, reçoit le message : l’odeur de menthe sauvage, là où pendant la journée quelques abeilles butinaient – quelques-unes car le frelon asiatique, les feux, ayant fait des ravages.

Nous sommes privilégiés : sans que nous ayons prévenu, une lumière publique illumine, nous écrivons… elle aussi doit se sentir bien solitaire la nuit, éclairant, mais ne voyant personne, un comble… éclairer et ne pas voire, parfois, plusieurs nuits de suite. Il faut dire que dans le village a le double de lampes publiques par rapports au nombre habituel d’habitants. A vol d’oiseau, entre 1 et 2 kilomètres, des dizaines d’éoliennes. La lumière abondante, une récompense ? Selon la direction du vent, parfois on entend : wrom, wrom. À chaque wrom un euro d’électricité vendue.

Il y a eu des pins majestueux, il y a eu un grand feu, 23 ans écoulés, il y a eu des chemins créés, des routes macadamisées, la naissance des éoliennes.

Actuellement, sur les réseaux sociaux il y a des cartes que circulent : celles du lithium au Portugal et celles du feu.

Peut-être sommes-nous naïfs, mais nous n’y croyons pas, ce n’est pas rationnel, la rumeur est toutefois souvent impossible de taire.

On nous dit «tu verras dans quelques années».

Le téléphone portable qui nous sert d’intermédiaire entre nous et vous affiche 23h58, le samedi prêt à passer la relève au dimanche. Peut-être ira-t-on à Souto da Casa.

Ici le Portugal qui se meurt, qui essaye de résister : quelques maisons se sont construites, des piscines pour encourager la troisième génération des lusodescendants à venir au village, la dernière naissance remonte à presque quatre décennies.

Plus que deux habitants dans un des villages d’à côté.

Des riens qui créent l’histoire de cet écrit ? Peut-être… ou pas, selon la sensibilité de chacun, le vécu. S’il était encore parmi nous, de quoi suggérer à Proust d’écrire un 8ème tome de «La recherche du temps perdu».

Une petite voix nous dit «si tu as besoin, écrit»… je le partage… le silence.

Toujours le silence, pas de voitures.

Le silence continue de nous faire entendre : gris, gris.

Ici, le village qui nous a été aujourd’hui prêté alors nous sommes nous-même prêtés. Nous l’avons découvert il y a 35 ans.

Un village au centre du monde

Plus précisément en Europe, au Portugal, faisant partie de la région de Beira Baixa, district de Castelo Branco, canton de Fundão, paroisse de Bogas de Cima, lieu-dit Descoberto.

La température du jour contraste, accentue la fraîcheur nocturne.

Nous fermons la porte.

En silence.