Home Cultura Filipe Vilas-Boas : l’art à l’heure des humanités numériquesAntónio Marrucho·24 Outubro, 2025Cultura Explorateur contemporain Ne cherchez pas chez lui l’unité de forme comme un peintre serait attaché à sa toile, il s’ennuierait trop ! L’homogénéité chez Filipe Vilas-Boas est à apprécier du côté des ses idées et de ses approches qu’il développe constamment sous une forme nouvelle. L’espace public, l’espace intime, l’espace réel, l’espace imaginaire, physique ou intellectuel sont autant de dimensions que traversent l’artiste, un autodidacte qui, depuis 2008, réinvente sans cesse sa pratique artistique. . Entre le réel et le virtuel À la croisée de la culture numérique, de l’espace public, de l’écologie et de la justice sociale, Filipe Vilas-Boas est un artiste contemporain qui explore la manière dont la technologie influence notre expérience collective et individuelle. Son travail oscille entre low-tech et détournement d’intelligence artificielle, poésie et performance, robotique et musique. Il s’intéresse autant à la surveillance et à l’IA qu’à l’écologie, la migration et au langage, souvent d’une manière qui efface les frontières entre l’espace physique et l’espace virtuel. Il y a peu, la chaîne ARTE signait dans l’émission Tracks, un portrait intitulé “Filipe Vilas-Boas : le ‘virtuel’ est une nouvelle réalité” (lire ICI).. L’humour comme cheval de Troie L’humour et l’ironie jouent un rôle central dans sa pratique, lui permettant d’aborder des questions complexes – sur le pouvoir, les croyances et la technologie – avec à la fois une distance critique et une accessibilité ludique. Ses œuvres oscillent souvent entre gestes poétiques et commentaires sociaux acérés, alliant simplicité de forme et profondeur conceptuelle. Il s’intéresse particulièrement à la manière dont les systèmes numériques façonnent la société : la surcharge d’informations, l’extraction des données personnelles, les effets de l’automatisation, l’éthique des algorithmes et la tension entre connectivité et contrôle. Vilas-Boas travaille souvent dans l’espace public ou au sein de communautés, créant des œuvres qui invitent à la participation, à la réflexion et à la critique. Son art est aussi celui de faire ensemble. . Des racines portugaises, un parcours européen Originaire de Barcelos, ville symbole du célèbre Galo de Barcelos, Filipe Vilas-Boas y naît en 1981. Très jeune, il émigre avec sa famille en Corse, «l’île de beauté» dont il garde précieusement ses premiers souvenirs et un peu de cette langue toscane que son père parle encore. Fou d’écriture et de poésie dès l’adolescence, comme beaucoup d’artistes, il prêtera plus tard sa plume à la publicité pendant 15 ans après une formation en communication. Bien que déjà créatif de métier, il développera en parallèle une pratique artistique singulière. Il expose dès 2008, notamment à la FIT (Freie Internationale Tankstelle) de Berlin. En 2014, il participe à la Nuit Blanche, à Paris, avec une voûte céleste interactive à l’église Saint Eustache, puis à sa première exposition personnelle à la galerie Flaq, à Paris, en 2015. Son travail figure dans Portuguese Emerging Art (2018 et 2019). Son travail est exposé désormais régulièrement en France et à l’international : au Tate à Londres, au MAAT à Lisboa, au KIKK à Namur, au DAZ à Zurich. Installé en région parisienne, il se consacre entièrement à sa pratique artistique depuis 2017, après avoir quitté son emploi salarié dans la prestigieuse agence Marcel. Il est depuis 2024 en résidence artistique au Louvre-Lens Vallée. . Œuvres récentes : du passé colonial au monde virtuel Parmi ses créations récentes (lire ICI), il y a «Novus Novus Mundus – La lettre d’Abubakari II» (2025) : une fiction historique qui vient damer le pion aux grands explorateurs européens, portugais en tête. Il y a «Congo Soap – Le savon des princes du Congo» (2025) : des savons en forme de smartphone, détournant un produit du passé colonial pour interroger l’extractivisme d’aujourd’hui. Et aussi «Unstable» (2024-2025), avec Martijn Verpaalen : une table à un seul pied, inutilisable seule, mais stable à plusieurs, métaphore de la collaboration. . Une poésie numérique engagée L’artiste travaille rarement seul : il est constamment entouré de makers, d’ingénieurs, de designers, de musiciens, de gamers, d’éducateurs, de chercheurs. En collaboration avec The Fairy, un studio d’innovation culturelle et technologique dont il est cofondateur initialement au Portugal puis en France cette année, avec deux autres franco-portugais dont son frère, un franco-polonais et un franco-espagnol. Filipe Vilas-Boas signe en février dernier une projection interactive monumentale «Tous à la République !» : une commande de l’association APF France Handicap qui souhaitait collaborer avec un artiste contemporain dont le travail croise art, numérique et enjeux de société. Sur la place de la République, à Paris, symbole de luttes et d’espoirs collectifs, et sur une interface en ligne depuis toute la France, tous les citoyens étaient invités à envoyer leur énergie pour littéralement participer à «faire bouger la République». . Présences et projets Ses œuvres sont actuellement visibles dans la collection permanente du Musée de l’Immigration (Paris), au Grenier à Sel (Avignon), à la Biennale de Paname (Saint-Ouen) et à la galerie Zaratan (Lisboa). Son projet phare ? Peut-être Le Fusionnaire (lire ICI), un dictionnaire participatif des langues fusionnées, qui illustre son attachement au multiculturalisme français. «J’ai appris la langue française, pour ainsi dire, au même moment que mes parents lors de notre arrivée en Corse au début des années 80. Toute mon enfance, j’ai entendu ma mère en particulier inventer des mots à cheval entre le Français et le Portugais : des créations qui ont toujours fait sourire la famille et dont je m’étais promis enfant d’en réaliser, un jour, un dictionnaire. Avec le temps, j’ai observé que cette pollinisation entre les langues existait dans toutes les familles binationales et après avoir commencé à récolter les créations familiales, j’ai pensé que le projet ne devait pas être limité à la fusion franco-portugaise, mais s’ouvrir plutôt à toutes les langues de l’immigration française. Ainsi est né Le Fusionnaire : un dictionnaire participatif des mots issus de la fusion de deux langues, le Français et une langue étrangère ou régionale. Son objectif est d’archiver cette inventivité de la langue tout en valorisant le multiculturalisme français». Autre projet produit avec The Fairy : l’application «Fabla» (lire ICI) qui transforme les dessins des enfants en histoire audio (en 5 langues), «Chaque dessin contient une histoire qui mérite d’être racontée» ; cela motive les enfants à lire et à écrire, en bref, «sans en avoir l’air, cela fait école». . Un artiste inclassable Poète numérique, critique du progrès, philosophe de l’espace et du langage : Filipe Vilas-Boas échappe à toute étiquette. Son œuvre interroge notre rapport au monde connecté, à la fois fascinant et fragile, un art sans frontière, ni limites, si ce n’est celles de la planète, qu’il n’oublie pas en chemin.