Fado : Vitor do Carmo s’en est allé

Vitor do Carmo nous a quittés voici quelques jours, suite à une hospitalisation. Pour toute la communauté fadiste francilienne, et sans doute pour ses amis lisboètes, ce fut un choc. Voici quelques semaines, nous avions revu Vitor, toujours élégant et souriant, toujours discret et courtois, notamment lors de sa participation à deux soirées de fado aux Affiches, l’une mi-septembre, l’autre début octobre, où il nous offrit quelques-uns de ces fados traditionnels qu’il aimait tant.

Opposé au régime et aux guerres coloniales et voulant échapper au service militaire, Vitor do Carmo trouva refuge en France à la fin des années 1960, s’y établit puis y fonda une famille. Le tout jeune Vitor aimait sortir et la musique. Il nous confia jadis que, bien qu’ayant dans sa famille des gens du fado, il fut attiré lors de ses premiers pas parisiens par la musique latino-américaine, qu’on n’appelait pas encore salsa, et fut un client assidu d’un petit cabaret du quartier latin, l’Escale, fondé par un trio très populaire à l’époque, les Machucambos. Un peu plus tard, il a un premier contact avec le fado local dans un restaurant portugais de Colombes qui organisait des soirées fado, où il commence à chanter et à jouer de la viola. Et c’est parti pour quelques décennies de présence dans le petit monde du fado parisien, où il s’initiera aussi à la guitarra.

Comme c’est le cas, jusqu’à aujourd’hui, pour la plupart des artistes de fado, la vie musicale doit être accompagnée d’un emploi hors fado, le fado n’étant qu’un complément de revenus. Pour Vitor, cette situation lui convient : il vivra le fado au fil des engagements, mais aussi en fréquentant les soirées de fado vadio dans les lieux de fado franciliens (il fut notamment un client régulier du Coimbra do Choupal, de Manuel Miranda).

A la fois musicien et chanteur, il a accompagné presque toutes les voix du fado parisien, remplacé souvent les guitaristes «titulaires», Manuel Corgas et Casimiro Silva, dans les grandes années du Saint Cyr Palace, où évoluèrent longtemps les regretté.es Mané Santos et Joaquim Campos, accompagné Conceição Guadalupe dans les dernières années du Parc et au Comptoir Saudade… La liste serait longue de ses soirées fado.

Sa retraite en tant que salarié venue, il poursuivit ses activités fadistes, et, en 2014, lorsque sa fille Valérie laissa tomber son métier d’avocate pour ouvrir, à Vincennes, l’Académie de Fado (la seule école de fado, à notre connaissance, ouverte hors le Portugal), Vitor, durant sept années, encouragea par ses conseils et son expérience, cette initiative, qui fut hélas interrompue par la pandémie du Covid mais qui a fait éclore de nouveaux talents qui font aujourd’hui partie de nos soirées fado.

Reparti au Portugal, sur la rive sud du Tage face à Lisboa (mais revenant souvent à Paris), Vitor participa aux nombreuses tertulias autour d’Almada, fut sollicité par de nombreuses soirées de fado vadio à Lisboa, et chanta et joua régulièrement à la très connue Tasca do Chico, au Bairro Alto.

Avec Vitor do Carmo, c’est une partie de la mémoire du fado parisien qui nous manque, ce sont des souvenirs de belles soirées qui nous reviennent, le souvenir aussi d’avoir eu la chance de côtoyer un homme affable, toujours disponible, serein, profondément amoureux du fado. Qui est ce «beau monsieur», me demanda, un soir au Coimbra do Choupal une amie québécoise qui ne le connaissait pas. Ce «beau monsieur», toujours élégant mais sans ostentation, était aussi un «bon monsieur». Adeus, Senhor Vitor, nous ne t’oublierons pas.

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LusoJornal présente toutes ses condoléances à Cinalina, son épouse, Valérie, sa fille, et à ses proches.