Home Comunidade L’action du «Triângulo Vermelho Português» pendant la I Guerre mondialeAntónio Marrucho·5 Junho, 2025Comunidade Le 14 octobre 1918 est inauguré à Paris le «Triângulo Vermelho Português», un foyer pour soldats portugais, une organisation en liaison avec l’américaine Y.M.C.A (Young Men’s Christian Association). Les journaux de l’époque – Le Petit Parisien, Le Matin ou encore Le Galois – donnent l’information que pendant cette inauguration, qui a eu lieu au 25 rue des Récollets, plusieurs personnalités étaient présentes et ont pris la parole, notamment Bettencourt Rodrigues, Ministre du Portugal à Paris, Homem Christo, Cunha e Costa, Vasco Carvalho, Attaché militaire, le Capitaine Braun et du Lieutenant Vittré, de l’État-Major, ainsi que Marques da Silva, responsable du Foyer. Le journal Le Gaulois titre même : «Patriotisme et charité : une cantine portugaise» et ajoute que cent lits sont installés dans ces lieux, nombre qui sera porté à cent quarante. Voilà un thème pas encore développé dans LusoJornal, même si évoqué sommairement, dans deux articles (lire ICI et ICI). Dans le deuxième article, il y est évoqué que le 1er avril 2022, des arbres ont été plantées rue «Triângulo Vermelho» et rue des «Enfermeiras da Grande Guerra» dans la paroisse de Penha de França, à Lisboa, deux rues qui rendent hommage aux membres de la société civile qui ont aidé les portugais pendant la I Guerre mondiale (lire ICI). Le Triângulo Vermelho Português (TVP) n’a pas eu qu’un rôle notoire à Paris, mais aussi sur le front. Dans la revue «A Luz da Verdade» de 1918, est cité le télégramme reçu par le Estado Maior venu de l’Armée portugaise en France. Le Major Pires Monteiro écrit : «Je viens d’assister à l’inauguration du nouveau pavillon de la T.V.P. à côté du siège du C.E.P. Je vous félicite chaleureusement pour le beau travail réalisé en faveur de nos soldats». Versification effectuée, le dit télégramme a été envoyé par Henrique Satiro Pires Monteiro, membre de l’École Militaire, promu à Major le 15 octobre 1917 et qui exerçait au Quartier général du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP). Pour comprendre l’action du TVP, faisons un peu d’histoire. Le TVP est connu dans l’histoire du christianisme portugais comme le symbole des Associations de Jeunesse Chrétienne, partie intégrante d’un mouvement international d’origine anglo-américaine et d’inspiration évangélique, qui prônait le développement spirituel, intellectuel et physique de la jeunesse. Au Portugal, l’organisation a commencé par s’appeler União Cristã da Mocidade (UCM) et a été fondée à l’initiative de la communauté protestante de Porto, en 1894, date à partir de laquelle les groupes se sont multipliés dans tout le pays. Après le IVe Congrès, en 1920, l’institution change de nom, pour devenir Associações Cristãs da Mocidade (ACM), suivant les systèmes d’organisation et d’action développés par les anglophones dans les Young Men’s Christian Associations (YMCA). Grâce aux efforts nord-américains et anglais, la YMCA a fourni des services d’assistance aux troupes Alliées en campagne en Europe. Entre les centaines de milliers de soldats qui ont reçu l’aide du Triangle Rouge, des militaires du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) en font partie et ont été bénéficiaires. Dès 1917, la A.C.M. cherche à créer une structure spécifique du Triângulo Vermelho Português en France. Le 10 octobre 1917, l’YMCA, Comité de Genève, écrit à Alfredo Henrique da Silva, Pasteur méthodiste portugais : «…nous avons été heureux de recevoir votre lettre, détaillant les mesures que vous avez prises concernant le travail parmi les soldats portugais de France… le plus sage serait que vous entriez en contact avec Mr Sautter, car il consacre son temps à ce travail particulier depuis le début de la guerre et connaît parfaitement l’ensemble de l’activité… M. Sautter vous aidera avec ses conseil très précieux. Il connaît parfaitement la situation et exerce une influence considérable auprès des plus hautes autorités militaires». L’organisation de l’assistance spécifique aux soldats portugais a abouti, toutefois des entraves, des difficultés et des obstacles bureaucratiques ont dû être levés, en partie liés à l’accusation selon laquelle le Triângulo Vermelho Português faisait et avait comme objectifs la «propagande religieuse». La République au Portugal était récente et anticléricale à ses débuts. Autorisée par le Gouvernement républicain, le TVP matérialise son action auprès des soldats du CEP en 1918, sous la coordination du missionnaire nord-américain Myron Augustus Clark. Sous influence d’Alfredo Henrique da Silva (1872-1950), pasteur méthodiste portugais, le siège du TVP est établi à Paris, au 29 rue de Montholon, son action sera relayée dans les rues et les gares de la ville par l’installation d’affiches annonçant, en portugais, que les membres du CEP pouvaient se rendre aux points d’information de l’association. L’aide apportée par le TVP étant en étroite dépendance du mouvement international, a essentiellement pris la forme d’une participation à la construction et à l’équipement de pavillons qui fonctionnaient comme des maisons hospitalières où les soldats pouvaient passer leur temps libre. Les tentes militaires installées par le Triângulo Vermelho disposaient de salles de lecture et d’une salle de courrier, où étaient fournis des livres, du papier et de l’encre, ainsi qu’une cantine et une salle de loisirs. La revue «O Século Cómico», supplément du journal «O Século» du 25 mars 1918, consacre 3 pages au Triângulo Vermelho Português, on y voit des soldats du CEP qui profitent des installations du Triângulo Vermelho anglais, en nous présente des photos d’une cantine, d’une salle de spectacle, une barraque près des lignes de combat qui distribue des boissons chaudes. Il y avait donc une coopération entre le Triângulo Vermelho Português et anglais, le portugais n’étant pas présent – ou été moins présent – et ayant eu des difficultés administratives de blocage par le Gouvernement portugais à ses débuts, pour pouvoir s’installer auprès des soldats du Corpo Expedicionário Português. On était déjà courant 1918 quand le Triângulo Vermelho Português a pu s’installer à Paris, plus précisément, au 29 rue de Montholon. Sous une photo prise en face de la délégation, nous pouvons lire le commentaire : «Groupe de prêtres et infirmières militaires qui ont passé par la délégation du TVP courant de mai». A gauche le Délégué officiel du TVP, Manoel Augusto Marques da Silva. Dans une autre photo datée du 12 juin, on voit assis 70 soldats portugais devant le 29 rue des Montholon. Dans Ilustração Portuguesa n°644 du 24 juin 1918, nous avons une photo du groupe d’infirmières qui y ont séjourné avant de poursuivre le chemin vers la destination de leur mission dans l’hôpital de base du CEP. Le TVP semble assez dynamique. La preuve : il a installé des panneaux dans les rues et gares de Paris en langue portugaise, incitant les membres du CEP à se diriger aux postes d’information de l’association. Le prêtre Diogo Cassels reçoit une lettre de Vila Nova de Gaia daté du 1er août 1918 : «Cher Monsieur Diogo Cassels, connaissant l’intérêt que vous portez au Triângulo Vermelho Português, je voudrais vous faire part de ce qui m’est arrivé récemment lors de mon passage par Paris, muni d’un permis de voyage pour le Portugal. J’étais accompagné de quatre soldats de mon Régiment dont j’étais responsable de leur transport, sans lequel ils n’auraient pas pu effectuer le voyage par voie terrestre. S’il est vrai que j’avais beaucoup de plaisir à les amener dans la Patrie, j’étais en revanche extrêmement inquiet d’arriver à Paris, où je ne connaissais que peu ou pas du tout, et de devoir les y guider pour leur fournir de la nourriture, des passeports, des billets de train, etc., etc. Quand je suis arrivé à Paris, toujours à l’intérieur de la Gare du Nord, j’ai été abordé par un délégué de la T.V.P. qui m’a tiré de ce grand cauchemar déclarant que je n’avais pas à m’occuper et préoccuper de mes soldats, ils allaient s’en charger, c’est ce qui arriva. Tout était prévu pour eux, et ces braves gars étaient ravis, car le même jour, dans l’après-midi, ils s’embarquèrent avec moi à partir du Quai d’Orsay, décemment vêtus en civil, ce qui est exigé pour passer en Espagne. Je ne peux donc que reconnaître, les services inestimables rendus par le T.V.P. à nos soldats qui viennent du front et qui méritent un tel service», signé Mário Gomes Saraiva. Pour la petite histoire, Mário Gomes Saraiva avait le grade de Lieutenant Vétérinaire et avait embarqué à Lisboa le 24 novembre 1917. Le 1 juillet 1918 on lui accorde 30 jours de permission au Portugal, le 7 du même mois, il débute voyage par voie terrestre, il passe par Paris avec les 4 soldats sous ses ordres, il est accueilli par le TVP et part le même jour en train direction le Portugal, le 14 août il rentre à l’hôpital de Lisboa et on lui attribue 45 jours de licence supplémentaire pour des raisons de santé, le 17 octobre de la même année, à Hospital Militar Temporário de Lisboa, il est considéré apte pour service de paix, mais inapte temporairement pendant 6 mois de service militaire en campagne, autrement dit, il n’est resté en France au service du CEP que pendant 7 petits mois. On approche de la fin de la guerre, le 14 octobre sont inaugurés les nouveaux locaux du TVP, au 25 rue des Récollets, à Paris. Selon nos recherches, entre le 19 et le 25 rue des Récollets y fonctionne actuellement une école maternelle, sur la façade on voit un relief avec deux personnages et les mots : «La Fontaine et Esope». Rappelons que La Fontaine s’est inspiré ouvertement du fabuliste Ésope, la cour de l’école est la même qu’en 1918. Juste en face du 25 rue des Récollets, le bâtiment a encore la même configuration actuelle que celle de 1918, y fonctionne le Centre International des Échanges des Récollets. Un travail exceptionnel a été effectué par le photographe des studios G. Kobilivker, dont le siège était 23 rue Rochechouart, à Paris, tant au 29 rue de Montholon, qu’au 25 rue des Récollets. De ces derniers locaux, les photos ont été prises le jour de l’inauguration. Les dites photos nous sont parvenues avec des commentaires pleins d’enseignements, tels que : 150 personnes peuvent y loger, dormir, rien qu’au deuxième étage il y a 3 salles avec 22 lits chacune, une photo prise le 15 octobre 1918 dans la cour à côté d’un des dortoirs et cantine, une centaine de soldats sont photographiés par le même négatif. Petit rappel historique : en même temps que des soldats portugais séjournent à la délégation du TVP à Paris, le 17 octobre 1918, des soldats portugais accompagnent des Anglais pour libérer Lille. Notons qu’un règlement sur 8 points définit les normes à respecter dans les pavillons du TVP, normes placardées sur l’édifice, à savoir : 1. Les pavillons ouvrent tous les jours…, 2. Chaque pavillon est administré par un directeur…, 3. Tous les militaires peuvent profiter des pavillons à condition d’y maintenir une bonne discipline… 4. Il est attendu que tous les militaires se conforment aux dispositions de son directeur… 5. Toutes les discussions politiques et sectaires, ainsi que le jeu d’argent sont interdits, 6. L’utilisation des pavillons pour se reposer et distraire est entièrement gratuite…, 7. Le prix pour jouer au billard est fixe et affiché pour tous les utilisateurs…, 8. Tout ce qui n’est pas prévu dans le présent règlement est de la compétence du directeur… En 1920, le Gouvernement portugais accorde à Myron Clark le grade de Chevalier de l’Ordre du Christ pour les services rendus au pays pendant le conflit et en 1921, des représentants du TVP ont été invités à participer à des cérémonies en l’honneur du Soldat Inconnu en guise de reconnaissance pour le travail de cette organisation pendant la Grande Guerre.