Le combat pour la reconnaissance à la retraite des anciens combattants portugais en France des ex-Colonies

Le slogan «Unidos venceremos !» (Ensemble, nous vaincrons !) apparaît pour la première fois dans fiche d’information de l’Association des Retraités Ex-Militaires/Ex-Combattants Portugais de France (ARMCPF), produite le 6 mars 2002.

C’est ainsi que commence l’introduction du travail de mémoire que Melvin Sabina, lusodescendant, a récemment présenté à l’Université de Bourgogne Europe Dijon, au sein de l’UFR de Sciences Humaines, Département d’Histoire. Ce travail fait partie de son Mémoire de fin d’année en Master 1 et porte le titre suivant : «Un combat pour la retraite : L’association des retraités ex-militaires/ex-combattants portugais de France».

Ce travail de recherche a été mené sous la direction de Sophie Baby, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, spécialiste des enjeux transnationaux liés aux violences de masse et à leur mémoire dans nos sociétés contemporaines, en particulier dans l’espace euro-américain des XXe et XXIe siècles.

Écrire sur un thème tel que celui abordé par Melvin Sabina n’est pas encore simple. Bien que les guerres coloniales aient pris fin il y a plus de 50 ans, il reste difficile d’en étudier les conséquences, tout comme il est encore complexe de traiter le sujet des ‘passeurs’. LusoJornal a voulu en savoir plus sur ce travail de mémoire.

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Comment vous est venue l’idée de votre Mémoire de Master ?

L’idée de mon sujet est née d’une passion pour l’histoire, d’une affection profonde pour mes grands-parents et de l’amour de mes origines portugaises. Je voulais absolument travailler sur l’histoire du Portugal, mais je n’étais pas motivé à partir étudier au Portugal. Grâce aux recherches de l’historien Victor Pereira, j’ai découvert que je pouvais étudier la diaspora portugaise depuis la France. J’ai alors réfléchi longuement au sujet jusqu’à ce que je tombe sur les archives de l’Association des Retraités Ex-Militaires/Ex-Combattants Portugais de France (ARMCPF). J’y ai découvert que ces anciens soldats luttaient pour obtenir une pension militaire pour les services rendus à la nation. Mon grand-père n’a jamais obtenu de retraite militaire, et tout le monde a accepté cette situation. Je me suis donc approprié ces archives pour mener cette recherche, mais aussi pour défendre ces anciens combattants qui n’ont jamais été récompensés, à l’exemple de mon grand-père.

Pour mener à bien ce projet, j’ai dû convaincre Madame Sophie Baby, spécialiste de l’Espagne franquiste. Elle m’a accordé sa confiance et je la remercie sincèrement pour cela. J’ai également été soutenu par Monsieur António Pereira, ancien membre de l’association, qui m’a donné son témoignage et m’a beaucoup encouragé.

Vos origines portugaises et l’exemple de votre grand-père ont-ils joué un rôle important dans le choix de votre thème ?

Oui, mes quatre grands-parents viennent du Portugal. Mon arrière-grand-père maternel a émigré à Cravant (Yonne) avec mon arrière-grand-mère et leurs cinq enfants. L’objectif était d’améliorer leur qualité de vie et de fuir la dictature. L’immigration était illégale à cette époque. Mon grand-père paternel a effectué son service militaire en Angola au début du conflit. Après son retour au Portugal, il est allé directement à Cravant. Mes deux familles proviennent de la région d’Aveiro, et j’ai passé tous mes étés d’enfance à Torreira.

Le sujet que vous avez choisi a jusqu’à présent été peu étudié. Y a-t-il déjà eu des travaux sur ce domaine ?

Les études sur ce sujet portent principalement sur le traumatisme et la mémoire de la guerre coloniale, ainsi que sur sa transmission, l’article de Luciana Moreira et Doris Wieser, est un bon exemple : «O passado por dentro do presente : Guerra Colonial portuguesa e as reescritas da memória cultural». Il est également important de mentionner le mémoire de sociologie de Sara Daniela Parreira Rijo da Silva sur les politiques publiques et l’émergence du mouvement associatif des vétérans de guerre portugais. L’autrice y aborde, entre autres, la reconnaissance du syndrome du stress post-traumatique par l’État, ainsi que la situation des anciens combattants handicapés.

Quand commencent les anciens combattants portugais vivant en France à se mobiliser pour obtenir la retraite des années passées sous les armes ?

L’âge de la retraite approche pour les anciens combattants vers la fin des années 1990. A partir de ce constat, nombre d’entre eux vont commencer à se questionner et s’inquiéter pour leur pension militaire. C’est pour ces raisons que d’anciens combattants portugais associés à la Fédération des Associations Portugaises de France (FAPF) vont créer ensemble, une Commission spécialisée sur la question des retraites militaires. Après un revers législatif en 2002, les anciens combattants comprennent qu’il faut dépasser le cadre de la Commission pour devenir une réelle association qui ne se consacre qu’à cette lutte pour être le plus efficace possible. C’est la naissance de l’Association des Retraités Ex-Combattants/Ex-Militaires Portugais de France (ARMCPF). Enfin, j’ajouterai qu’il était très important pour ces anciens combattants de rassembler et mobiliser plutôt que de compter sur les vétérans du Portugal car eux seuls pouvaient véritablement défendre la cause des anciens combattants émigrés.

On pourrait presque dire que le combat des anciens combattants ressemble à la conclusion d’un long chapitre de l’histoire du Portugal. Non ?

Oui, ce combat pour l’obtention d’une pension militaire et, plus généralement, pour les droits des anciens combattants représente l’épilogue d’un long chapitre de l’histoire du Portugal : celui des colonies. Le pays a construit son empire colonial autour du Brésil, puis plus tard l’Angola qui doit réussir à remplacer la perte économique que constituait la colonie sud-américaine. Enfin, le pays s’est enfoncé dans les guerres coloniales en Afrique à partir de 1961 dont Salazar puis Caetano préféraient nommer «guerres d’outre-mer».

La Révolution du 25 avril et la décolonisation marquent un tournant, et le combat des anciens combattants d’outre-mer représente l’une des dernières pages de ce chapitre de plus de cinq siècles.

Comment avez-vous structuré votre travail de mémoire ?

Dans un premier temps, j’ai dû étudier la genèse de l’Association des Retraités Ex-Militaires/Ex-Combattants Portugais de France (ARMCPF) et comprendre les motivations des vétérans à s’unir autour d’une commission spécialisée au sein de la Fédération des Associations Portugaises de France (FAPF). Ensuite, j’ai exploré l’évolution de cette commission, qui s’est détachée de l’association mère pour créer sa propre organisation.

Une fois l’association installée, j’ai analysé ses actions militantes. L’ARMCPF bénéficie de différents soutiens pour mener à bien sa lutte : culturels avec les associations lusophones en France, médiatiques avec la radio portugaise Alfa à Paris, et politiques avec le Conseil des Communautés Portugaises de France. Ces soutiens lui permettent de s’imposer dans le débat politique, notamment en interpellant les pouvoirs publics, tant au Portugal qu’en France.

La loi n° 21/2004 est le fruit de cette pression constante venue de France, obligeant les autorités portugaises à légiférer sur la question des retraites des anciens combattants émigrés. Cependant, la nouvelle loi impose une réalité bien différente de celle espérée par l’ARMCPF. La lutte pour l’obtention de la pension militaire est longue et semée d’embûches.

Comment se termine ce combat ?

Il faudra attendre le 13 janvier 2009 pour qu’un nouveau texte de loi soit publié, élaboré par le Ministre de la Défense nationale, Nuno Severiano Teixeira, du PS. Ce texte permet désormais aux personnes couvertes par les systèmes de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne et par ceux des pays avec lesquels des instruments internationaux ont été conclus, de faire une demande de pension militaire. De plus, le financement des coûts liés à l’application de la loi est pris en charge par le budget de l’État. Enfin, les anciens combattants peuvent crier «Hourra !» : ils sont désormais tous éligibles à une pension militaire, et ce, sans délai.

Des associations d’anciens combattants des colonies portugais en France avec la résolution du problème de la retraite et l’âge s’avançant s’essoufflent.

Dans la région lillois, l’Association Socioculturelle des Anciens Combattants des ex-Colonies de Roubaix se réunissent lors de repas annuels et participent à des cérémonies religieuses en honneur de Notre Dame de Fatima, aux cérémonies portugaises de la Bataille de La Lys et se font représenter dans des cérémonies commémoratives françaises.

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Rappelons que la couverture de la première édition du LusoJornal, en 2004, est justement une des manifestations que l’Association des Retraités Ex-Militaires/Ex-Combattants Portugais de France (ARMCPF) a organisé devant l’Ambassade du Portugal à Paris.