Home Comunidade Le poignant récit du passage des prisonniers du CEP par Lille du soldat António Pereira dos SantosAntónio Marrucho·3 Julho, 2025Comunidade «C’est ainsi que nous avons passé la journée du 10. On avait faim depuis deux jours. Ce jour-là, à 17 heures, nous sommes partis pour nous installer à Lille, une grande ville française qui avait été prise en 1914… Les femmes françaises de la ville de Lille : ces petites femmes, très affligées, alors que nous traversions les rues de cette ville, se rendirent compte que nous avions très faim». C’est par ces mots que débute en page 90 du manuscrit d’António Pereira dos Santos, soldat portugais qui a participé à la I Guerre mondiale au sein du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP), le récit de son passage et des autres milliers de soldats portugais faits prisonniers et passés par Lille avant de suivre vers l’Allemagne, après la Bataille de La Lys. Un certain nombre de livres ont été écrits sur la participation des Portugais à la I Guerre mondiale par ceux qui l’ont vécu, la grande majorité étant, toutefois, l’œuvre d’officiers haut-gradés. António Pereira dos Santos, soldat, puis ‘Cabo’, nous décrit la guerre vécue dans les tranchées, sa Bataille de La Lys, le temps passé dans le Camps en Allemagne, en cela c’est très intéressant, une description par quelqu’un qui a vécu au sein du Corps Expéditionnaire Portugais les événements «de l’intérieur». António Pereira dos Santos part de Lisboa, direction Brest, le 9 septembre 1917, retour à la capitale du Portugal par bateau le 5 février 1919. Entre ces deux dates, le vécu par António Pereira dos Santos va être décrit de façon manuscrite en 213 pages, la 213ème page se terminant par : «Voilà la triste vie d’un soldat de la Grande guerre de 1917-1918 en France – souvenirs de la Grande Guerre Européenne. Signé : António dos Santos Pereira». António Pereira dos Santos (il signe António dos Santos Pereira) est né le 6 mars 1895 dans le lieu-dit Amoinha Nova, paroisse de Santiago de Alhariz (Valpaços). Il était fils de José dos Santos e Luisa Pereira de Almeida. José Pereira dos Santos faisait partie des sept garçons qui ont survécu après la naissance, ses parents ayant eu 20 enfants, dont seulement 10 ont survécu (sept garçons et trois filles). Ce qui semble étonnant, c’est le fait qu’il a pu aller à l’école pour apprendre à lire et à écrire. A l’époque il n’y avait au Portugal que 25% de la population qui savait lire et écrire. Gil Morgado dos Santos savait de l’existence du manuscrit de son grand-père, ce dernier ne voulant pas qu’il le lise avant ses 15 ans. Après la disparition du ‘Cabo’, le grand-père, Gil Morgado dos Santos et son fils Gil Filipe Calvão Santos, lisent, relisent le texte et décident d’éditer le manuscrit. Manuscrit qui est inclus dans le livre qui contient une partie de recherche sur les lieux, la véracité des dires, la chronologie. Pouvoir récupérer et éditer de telles informations, c’est une chance, une chance d’avoir pu récupérer le manuscrit complet et en si bon état. Combien de manuscrits, d’histoires, de bouts d’histoires, courriers, cartes postales n’ont-ils pas disparus dans des tiroirs, oubliés, jetés sans qu’on s’aperçoive de la richesse du contenu ? Le livre contenant le manuscrit d’António Pereira dos Santos, écrit par le petit-fils Gil Morgado dos Santos et l’arrière-petit-fils, Gil Filipe Calvão Santos, publié aux éditions Encora, prendra le titre de «De Chaves a Copenhaga – A saga de um Combatente». Dans la préface, José Dias Baptista, historien et chercheur écrit : «Un exemple clair de cela est le journal de cet inconnu de Trás-os-Montes… Cette publication vient à point car de tels ouvrages sont très rares. C’est également un acte de magistral éthique, de justice lucide et d’obligation morale de faire connaître un des millions d’héros que les histoires officielles oublient, en les remplaçant par des figures pompeuses de diplomates, de commandants ou de politiciens qui n’ont rien fait pour être si bien vus… c’est un récit extraordinaire de faits qui n’apparaissent jamais de manière aussi vivante…». Il ne faut donc pas s’attendre à une littérature élaborée. Il serait injuste d’attendre une telle chose, d’un homme simple, né du côté de Brunheiro. L’histoire ne parle généralement pas des faibles, cependant, contrairement à l’adage, elle parlera de lui, d’António et de ses camarades soldats, souvent ignorés, la gloire revenant souvent à ceux qui ont fait la Guerre dans la sécurité de leurs abris. António, à la fin du manuscrit en forme de poème, dira : «Celui qui me lit pensera : ‘Ce n’est pas grand-chose !’. J’ai vécu bien plus que ce qui est écrit ! Pendant les dix-huit mois d’absence, ma vie a été triste… Dieu seul sait ce que j’ai vécu !» Les motifs d’articles sur le livre et sur le manuscrit sont nombreux. Volontairement nous ne citons ici que quelques phrases choisies révélatrices. La description de la Bataille de La Lys y est très éclairante : «Les troupes portugaises et anglaises qui occupaient les lignes entre les canaux de La Bassée et d’Armentière n’étaient qu’un détachement rongé par la faim, la maladie, les poux qui subissent l’attaque écrasante de seize détachements allemands…». António Pereira dos Santos, fait prisonnier le 9 avril, décrit : «Quatre à quatre, les prisonniers ont été obligés de transporter vers l’arrière allemande les blessés là où il y avait de l’aide hospitalière, en chemin, ils devaient enterrer les morts dans des fosses pleines d’eau causées par l’éclat des grenades et de couvrir les corps de terre…». Dans les camps en Allemagne : «Ils nous nourrissent avec du bouillon fait de haricots verts… sans haricots et de morceaux de citrouille qu’on donne habituellement aux vaches… on devait encore attendre que les Anglais mangent pour avoir un bol…». Le manuscrit du soldat António Pereira dos Santos est important, c’est l’essentiel, toutefois, chose rare, c’est ce qu’il a fait naître : le livre, les recherches, le fait que le petit-fils Gil dos Santos aille d’établissement en établissement, habillé en soldat, raconter l’histoire de son grand-père, l’histoire du Corps Expéditionnaire Portugais (lire ICI). Gil dos Santos s’est déplacé plusieurs fois en France sur les traces de son grand-père. Tout récemment, pour comprendre le passage de son grand-père, António, en tant que prisonnier par Lille, il s’est déplacé dans la région. Nous l’avons accompagné. Les dires du soldat António Pereira dos Santos, viennent confirmer d’autres écrits qui justifient que le Portugal décore Lille le 16 octobre 1920 et qu’il offre un magnifique coffre, un drapeau et manuscrit à la ville (lire ICI). Nous transcrivons ci-dessous les pages 90 à 96 dudit manuscrit : «Les femmes françaises de la ville de Lille : Ces petites femmes, très affligées, alors que nous traversions les rues de cette ville, se rendirent compte que nous avions très faim. Elles sortent dans la rue pour partager des morceaux de pain et les jeter au milieu des prisonniers qui défilent. Les sentinelles ne nous laissèrent pas approcher pour les ramasser. Un officier allemand à cheval, vit ces femmes nous jeter de la nourriture pour satisfaire notre grand besoin, il s’approcha d’elles, sans se soucier de les blesser sous les sabots de son cheval. Un enfant n’eut pas le temps de s’écarter, il fut écrasé sous les sabots du cheval. Les femmes voyant qu’elles ne pouvaient plus rien nous donner coururent chez elles et nous jetèrent de la nourriture par les fenêtres, mais nous ne pouvions pas nous baisser pour la ramasser. L’officier s’approcha de nous avec son cheval dès qu’il vit quelqu’un se baisse pour ramasser quelque chose. Ces braves femmes furent prises de pitié pour nous. Cette nuit-là, nous l’avons passée dans cette ville, dans une caserne qui avait été celle de l’artillerie française. À notre arrivée, une heure plus tard, tard dans la nuit, on nous a donné à chacun un petit morceau de pain, morceau de la taille qu’on donne dans la main d’un enfant. Nous avons mangé ce petit morceau de pain, et si nous avions faim, nous avons fini par en avoir encore plus. Nous avons passé cette triste nuit, allongés sur le sol. Le lendemain matin, nous sommes partis à jeun et avons marché jusqu’à 10 heures. Nous nous tenions à peine debout, mais la seule solution était de continuer si nous ne voulions pas subir les coups de crosse des armes allemandes. À 10 heures, nous sommes arrivés à un fort terrifiant, c’était un fort souterrain, une prison terrifiante que les Français avaient là. Nous y avons passé trois jours presque à jeun. Il était 21 heures et on nous a donné un peu de pain, juste pour ne pas mourir de faim, cela ne représentait pas plus de six à huit petites bouchées. Pour quelqu’un qui avait si faim depuis trois jours et qui était presque à jeun, cela nous a donné encore plus envie de manger. Le lendemain matin, nous sommes partis à pied jusqu’à la gare. Des Françaises nous jettent des morceaux de pain, mais impossible de nous baisser, seulement si on l’attrapait en plein vol. Oh, quelle faiblesse au cœur, nous ne pouvions nous tenir debout de fatigue. Nous nous tenions à peine debout. Nous nous disions qu’il valait mieux mourir d’une balle, que de mourir de faim. Ce jour-là, à 11 heures, nous sommes montés dans le train, les wagons étaient grands et transportaient habituellement des animaux. C’était une gare française, aux mains des Allemands. De là, nous avons continué vers la Belgique, traversant des territoires belges envahis. Vers l’après-midi, nous sommes arrivés à une gare située à la périphérie de Bruxelles, la belle capitale de la Belgique, elle aussi envahie par les Allemands». Voilà une description qui confirme, les actes de bravoure de la population lilloise lors de la traversée de la ville par les prisonniers portugais. Récit qui vient confirmer qu’avant de partir vers l’Allemagne, les prisonniers portugais ont passé trois jours dans le Fort de Mons (Mons-en-Baroeul dans la région Lilloise). De là, ils ont marché jusqu’à la Gare d’Ascq (*). Entre le Fort de Mons et la Gare d’Ascq, les gestes courageux des femmes qui essayent de donner à manger aux prisonniers portugais se répètent, prisonniers qui pour quelques-uns passeront par la Belgique et notamment Bruxelles avant d’être internés dans des Camps en Allemagne. L’histoire se construit, se précise. Le manuscrit d’António Pereira dos Santos… un trésor d’informations. . (*) Ascq, un des trois villages qui ont constitué dans les années 1970 Villeneuve d’Ascq. À la suite d’un attentat contre un convoi militaire aux abords de la gare d’Ascq dans la nuit du 1er avril au 2 avril 1944, la population est violentée et quatre-vingt-six civils sont fusillés, une, parmi bien d’autres ignobles actions allemandes pendant la II Guerre mondiale.