Livres: «Écrire l’espace des Amériques: représentations littéraires et voix des femmes amérindiennes», de Rita Olivieri-Godet

La contribution de la littérature – en l’occurrence, à partir d’auteurs brésiliens et québécois – dans la construction d’un nouvel imaginaire littéraire de l’espace des Amériques, la prise en compte des cultures des peuples autochtones et la remise en question de la perspective coloniale qui perdure jusqu’à nos jours: tel est l’objet des études réunies dans «Écrire l’espace des Amériques: représentations littéraires et voix des femmes amérindiennes» (éd. Peter Lang, 2019), de Rita Olivieri-Godet, professeure de littérature brésilienne à l’Université de Rennes II, membre de l’ERIMIT (groupe de recherche) et membre Senior de l’Institut Universitaire de France.

Cet ouvrage s’inscrit dans le prolongement des réflexions engagées lors du séminaire «Les Amérindiens au Brésil: représentations littéraires, textualités, discours sociaux», qui a eu lieu à l’Université de Rennes II, en 2016, et il vient alimenter la problématique exposée par Rita Olivieri-Godet dans son livre intitulé «L’altérité amérindienne dans la fiction contemporaine des Amériques» (2016).

 

Aspects thématiques et formels

Le présent volume est structuré en deux parties. La première, «La fiction au défi de la mémoire du territoire», regroupe six chapitres consacrés à des œuvres du XXè et du XXIè siècles, qui jouissent d’une reconnaissance dans le système littéraire brésilien et québécois, écrites par des auteurs non autochtones. Leurs textes permettent de tisser des liens entre histoire, mémoire et identité culturelle, ancrés sur des expériences historiques concernant l’arrière-pays brésilien (les conflits entre le peuple Cayapó et les colonisateurs, avec Maria José Silveira; les forêts du sud de Bahia, avec Jorge Amado; l’Amazonie, avec António Callado et Márcio Souza). Ensuite, l’auteure aborde les récits fondateurs du romancier et historien québécois Gérard Bouchard, de la région du Saguenay. Des récits qui «éveillent une mémoire enfouie et dénoncent les stratégies qui consistent à considérer ces territoires comme des terres du bout du monde ou comme des espaces vides car habités par des populations qui ne sont pas prises en considération par le pouvoir hégémonique», précise Rita Olivieri-Godet.

La deuxième partie de l’ouvrage, «Voix de femmes et territorialités amérindiennes», interroge l’imaginaire sur l’espace des Amériques à partir de textes littéraires écrits par des femmes amérindiennes qui évoquent leurs rapports avec des territoires aussi bien amérindiens qu’occidentaux. Il s’agit, d’une part, d’Eliane Potiguara et Graça Graúna (toutes deux d’origine potiguara, Nordeste du Brésil) et, d’autre part, de Naomi Fontaine et Natasha Kanapé Fontaine (toutes deux d’origine innue, Côte-Nord du Québec). «La prise de parole par des femmes amérindiennes – affirme l’auteure du livre – est à la fois un acte poétique, éthique et politique qui inaugure de nouvelles possibilités de dialoguer avec les sociétés nationales et de dépasser les clivages, afin de construire un imaginaire partagé que nous retenons de ces textes magnifiques qui font preuve d’une originalité éclatante».

L’écriture de ces quatre écrivaines amérindiennes se nourrit de leurs expériences de vie et de leurs combats, ce qui peut expliquer leur tendance à entremêler des éléments de leurs histoires propres à ceux de l’histoire collective de leur peuple. Le caractère hybride de leurs œuvres se manifeste aussi bien au niveau thématique que formel. En effet, comme nous le montre Rita Olivieri-Godet, elles ont recours à une variété de formes d’expression transposant, dans leur écriture, des éléments traditionnels, oraux, spécifiques de la poétique autochtone.

 

Le contexte historique, culturel et politique

Les récits et les recueils de poèmes choisis pour la présente étude soulignent les aspects géopolitiques et culturels du processus de transformation des territorialités autochtones. En fait, ils élaborent un contre-récit qui exprime la perspective amérindienne, une perspective qui tient compte des relations entre les formes symboliques et le monde social.

Pour le géographe français F.-M. Le Tourneau, cité par Rita Olivieri-Godet, «la tension issue de visions différentes de deux sociétés à propos d’un même territoire est caractéristique des relations de conflits héritées de l’époque coloniale». Par ailleurs, dans sa préface, Eurídice Figueiredo, professeure de littérature à l’Université Fédérale Fluminense (Brésil), affirme que «la question foncière est au cœur des conflits entre, d’un côté, les grands exploitants agricoles et les exploitants miniers blancs et, de l’autre, les populations autochtones qui luttent pour préserver leurs territoires ancestraux». À ce propos, nous pouvons rappeler ici la mort du militant indigène Paulo Paulino, dans l’État du Maranhão, le 1er novembre dernier, tué lors de heurts avec des trafiquants de bois en Amazonie, dans un contexte politique où le Gouvernement brésilien fait l’apologie des «madereiros» (exploitants de bois).

Dans le présent volume, l’auteure reprend une analyse qu’elle proposait déjà dans son livre précédent, à savoir que l’histoire des affrontements au cours de la colonisation et de la constitution de l’État naissant «a été effacée de l’imaginaire de la construction de la Nation, cédant la place à l’image inaugurale conciliatrice de la ‘découverte’». Elle y dénonçait aussi le mythe d’un territoire «intégrateur, pacifié et uni où évoluent les trois principales matrices ethniques».

Pour Rita Olivieri-Godet, et en guise de conclusion, «il faut déverrouiller l’imaginaire sur l’espace des Amériques» et, ajoute-t-elle, «c’est par l’‘amérindianité’ des œuvres littéraires allochtones et autochtones – qui réclament la reconnaissance des cultures amérindiennes – que cet ouvrage rejoint la perspective de l’américanité».

 

LusoJornal