Opinion: La «Capeia arraiana»: l’autre forme de bravoure du taureau et de l’homme

Les hommes, les femmes partent, quelques traditions restent.

Nous sommes dans ce que nous avons intitulé, par trois de nos articles dans LusoJornal: «l’autre Portugal: le Portugal qui se meurt, le Portugal qui résiste», à l’exemple du village de Forcalhos.

Au début de la République, 617 personnes peuplent ce village, 625 en 1940, 415 en 1960, 257 en 1970 et 88 en 2011, une population divisée par 7 en un siècle!

L’émigration est passée par là et pas seulement.

Forcalhos est située dans le canton de Sabugal, pas loin de la principale frontière terrestre portugaise avec l’Espagne – Vilar Formoso/Fuentes d’Onor. C’était une région d’échanges clandestins entre les deux pays, une zone qui prospérait grâce à ce commerce, des hommes et des femmes s’aventuraient dans la nuit… c’était leur gagne-pain.

C’est également par là que beaucoup de Portugais ont passé dans les années 60-70: des clandestins, candidats au «salto». Beaucoup de passeurs venaient de ces villages.

À Forcalhos et dans les villages des alentours, il y a une tradition qui est restée bien vive et qui fait revivre ces villages en été: les «Capeias arraianas»: 14 villages, 14 «Capeias arraianas» ont eu lieu entre le 3 et le 25 août.

On est ici loin des grandes villes, loin des sites touristiques, loin du «Campo Pequeno», loin des polémiques Corridas. On est dans le Portugal qui résiste et de ses traditions qui se perpétuent. Le Portugal de l’intérieur qui voit revenir à lui ses fils qu’il a vu naître et ses descendants à l’occasion des fêtes, à l’occasion des «Capaias».

 

Mais en quoi consiste la «Capeia arraiana»?

La «Capeia arraiana» est une corrida avec des taureaux qui a lieu dans la région du Ribacôa, son nom étant en rapport avec les lieux où elles perpétuent: dans la «raia», la frontière.

Cette espèce de jeux entre le taureau et l’homme a été la première tradition à être inscrite au Patrimoine immatériel national du Portugal.

On est ici, loin des Corridas qui provoquent polémique en France ces dernières semaines. On est ici plutôt dans une espèce de jeux entre le taureau et l’homme, une pratique unique au monde. Un jeu qui parfois peut être dangereux… dangereux surtout pour l’homme.

A quand remonte cette tradition? On ne le sait pas. La première évocation écrite on la trouve en 1886 dans le conte «Uma Corrida de Toiros no Sabugal» de l’écrivain Abel Botelho. En 1893 on peut lire un article dans un journal dans lequel on évoque l’utilisation du Forcão dans la Capeia.

La Capeia a ses origines dans le payement des dégâts causés par le bétail que traversait la zone de la «raia», en envahissant les prairies et potagers. La province voisine d’Espagne, Salamanca, offrait aux voisins des villageois de Ribacôa quelques vaches en dédommagement. Contrairement à l’homme, l’animal ne connaît pas de frontières.

Dans notre vie, dans tout ce qui se passe dans notre monde nous sommes constamment dans des actes cérémonieux (1).

La «Capeia arraiana» est une cérémonie avec des moments bien définis: le «encerro», a «capeia» et le «desencerro». Entre ces 3 actes, a lieu aussi, le traditionnel repas, la demande de la place pour faire la Capeia…

Le «encerro» consiste dans l’entrée dans la place du village du taureau avec les cavaliers… le public crie et applaudit le taureau et les cavaliers.

La «Capeia» en tant que telle, consiste dans entrée en action de la trentaine d’hommes qui prennent le «forcão» pour se défendre du taureau. Celui-ci essaye de les contourner pour les attaquer.

Dans ce jeu, dans ce combat, il n’y a ni de gagnants, ni de perdants, toutefois il a tout de même danger car le taureau peut aller plus vite que les hommes et réussir à contourner le «forcão», la coordination des 30 hommes peut aussi être mise à mal, le taureau peut provoquer la désorganisation du groupe. C’est là que parfois les plus téméraires – alors que leurs cœurs et ceux des spectateurs battent à un rythme très élevé – affrontent le taureau en face, finissant par l’immobiliser en protégeant par la même occasion les camarades et les spectateurs du danger de l’animal en liberté, entouré qu’il est par la foule.

En 2018, le village de Nave a eu peur. Le taureau réussissant à faire que les hommes abandonnent le «forcão». En 2016 à Aldeia de Ponte il y a eu également danger. Mais tout cela se termine en général bien…

L’adrénaline finit par retomber avec le «desencerro».

La dernière partie de la cérémonie est le «desencerro». Le taureau est ramené au champ par les mêmes cavaliers qui ont été le chercher au moment du «encerro».

 

Le «forcão»

Pour bien comprendre cette tradition, il est bon de connaître l’instrument utilisé par l’homme pour ce jeux, cette rencontre, avec l’animal: il s’agit du «forcão».

Le «forcão» est une composition en bois de chêne de forme triangulaire qui pèse 300 kilos et qui est manœuvré lors des «Capeias» par 30 hommes. Ce triangle se termine en forme de fourchette faite de bois plus léger, de sapin, qui se prolonge de deux mètres.

La dimension du «forcão» est assez uniforme avec de petites variantes entre villages et d’année en année. La dimension la plus connue du «forcão» en forme de triangle est de 4,7×4,5×4,7. Pour le soulever, sont nécessaires 30 hommes qui se répartissent dans deux des côtés du «forcão» au moment du combat.

Le but du jeux, du combat, du spectacle, est que les 30 hommes se protègent du taureau avec le «forcão», sachant que chacun des 30 hommes a une action bien précise dans la manœuvre.

Les «Capeias arraianas» 2019 se sont achevé ce dimanche 25 août.

Les taureaux sont repartis dans les champs pour une continuation de vie paisible, en liberté… les hommes, quant à eux, auront de quoi parler pendant toute une année.

Parler de la bravoure de l’animal, de la bravoure des hommes, de l’équipe, mais aussi de leur peur au moment d’affronter leur ami, le taureau. L’année prochaine, d’autres jeunes prendront la relève. Ils relèveront le défi et le «forcão» qui se reposera pendant un an, fatigué, est mis à mal qu’il fût par la lutte d’une après-midi.

 

(1) Nous conseillons la lecture du livre de Gabriel Ringlet, «La grâce des jours uniques. Éloge de la célébration», aux éditions Albin Michel.

 

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