Home Cultura Quand dix écrivains rencontrent dix migrants: «Paris Ville Monde – Un regard neuf sur l’immigration»Dominique Stoenesco·10 Janeiro, 2019Cultura Les dix textes réunis dans «Paris Ville Monde – Un regard neuf sur l’immigration», recueil publié en octobre 2018 par les éditions Rue Saint Ambroise, avec le soutien de la Région Île-de-France et le concours du Musée de l’Histoire de l’Immigration sont le fruit de l’échange entre dix écrivains et dix migrants de différentes origines, de divers âges et conditions. À partir de leur expérience et de leur témoignage, les dix écrivains ont élaboré dix fictions. «Toutes les impressions sont intransmissibles, sauf si nous les rendons littéraires», affirmait Fernando Pessoa. Or, c’est précisément ce que les auteurs du présent ouvrage ont voulu faire: capter ce qui d’ordinaire échappe au témoignage, mais peut être restitué par la fiction. Ainsi, l’objectif commun de ces nouvelles est de retrouver, par-delà les opinions et les représentations habituelles, l’expérience réelle du migrant en apportant à son témoignage une dimension subjective qui, sans le passage à la fiction, resterait inconnue. «Le migrant, précise Bernard Toro, Coordinateur de cette publication, n’est pas seulement cette entité économique, politique et sociologique dont nous parlent les enquêtes et les journaux, le migrant est avant tout un sujet». Certains textes de «Paris Ville Monde» sont liés à l’actualité des migrations récentes, tandis que d’autres s’appuient sur des réalités historiques plus anciennes. Marie Poinsot, Rédactrice en chef de la revue Hommes et Migrations et responsable des éditions du Musée de l’Histoire de l’Immigration, considère, dans sa postface intitulée «Quand un musée adopte la littérature», que ces textes littéraires «constituent une porte d’entrée privilégiée pour comprendre l’expérience intime des migrants, leurs vulnérabilités, leurs souffrances leurs espoirs, leur soif de découverte, leur sentiment d’émancipation pour ceux dont l’éloignement du pays d’origine est la condition d’une vie autonome». Dans l’une de ces dix nouvelles, intitulée «Dans l’absence du monde», l’écrivaine Danielle Lambert s’est inspirée de la biographie de Manuel Tavares, notamment de ses exils successifs au Brésil et au Chili, avant le coup d’État du 11 septembre 1973, et de son arrivée en France en 1974. Manuel Tavares a été un des responsables du Collectif portugais pour une pleine citoyenneté. Sa valise, portée à l’épaule par lui-même, comme les milliers de Portugais qui débarquaient à la gare d’Austerlitz dans les années 1960-70, est devenue célèbre au cours des mobilisations pour l’abrogation des lois Pasqua-Debré (1997) et des actions en faveur des «Sans papiers» et du droit de vote des résidents étrangers. À propos de la valeur emblématique de sa valise, Manuel Tavares nous disait, il y a quelques années, qu’elle est «l’objet qui traduit le mieux mon parcours personnel. Chargée de souvenirs et remplie d’espoirs, elle porte bien les rêves d’un chemin toujours à tracer, à la recherche de liberté, égalité, fraternité». Né au Portugal en 1950, Manuel Valente Tavares quitte son pays en 1970, refusant la dictature instaurée par Salazar et la guerre coloniale menée en Afrique. Il devient déserteur et rejoint d’abord une partie de sa famille émigrée au Brésil et, peu de temps après, il part s’installer au Chili durant les années de l’Unité populaire, sous Salvador Allende. Après le coup d’État de Pinochet, il arrive en France, en 1974, avec un visa de «court séjour», en attendant l’attribution par l’OFPRA de son statut de réfugié. Avec ce dernier, il obtient une carte de travail. Pédopsychiatre, Manuel Valente Tavares est aussi un militant associatif et participe à de nombreuses actions pour la défense des droits des immigrés en France. Ainsi, à travers son regard d’écrivaine, Danielle Lambert suit l’itinéraire biographique de Manuel Tavares. Émouvant par sa simplicité et son aspect poétique, son texte tente d’appréhender les principales étapes d’un destin individuel. La voix du narrateur est celle d’un oncle. Elle surgit dès le début, mystérieusement, d’un lieu où «règne des pierres, où je ne suis plus qu’un nom et deux dates», comme un testament posthume: «Manuel, mon cher et tendre neveu, je sais que tu me reviendras. Lorsque tu seras allé au bout de celui que tu es. Tu comprendras qu’on ne va jamais nulle part. On revient». Mêlant sa subjectivité à celle de son interlocuteur, Danielle Lambert parvient, tout au long de cette nouvelle et avec une extrême sensibilité, à explorer toute la dimension humaine d’un parcours personnel. Par ailleurs, le lecteur ne sera certainement pas déçu en lisant les autres neuf nouvelles de ce volume, toutes aussi intéressantes et émouvantes. Ce recueil sera présenté le 17 février prochain à la Maison du Portugal André de Gouveia, Cité Universitaire de Paris.