LusoJornal / António Marrucho

Opinion: Chronique de l’autre Portugal – le Portugal qui se meurt, le Portugal qui résiste?

L’automne est là… l’été joue les prolongations au Portugal.

Septembre 2018 a été le plus chaud depuis 1925. Sur les autoroutes on annonce: «interdit de fumer dans les forêts jusqu’au 15 octobre… interdit de faire des feux de broussailles».

Nous en revenons après une semaine de repos dans notre intérieur, dans l’intérieur de notre Portugal. Retour aux sources. Lesquelles? Voyage souvenir? Voyage initiatique?

Il s’agit d’un village de Beira Baixa, bien loin des circuits touristiques, bien loin de Lisboa, Porto et de l’Algarve. Bien loin de certaines préoccupations (embouteillages, la consommation à outrance…), d’autres préoccupations y prennent une toute autre importance.

Village qu’au mois de juillet et août voit sa population se multiplier par 4… le retour aux sources.

Le mois d’août écoulé, le village reprend sa torpeur habituelle, les maisons y sont plus nombreuses que le nombre de personnes qui les occupent, majoritairement du troisième âge.

Un luxe, toutefois, si on compare à certains villages des alentours, le nombre d’habitants s’y comptant sur les doigts d’une main. Dans le village, la dernière naissance remonte à il y a de cela 36 ans!

La chapelle est équipée d’une sono. C’est elle qui d’une certaine façon rythme les demi-heures… on a le temps, on prend le temps (?) de compter le coup des heures.

Le prêtre y vient une fois par mois. Il est jeune, lui: 36 ans. La messe est le rassemblement mensuel. On était 15 l’autre mercredi… la moitié du village. Elle est belle la chapelle, toute rénovée. Les euros sont toutefois les bienvenus… entretenir les saints ce n’est pas gratuit.

Deux cafés font de la résistance, des papys, deux couples octogénaires, ils donnent vie au village. Qu’en deviendra du village, de ces deux lieux de rencontres, de communion, de partage d’ici quelques années, d’ici peu?

Les saisons rythment les travaux dans les petits lopins de terrain, on ne cultive plus, en général, qu’aux abords de la maison familiale. 2018 n’a pas été propice, on cueille toutefois les rares raisins pour faire son «vinhinho» destiné aux familiers ou amis en visite.

La forêt a repoussé, après avoir été complètement détruite par un immense feu qui a duré 8 jours, il y a de cela 15 ans. Belle forêt, mais qui n’est plus source de richesse monétaire, de salaire. On n’exploite plus la résine, on peut encore y trouver ici et là des vestiges du passé, le pot en argile.

Ici et là, des nouveaux chemins s’ouvrent dans les forêts pour permettre d’évacuer le bois, de faciliter le travail des pompiers au cas où… Cela permet aussi de rejoindre les éoliennes qui peuplent l’horizon.

Il y a des chemins, des restes de chemins, souvenirs du passé… un arbre coupe le chemin. Il a eu le temps de pourrir sur place.

On se demande à qui appartient telle forêt, tel bout de terrain. Quelques-uns tiennent encore à ces bouts. Des pierres récemment implantées, délimitent.

Les oliviers de mamie? Plus possible de les reconnaître, leur résistance a été vaincue par des ronces envahissantes… un combat inégal.

Jusqu’au début des années 1970, toutes les maisons avaient des chiens, bien utiles pour la chasse qui permettait d’enrichir le repas et de garder dans l’huile le lapin grillé. De quoi déguster dans l’année et de quoi offrir a la GNR (la Gendarmerie portugaise) pour qu’elle ferme les yeux sur la culture clandestine de tabac.

Les feux ont décimé la faune. On rencontre, toutefois, encore à la tombée de la nuit au bord de la route, le renard et parfois des cailles avec progénitures. Le sanglier y est chassé… on sait le préparer. Pour le déguster, on vient parfois de loin.

La rivière en bas chante encore. Toutefois l’eau passe en ne faisant plus tourner les meules des moulins qui la peuplaient.

Eh oui, Mr l’archéologue du XIIIème siècle… là existait un moulin dans les années 1970, il a été délaissé, abandonné à son triste sort. Pourtant l’eau ne le fatiguait pas, il faisait vivre et donnait à manger aux villageois. En 2018, des vestiges, le squelette était encore visible. Combien de temps pour être enseveli?

Il y a de cela 10 ans, nous avons encore pu visiter l’intérieur d’un moulin à huile dans le village. Depuis, la clé n’ouvre plus la porte. Pourvu que la résistance de la porte soit un signe de préservation de ce qui reste à l’intérieur, évitant pillage et casse. De dire de villageois, il a fallu 8 paires de bœufs pour transporter le tronc qui aidait à l’écrasement des olives.

Que faire de ces vestiges, dans des villages loin du flot de touristes, loin des villes et où la préservation exigerait le rachat de parts, du moulin à huile par exemple, à une vingtaine de familles propriétaires?

Signe des temps, vestige d’un passé récent, le 21 octobre 2000 restera gravé sur le marbre et sur la mémoire des villageois. On y inaugure un pont, un petit pont qui donne accès aux villages au-delà. Cela nous fait penser à l’arrivée des Américains sur la lune, que nous transformons en: «une petite infrastructure, un grand pas pour les villageois».

Dommage que cela arrive si tard. Le dernier enfant né au village venait tout juste de devenir adulte, l’école du village est un lointain souvenir.

La route qui conduit au village est, depuis un quart de siècle, macadamisé, internet et portable passent de mieux en mieux. Une approche qui ne cache pas un éloignement auquel ce type de village a longtemps été voué.

La solitude y est présente pour une bonne partie des quelques habitants qui peuplent le village. Une solitude à laquelle on s’habitue?

Solitude, signe d’abandon, de souffrance, mais pour qui vient de la ville, de l’étranger, peut être une manière de se ressourcer, un lieu où l’on se donne le temps de penser, de partager, voir d’écrire… de vous écrire.

Le silence y régnait ce dernier samedi de septembre. Silence interrompu par une tronçonneuse qui s’acharnait sur un chêne-liège tricentenaire. Le malade avait, en plus, des branches qui risquaient de tomber sur des fils électriques.

Et pourtant…

Des signes de résistance, de renouveau existent dans ce petit village:

Un couple franco-portugais fait parler du village, la presse fait des articles, les clients apprécient la qualité du safran qu’ils y produisent.

Comme partout ailleurs, le monde des abeilles y souffre, on ne fait plus qu’une récolte au lieu de deux dans l’année. Il est bien foncé le miel du village… pour nous, le meilleur entre les meilleurs.

Des fontaines ici et là sèchent, d’autres coulent encore. Elles auraient de quoi écrire sur les rencontres et dires qu’elles ont entendues.

Il y a des gestes qui marquent, il y a des gestes qui émeuvent. Et pourtant quelques-uns pourraient dire: «à quoi cela sert, à quoi cela sert là». Nous répondons: «c’est d’autant plus méritoire». Combien d’autres beaux gestes ne sont-ils faits… qui restent anonymes?

Nous cherchions à faire des photos du village. Nous croisons Filipe avec un seau. L’accompagnaient trois enfants, trois adolescents. Ils venaient de rentrer des vendanges et au fond d’un seau ils tombent sur un lézard. Un lézard rare… et là Filipe prend le seau aux enfants et libère dans la nature ce spécimen rare. Merci Filipe pour le geste, merci pour l’exemple donné aux enfants.

Un geste simple, mais si important pour la préservation. Geste voué à l’anonymat, mais qui restera ici gravé.

Beaucoup d’entre vous pourront dire: cela ressemble à mon village… Vous avez raison.

Nos propos – que cela reste entre nous, les gens du village tiennent à une certaine paix (!?) – nous ont été inspirés par une petite annexe d’un village quelque part au Portugal: Descoberto.

Le temps y passe, des villageois qui voyagent vers l’au-delà partent avec des histoires, des dictons…

Le village résiste. L’espoir… une culture.

Le village va-t-il récolter l’effort de quelques-uns qui rénovent maisons, qui y implantent piscines?

La réponse ne nous appartient plus, en grande partie, mais à nos enfants, qui peut-être choissiront ce petit village, ces petits villages, pour se ressourcer, se reposer, perpétuer.

L’avenir est là.