Poésie: “Légendes de l’Inde”, de Luís Filipe Castro Mendes

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“Qu’est-ce que je fais ici, / entre dieux farceurs / et programmes d’ordinateurs?». Telle est la question, parmi d’autres, que se posait Luís Filipe Castro Mendes en rédigeant son poème «Un orientaliste se confesse», en Inde, lorsqu’il y était Ambassadeur du Portugal (2007-2011). On pourrait dire que cette interrogation, à demi ironique et à demi sérieuse, constitue l’un des fils conducteurs de «Légendes de l’Inde» (éd. Wallada, 2020, bilingue, traduction d’Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin), livre présenté le 7 juin dernier à la Librairie Portugaise et Brésilienne de Paris, en présence de l’auteur, de Patrick Quillier, poète et traducteur, de Jorge Torres Pereira, Ambassadeur du Portugal et de João Pinharanda, Conseiller culturel auprès de l’Ambassade du Portugal.

Né en 1950, poète et diplomate portugais, ancien Ambassadeur en Hongrie, en Inde, à l’Unesco (Paris) et au Conseil de l’Europe (Strasbourg), Ministre de la Culture du Portugal entre 2016 et 2018, Luís Filipe Castro Mendes compose depuis l’âge de quinze ans. Auteur de onze livres de poésie rassemblés récemment dans un seul volume, traduit en plusieurs langues, il a également réuni une anthologie de ses poèmes pour le Brésil et rédigé deux fictions.

Comme s’il voulait expliciter la question qu’il posait plus haut, le poète ajoute, dans le poème «La méduse Inde»: «Trois ans de vie avec toi / et je n’arriverai jamais à te comprendre. […] Tes trois cents millions de divinités nous saluent / dans un rire qui te recrée à chaque instant / et qui nous, nous pétrifie». Ainsi, face au paradoxe de l’Inde, il assume son ignorance d’Occidental. Mais, dans une tentative «de déconstruire des stéréotypes et d’exorciser le remords postcolonial, que ce soit du côté européen ou du côté indien, dans un discours qui passe tantôt par un pragmatisme diplomatique, tantôt par un humanisme universalisant», selon les mots de l’éditrice Françoise Mingot-Tauran, dans son avant-propos, Luís Filipe Castro Mendes nous entraîne dans un passionnant et fascinant voyage, réel et mythique, à travers «son» Inde, vue par un Portugais d’aujourd’hui, mais aussi à travers celle qui est inscrite dans la littérature et l’histoire de la colonisation portugaise concernant l’Orient, tout en sachant que «l’Histoire est toujours celle des vainqueurs», précise le poète. Et parmi les témoins de l’époque figure le chroniqueur Gaspar Correia (1495-1561), auteur de l’important ouvrage «Lendas da Índia», dont Luís Filipe Castro Mendes s’est inspiré pour intituler son livre et libeller son épigraphe.

Même si Luís Filipe Castro Mendes prend soin, dans plusieurs poèmes, de nous dire comment il fait sa poésie et de nous avouer qu’il ne sait «répondre à la vie que par des poèmes», la structure de ses poèmes et l’organisation générale du recueil sont très proches du journal, fidèle à la tradition portugaise du «diário». Il s’exprime fréquemment à la première personne et enrichit abondamment ses poèmes de références culturelles, convoquant, par exemple, de nombreuses voix poétiques portugaises qui ont côtoyé l’«Orient portugais», comme Luís de Camões, Camilo Pessanha, Fernão Mendes Pinto ou bien, beaucoup plus proche de nous, José Augusto Seabra (son prédécesseur à New Delhi).

Parmi les nombreux épisodes qui jalonnent son «expérience indienne», citons celui raconté dans le poème «Calicut: ici a débarqué Vasco de Gama», dans lequel, avec une fine ironie Luís Filipe Castro Mendes, poète, mais aussi habile diplomate, crée un jeu de miroir à cinq siècles de distance entre deux événements: entre l’arrivée de Vasco de Gama à Calicut, le 18 mai 1498, reçut par le souverain local (le Samorin) et la visite que Luís Filipe Castro Mendes lui-même va rendre à un descendant direct du Samorin qui dirige un collège à Calicut: «Le Samorin nous attend! Nos pauvres présents vont-ils / une fois de plus provoquer sa colère? / Nous montons dans la voiture, après avoir dit merci / en espérant que cette fois l’audience se passe mieux!» Cette scène est d’autant plus truculente lorsque nous savons que l’attitude de Vasco da Gama en arrivant à Calicut fut très mal perçue par le Samorin et les marchands locaux. Une scène bien éloignée de l’image de Vasco de Gama dans les «Lusiades» de Camões.

Par ailleurs, très attentif à la réalité du présent et toujours soucieux de comprendre cette Inde «aux trois cents millions de divinités», dans le poème «Les Ghâts» (marches qui descendent vers le Gange et qui sont utilisées comme lieux de crémation), il évoque le thème de la mort, avec un réalisme étonnant: «Ils n’ont pas peur de regarder les morts, / ils sont très peu à s’occuper d’eux, / il y a celui qui prépare le bois et l’entasse, / celui qui enveloppe le corps dans les linges, / le purifie dans les eaux sacrées / et offre au fils aîné la torche pour allumer le bûcher».

Enfin, soulignons, outre la postface intitulée «Un orientalisme tiré au clair?», de Duarte Drumond Graga, la présence de plusieurs belles illustrations, dont celle de la couverture qui représente les navires de Vasco de Gama arrivant à Calicut – gravure de Roque Gameiro, XIXème siècle – avec cette observation de Luís Filipe Castro Mendes: «Représentation emblématique d’une certaine vision historiquement fausse mais idéologiquement réelle, des voyages maritimes des Portugais».

 

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