Flash sur le bilan économique de Jacques Chirac

La mort de Jacques Chirac scelle certainement la fin d’une génération de Grands Hommes politiques. Pourtant, le bilan de ses deux présidentielles au-delà même du personnage exceptionnel qu’il incarnait reste mitigé statistiquement et contradictoire politiquement, notamment par rapport à ses promesses de campagne (cohabitation et partenaires politiques du même camps décevants).

Particulièrement marqué par les effets du choc pétrolier de 1973 (il était dans le gouvernement de Valéry Giscard D’Estaing comme Ministre de l’Agriculture et du Développement rural à ce moment-là), Jacques Chirac avait connu la première récession française depuis 1945. Proche du dilemme sportif «on n’est jamais aussi bon que lorsque l’on a vu le précipice de près sans tomber dedans» ou «que l’on a touché le fonds en remontant», Jacques Chirac avait plus qu’à cœur de se racheter en menant une véritable réforme de la France avec fermeté et ténacité.

En 1995, il promet de remettre de l’ordre dans les finances publiques jugeant sévèrement l’explosion de la dette publique et de combattre la fracture sociale. En 2002, il promet une baisse de 30% de l’impôt sur le revenu en 5 ans en pariant sur une croissance de 3%. Quel bilan établir des deux présidences de Jacques Chirac dans le domaine économique et social.

1) Concernant les faits économiques, son bilan nous paraît mitigé. Sur le train macroéconomique la période 1995-2007 est marquée par un léger ralentissement de la croissance économique (en volume). En 1998, le taux de croissance du PIB en volume est de 3,5% contre 2% en 2007 à la fin du quinquennat. Mais il faut aussi préciser que le taux moyen de croissance du PIB en volume sur la période 1995-2007 de la France, dépasse celui de l’Allemagne, comme aujourd’hui du reste. Ce résultat est obtenu principalement par une belle reprise de la consommation des ménages sur les périodes présidentielles malgré une légère érosion du pouvoir d’achat, ce qui n’est pas contradictoire puisque cette période chiraquienne est aussi caractérisée par une très légère baisse de l’épargne. L’inflation apparaîtra maîtrisée passant de 1,8 à 1,5%, la consommation des ménages se portant de plus en plus vers les produits importés. Malheureusement les déficits commerciaux n’ont cessé de se creuser ce qui est aussi une conséquence de l’accroissement de la demande extérieure.

Entre 1995 et 2007, le climat des affaires s’améliore dans l’industrie (on se souvient aussi de son attrait pour la politique industrielle et nucléaire sous Mitterrand). De même, la productivité horaire est équivalente à celle de l’Allemagne sur les périodes présidentielles (1,7% en moyenne). Evidemment, 2002 c’est l’euro fiduciaire qui arrive, le point de départ à une Europe financière très critiquée pour son incapacité à aller de l’avant vers une Europe plus collective.

Coté social: Les dépenses publiques ne baissent pas et les postes de fonctionnaires, 800.000, sont créés pour justement permettre la baisse du taux de chômage: réussite ou échec de la politique sociale? Les français se sont quand même globalement sentis heureux si l’on en croit les indicateurs de bien être qui évoluent cependant moins positivement que le PIB par habitant. Le taux de chômage lui, s’est plutôt légèrement amélioré passant de 10,2% à 8,6%. Pourtant les inégalités de richesse se sont accrues pendant ses présidentielles (il ne s’agissait que le début d’un processus). La période Jospin a en outre permis de fortes créations d’emplois que l’on attribue souvent à la mise en place des 35H en 1998.

2) Promesses non tenues, cohabitation avec le PS et amis politiques n’offrant pas une image consolidante pour lui, son bilan nous paraît parfois en contradiction par rapport à ce qu’il représentait à droite.

Homme de droite, Chirac évoque rapidement la lutte contre la fracture sociale et les inégalités. Si d’une certaine façon ce n’est pas le chômage qui a pêché contrairement à ce qui est souvent avancé du fait de sa phrase «le chômage un remord permanent» (la question du chômage n’étant pas d’ailleurs étrangère à celui qui avait donné l’impulsion à l’ANPE), en revanche la question des inégalités a certainement obligé le Président à composer avec. Sur ce terrain, faut-il rappeler que le chômage a bondi de 35% sous Nicolas Sarkozy (confronté certes à l’une des plus graves crises financières de tous les temps). Mais en dépit de ses promesses, les inégalités se sont accrues.

Autre sujet, si dès 1995 il promet de remettre de l’ordre dans les finances publiques jugeant sévèrement l’explosion de la dette publique, celle-ci se creusera en augmentant de 9% pour culminer à 63,9% fin 2006. Le remboursement de la dette devient le 3ème poste de dépense de l’Etat et les investissements finissent par patiner.

Enfin, il promet en 2002 une baisse de 30% de l’impôt sur le revenu en 5 ans et parie sur une croissance de 3% trop élevée par rapport à la réalité. Cette promesse est abandonnée quelques années mais au final des baisses d’impôts substantielles pour les classes les plus aisées auront été votées. 2002 c’est aussi l’euro fiduciaire, point de départ à une Europe financière qui rapidement deviendra une Europe à deux vitesses.

C’est dans ce contexte finalement tendu socialement, le chômage s’installant par ailleurs structurellement dans bon nombre de pays de l’OCDE, que le premier gouvernement Juppé annonce sa volonté de supprimer, déjà, les régimes spéciaux de retraite et réformer par là même la Sécurité sociale. C’est le printemps de Prague, où plutôt l’hiver français de 1995. Ce plan Juppé est très mal perçu et ce n’est pas loin de 2 millions de grévistes qui bloquent la France. Les transports ne fonctionnent plus: l’on se souvient, à Paris, devoir prendre les Bateaux-mouches pour aller à l’Université. Le gouvernement doit démissionner alors que Jacques Chirac voulait faire de cette réforme la pierre angulaire de son édifice. Il dissoudra l’Assemblée en 1997 et Jospin entre au gouvernement, c’est le début de l’époque sociale avec la loi sur les 35H en 1998. Cette loi restera l’une des plus controversées de l’histoire. Créatrice ou pas créatrice d’emplois, cette période montre un redressement de la France sur le front de l’emploi et du chômage. Quant à la prochaine réforme des retraites, il faudra attendre 2003 sous l’égide de François Fillon. Un revirage à droite proche de l’homme qu’il était. Les destins de ses partenaires politiques laisseront une saveur mitigée à un homme politique qui restera dans l’histoire de France.

 

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