Humberto da Silva, jeune réalisateur: la génération libérée

Dans notre mémoire sur l’immigration portugaise dans la ville de Roubaix, que nous avons présenté en 1983, un des constats était que les jeunes portugais de l’époque étaient ceux qui avaient le moins d’études parmi toute la population française, la raison étant de faire, dans un minimum de temps, le maximum d’économies pour rentrer au plus vite au Portugal. Nous appellerons la deuxième génération: «la génération sacrifiée».

Nous sommes actuellement à la 3ème génération, nous l’appellerons «la génération libérée».

Il serait intéressant de faire une étude comparative sur les études et la position hiérarchique de ces jeunes de la 3ème génération. Nous sommes persuadés qu’entre 1983 et nos jours, la balance s’est complètement renversée. Nos jeunes ont des études et occupent des positions importantes dans la société.

LusoJornal a choisi de donner la parole à un de ces jeunes, le jeune réalisateur Humberto da Silva.

 

Pouvez-vous nous présenter l’association que vous dirigez?

Je fais partie d’une association – Frame Club – qui a comme concept de redonner un cadre au cinéma indépendant Lillois. Cela passe par des projets amateurs encadrés de A à Z par des professionnels, jusqu’à la diffusion, dans différents bars et lieux, des projections ciblées. Retrouver une rigueur de travail, développer des projets solides et sensibiliser le public à s’intéresser aux cinéastes de sa région, c’est ce que nous essayons de faire au Frame Club. Elle a été créée en mars 2018. On se limite à la métropole Lilloise pour le moment mais on voudrait bientôt proposer des projets et des diffusions en dehors de la métropole. Le but étant aussi de développer le cinéma indépendant dans la région car c’est un domaine qui intrigue et intéresse beaucoup aujourd’hui et je suis persuadé que Lille peut devenir une nouvelle ville du cinéma.

 

S’exprimer sur youtube c’est bien, mais face à un public c’est mieux?

C’est mieux car la technologie n’a pas encore remplacé l’humanité. Youtube n’est pas une salle de cinéma c’est simplement un hébergeur de vidéos en ligne. Je pense que la plupart des gens sont d’accord pour dire que regarder un film comme Star Wars sur son smartphone et dans une salle de cinéma, ce n’est pas la même expérience. J’aime entrer en contact avec les gens, entendre leurs points de vus et en discuter. Avec la musique, le cinéma a cette faculté de se partager, de fédérer, il crée de la discussion et du débat. Les nordistes sont assez bavards et curieux, ils aiment s’intéresser à de nouvelles choses et à de nouvelles expériences, c’est pourquoi privilégier les projections publiques me parait logique pour m’exprimer.

 

Nous vous avons entendu parler de «la réussite avant le succès». Pouvez-vous développer?

C’est une phrase que je répète souvent, en effet. Aujourd’hui on a tendance à mettre excessivement en valeur la finalité d’un projet et la gloire qui l’entoure. A force, on en vient à penser que tout projet doit avoir du succès. Réussir quelque chose c’est faire en sorte d’avoir su monter un projet de A à Z tout en gardant une cohérence, c’est un accomplissement personnel qui force le respect de soi. Le succès est un élément qui comporte beaucoup de variables et qui nécessite des compétences spécifiques, du temps et de l’expérience. Donc j’ai tendance à répéter à ceux qui veulent aller trop vite ou qui ne s’intéressent qu’à la gloire, qu’avant d’avoir du succès il faut déjà savoir réussir. C’est un peu comme vouloir franchir la ligne d’arrivée en premier d’un marathon, sans n’avoir jamais couru auparavant.

 

Depuis début juin vous projetez votre court métrage dans les bars de la métropole lilloise. Dans quel but?

En effet, j’ai projeté mon film «Coup de Cœur» dans cinq établissements qui ont un public et une identité différentes – La Rumeur, La Bobine, Le Lovibond, Le Macondo et Le Switch. Il devient de plus en plus difficile de faire déplacer un public dans une salle quand ce dernier à accès à tout grâce à internet et les services d’hébergement comme la VOD ou Netflix. Je suis conscient que le monde change et que les habitudes aussi, alors, à notre échelle, nous essayons de retrouver ce cadre en mélangeant l’expérience d’une salle de cinéma et l’accès rapide à du contenu audiovisuel. Les bars sont le bon compromis entre boire un verre dans un endroit qu’on apprécie et donner quinze minutes de son temps à s’intéresser à un film. De ce que je peux témoigner, c’est que le concept fonctionne, car mon film a été très bien accueilli par les Lillois qui ont également félicité cette initiative.

 

Quels œuvres cinématographiques peut-on visionner sur internet? Et quels sont vos sujets de prédilection?

Une partie de mes films est sur mon compte youtube, Humberto da Silva. J’ai réalisé énormément de projets, mais je ne retiens que sept films et une série qui représente la vision que j’ai du cinéma et du monde. Dans mes films, je mets souvent en scène des personnages en quête d’identité et en conflit avec leur environnement plus ou moins imaginaire. J’aime mettre en scène des personnages qui réfléchissent et doivent prendre des décisions, ce processus mental me fascine. Les toilettes reviennent dans 3 de mes projets, ce n’est pas volontaire, mais inconsciemment cela va avec mon désir de créer des films originaux et surprenants. Les toilettes sont des endroits où l’on est souvent seul avec soit même et où l’improbabilité qu’il s’y passe quelque chose est élevé d’où l’intérêt de surprendre le spectateur.

 

Habitué à l’humour, votre dernière réalisation est plus sérieuse. Des expérimentations?

J’ai toujours suivi mon style qui se situe entre la comédie et le drame avec des pointes de fantastique. J’ai beaucoup réalisé de courts-métrages et de petits sketchs portés essentiellement sur l’humour dans le but de fédérer et toucher un public plus large. Pour la plupart ce ne sont pas des projets qui s’inscrivent dans ma filmographie et j’ai dû patienter longtemps avant d’avoir les conditions réunies pour réaliser un projet ambitieux comme «Coup de cœur». C’est un film dans lequel mon style se démarque vraiment. J’aime raconter des histoires sous un angle qui n’a pas encore été exploré, avec une image qui parle d’elle-même. C’est pour cela que mes films comportent généralement peu de dialogues et énormément de musiques. J’aime travailler l’esthétique d’un plan et les couleurs pour montrer comment un environnement influe sur mes personnages.

 

Avez-vous participé à des concours, des festivals?

J’ai participé à pas mal de festivals de court-métrage. Je peux en citer quelques-uns que j’ai en tête comme le «Welcome to» de Dick Laurent, auquel j’ai participé à deux reprises en tant que comédien et une fois en tant que membre du jury jeune. J’ai également participé au Ciné Mèlies [ndlr: qui se nomme aujourd’hui «La nuit du film court»] avec mon film «Le miroir du monde» qui a remporté le Prix de la meilleure esthétique.

 

Avez-vous travaillé pour des marques?

J’ai travaillé pour Zodio, Nature & Découvertes, Promod et Décathlon, entre autres. Concernant les clips, en tant que réalisateur, je n’ai jamais eu l’occasion d’en réaliser, mais j’aimerai beaucoup, car c’est un genre et une manière de travailler qui se rapproche de celle de mes films. Mon quotidien est également très lié à la musique.

 

Avez-vous des projets en cours, personnels ou avec le Frame Club?

Pour le moment, je me consacre à l’exploitation de mon dernier film, en continuant des projections publiques en dehors de la métropole. Je travaille actuellement sur la bande annonce du film, avant sa publication en ligne sur Facebook, Youtube et Vimeo. Pour les projets, je ne peux pas vous en dire trop, car on y travaille encore avec mon équipe, mais je peux vous dire que nous préparons, entre autres, une émission cinéma et un concept de petits court-métrages mensuels. Concernant mon prochain film, j’ai plusieurs scénarios en tête, j’y réfléchis, certains sont même déjà prêts à entrer en production. Je n’ai pas encore décidé lequel.

 

Et votre rêve?

Réaliser un film aux Etats-Unis! J’y pense depuis tout petit à vrai dire, mais j’aimerais, en parallèle, contribuer à faire de Lille, la deuxième, voir la première ville cinéma de France. J’ai beaucoup d’ambition, je sais (rires). Qui ne tente rien, n’a rien vous me direz, mais ici à Lille ce n’est pas impossible. Toutes les conditions sont réunies, il faut juste que les gens y croient et se soutiennent mutuellement. Cela met du temps car les gens du cinéma sont des personnes difficiles à convaincre.

 

Autre thème que vous souhaiterez aborder?

J’aimerai juste dire aux jeunes et à tous ceux qui veulent se lancer dans le cinéma, de ne pas hésiter, de n’écouter que leurs premières intuitions et de ne pas avoir peur d’échouer car l’échec est formateur. Il ne faut pas avoir peur non plus de demander de l’aide, car monter un projet audiovisuel c’est un travail d’équipe, personne n’est parfait, c’est pour cela que les compétences individuelles permettent la réussite collective. Un film doit être jugé pour ce qu’il est et transmettre quelque chose à son spectateur, donc il ne faut pas avoir peur d’ouvrir son cœur pour dire ce que l’on ressent. Personnellement je considère qu’une image vaut mille mots, aussi bien qu’un silence peut exprimer beaucoup de choses et puis de toute façon, le cinéma est muet de naissance.

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LusoJornal