I Guerre mondiale : La séduction, la sexualité au sein du Corps Expéditionnaire Portugais


Il y a des sujets rarement traités. Toutefois, ne font-ils pas partie de l’histoire, ne doivent-ils pas faire partie de l’histoire ?

Nous évoquerons dans ce texte, la sexualité lors de la I Guerre mondiale, tout spécialement au sein du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP). N’est-pas un élément important pour le moral des troupes ? Y-a-t-il deux métiers plus liés que le soldat et la prostitution ? Même s’il ne faut pas voir uniquement de la prostitution, mais aussi de l’amour dans ce que nous allons raconter.

Tant chez les Allemands, que chez les Anglais et les Français, le sujet a été pris en considération et des mesures concrètes ont été prises. Qu’en est-il du côté CEP ?

Contrairement aux pays cités, le Portugal n’a pas prévu de règles, n’a pas organisé… il a laissé faire, infligeant des punitions ici et là quand il y avait de la violence, des retards dans le retour de permissions.

Le Capitaine David Magno, dans son «Livro de Guerra de Portugal na Flandres», écrit pages 50 à 52 : «…filles ou mères, jeunes filles ou mondaines, toutes occupées avec quelque chose d’honnête, à vendre de la bière, tabac ou des cartes postales ou à cultiver la terre de l’aurore au crépuscule, échangeant de vivres, une vie de va et vient de la chance et de l’indolore bonne ou mauvaise volonté d’individus que les entourent. Les uns des anges, d’autres des démons, les uns amoureux, d’autres odieux… cependant beaucoup d’entre elles, filles de la guerre, ont immensément contribué à adoucir la souffrance physique et moral de notre soldat, déterré de sa patrie et du monde de ses plaisirs, retrouvant dans l’âme féminine, tout spécialement française, de quoi attacher son cœur à la terre, son corps étant lié à la guerre…».

Plus loin David Magno écrit : «…lors de l’avancée du 24 (ndlr : numéro du régiment) vers le front ou en visite d’instructions, officiers, sergents et soldats, indistinctement, disent aurevoir familièrement à la population française, notamment les femmes, physiquement et spirituellement très agréables».

Dans le roman, édité récemment en France, de José Rodrigues dos Santos «Oubliés», dont le titre en portugais est «La fille du Capitaine», dans le chapitre V, le thème, évidemment romancé, y est abordé : «une jeune fille maigre, un tablier sale sur le ventre, zigzaguait souplement entre les tables bondées, avec des verres de bière blanche au bout des doigts. Baltazar, le Vieux, la vit et tendit la tête : – t’es bonne ! rugit le vétéran. Mademoiselle coucher avec moi ? Elle était habituée aux avances des soldats… Baltazar but une gorgée de bière… aujourd’hui, on doit aller aux putes. Baltazar se tut. Matias et Abel les rejoignent, et tous quatre avancent dans la rue en silence… le bordel se trouvait à l’angle de l’avenue principale de Merville, ils s’y dirigent lentement… M’sieurs ! Appela le gamin. Vous voulez ma sœur ?… Combien ? Cinq francs. C’est pas cher, dit Balthazar… cette gamine n’a pas plus de 14 ans, chouchoute Matias en secouant la tête… elles, c’est un besoin, expliqua Baltazar. Mais des enfants c’est un péché… Ils marchaient maintenant sur les trottoirs animés de l’avenue principale de Merville… jusqu’à déboucher devant un bâtiment de couleur brique face auquel un nombre considérable de soldats étaient rassemblés. C’était la porte du bordel, dont le nom, ‘Le Drapeau Blanc’, était écrit sur une pancarte rouge au-dessus de l’entrée. Ouah ! Commenta Baltazar. Que des gens en détresse. Les soldats faisaient la queue, ils devaient être plus d’une centaine. Anglais, Écossais et Portugais… Le bordel avait été créé par les autorités françaises… Il existait des maisons closes pour officiers, plus discrètes et plus chères… les soldats se contentent de versions industrialisées et rapides… – Oui il y a beaucoup de monde, confirma Matias.

– Combien il y a des filles là-dedans ?

– On m’a dit qu’elles étaient trois.

– Trois… répéta Matias en faisant mentalement les comptes.

– Te fatigue pas, on a déjà fait le calcul, dit Victor. Nous sommes 120 et elles trois, ce que fait 40 hommes par pute. À raison de cinq minutes pour chaque affaire, ça fait 200 minutes à peu près…

– Peut-être devrions-nous retourner voir la réfugiée, plaisantait-t-il. Ce sera toujours plus rapide et moins cher.…

Matias avait appris que chacune d’elles servait l’équivalent d’environ un bataillon chacune par semaine. Elles travaillaient aussi longtemps qu’elles en avaient la force et l’énergie. La limite était de trois semaines. Après avoir passé trois heures dans la file d’attente du Drapeau Blanc, leur tour arriva…

– Dix francs

– Merci, mademoiselle, très bonne».

André Brun dans son livre «O bom humor no CEP» raconte également quelques scènes, tel que : «à un moment donné, la sympathique dame s’est rendu compte qu’elle comprimait en excès son maigre compagnon de voyage. Retournant la tête, elle dit avec la plus grande des douceurs du monde : – Excusez-moi, je vous serre trop. À quoi André Brun, avec son meilleur sourire répond : – Oh Madame ! Je vous en remercie même !»

Thème que nous retrouvons page 76 du livre «A Saga de um Combatente na I Guerra Mundial – De Chaves a Copenhaga» de Gil Manuel Morgado dos Santos e Gil Filipe Calvão Santos.

C’est sans nul doute, dans le livre d’Isabel Pestana «Das trincheiras com saudade» que le thème de la sexualité dans le CEP est le plus longuement traité : 6 pages.

On y parle du jeu de la séduction des soldats portugais qui occupaient une partie des temps libres, s’échappant parfois même à leurs tâches militaires. La langue n’était pas un obstacle.

Isabel Pestana, cite des dires de Pedro de Freitas qui se plaint de l’avantage des soldats anglais par rapport à eux, soldats portugais : «Toutes les après-midi, ils sortent (les Anglais) les bras enlacés avec les ‘misses’ en promenade aux abords du canal, on les retrouve couchés avec elles à l’ombre des arbustes… ça nous faisait mal, nous nous sentions avec les mêmes nécessités, nécessités qui étaient exagérées par de longues périodes d’absence forcée. L’Angleterre a prévu tous les besoins de vie… elle a envoyé en France des régiments de femmes militarisées pour diverses occupations… nos camarades anglais étaient des chanceux».

Une rivalité s’est parfois créée entre les soldats anglais et portugais, à l’origine de bagarres : les demoiselles françaises appréciant bien plus le charme exotique des Portugais, à la rigidité du soldat anglais.

Dans le livre/bande dessinée du Capitaine Menezes Ferreira (de son nom complet João Guilherme de Menezes Ferreira) «João Ninguém, soldado da Grande Guerra, impressões do CEP 1917-1917» en page 29, écrit : «Le contact de João Ninguém avec les vieilles dames aux foulards blancs, servait de premier pas pour conquérir le cœur des mademoiselle, ses jeunes filles qu’ont dans leur regard le bleu de nos cieux. Le discours pour trouver fiancée c’est toujours le même : mademoiselle, vous fiancé moi après la Guerre finie ?

Un amour volubile qui flirte avec toutes les jeunes filles des fermes, que se laissent séduire par les yeux noirs, il n’est pas étonnant que le petit portugais soit le gentil souvenir qui restera aux mademoiselles, de leur passage par la France».

Des relations qui peuvent, comme dit Isabel Pestana, en citant João Pina de Morais : «se transformer dans des relations plus solides, où l’expérience de l’amour et du plaisir sexuel arrivent, indépendamment du passé, des cadeaux matrimoniaux et de la différence de cultures, du vécu et de la linguistique des intervenants… la relation amoureuse, majoritairement éphémère, pouvant souvent conduire aux fiançailles, voir au mariage, les combattants portugais optant par rester en France après l’Armistice… La séduction, l’amour et le plaisir sexuel expérimenté par les soldats du CEP avec la population féminine civil, ont créée des moments, plus ou moins longs, plus ou moins sentis, d’évasion au répressif quotidien de la guerre : dans les bras de la femme choisie, le combattant oubliait les dangers vécus dans les tranchées, la répression inhérente et l’expérience imposée par l’espace militarisé masculin».

Quand les permissions le permettaient, les soldats ou officiers s’aventuraient plus loin de leurs bases, cherchant l’amour rapide, les bordels. Pedro de Freitas décrit : «à Calais, dans une rue presque en bord de mer, on reconnaît les maisons par ses chiffres métalliques, plus grands que ceux de la numérotation des autres habitations… on y retrouvait une grande quantité de gens cosmopolite qui rient, qui boivent, qui dansent, jouent du piano, etc., cherchant le plaisir spirituel, mais aussi charnel… Dans une rue transversale, dans la même ville, une belge dans une maison, ou plutôt dans une simple chambre, exerçait son malheureux métier… dans la rue une énorme queue de soldats anglais, pendant qu’assise sur une chaise, à la porte, avec un bâton à la main, une vieille dame régularise les entrées. Le gamin (soldat) devait volontairement économiser mensuellement les francs, pour gaspiller dans cette distraction momentané».

Beaucoup de soldats du CEP partiront avec beaucoup de reconnaissance et de beaux souvenirs des femmes françaises. Ils raconteront au Portugal, toute l’affection reçue de la part des femmes françaises. David Magno leur rendra hommage dans son écrit, il les appellera «ces filles de la guerre».

Dans les écrits romancés sur le thème, le récit rejoint souvent la réalité, un récit parfois cru, décrivant le vécu, des soldats qui ont osé témoigner.

Chose toutefois très étonnante, c’est le fait que dans une Note du Serviço de Estatisticas do CEP, en date du 20 mai 1919, soit indiqué le chiffre de 1.601 morts au sein du CEP sans qu’aucune maladie sexuellement transmissible en soit la cause, à moins qu’ils soient considérés dans les 6 morts par maladies ignorées ou mal définies ou par les 41 morts dont on ne connaît pas les causes !

Selon certaines statistiques, au moins 20 à 30% des soldats ont attrapé la syphilis durant les premières années de Guerre.

En France non occupée, les autorités travaillent à partir de 1916 sur l’éducation sexuelle du soldat basée avant tout sur la morale chrétienne et donc l’abstinence, pour faire diminuer le risque. Devant le non-résultat de cette politique, au dernier semestre du conflit, l’État-major français franchit un palier en important le concept des «bordels militaires de campagne» (BMC), avec un contrôle sanitaire des jeunes filles toutes les semaines, celles contagieuses étaient écartées.

Dans les rangs des autres belligérants de la Grande Guerre, le problème est aussi présent, cependant la réponse n’a pas toujours été la même.

L’Armée américaine interdit tout simplement à ses hommes la fréquentation des maisons closes. «Ils préfèrent contrôler leurs soldats avec le système suivant : tout homme qui a un rapport sexuel, doit se présenter dans les trois heures qui suivent dans une station de prophylaxie où des soins lui sont donnés. S’ils sont malades sans avoir suivi la procédure, on leur prend la moitié de leur solde».

Quant aux autorités britanniques, elles ne font rien en vertu de l’Habeas Corpus, la loi anglaise garantissant la liberté individuelle : «Aucun contrôle n’est possible. La seule mesure qu’ils prennent, c’est de s’aligner sur les Américains au printemps 1918 en interdisant l’accès aux maisons closes». Il y avait chez les Anglais la position officielle et la pratique officieuse, comme en témoignent les récits des soldats du CEP, cités plus haut.

Les Allemands ont une attitude bien différente. La présence de près de 2 millions de soldats allemands, en moyenne, dans les territoires occupés, situés à proximité du front, renforce la demande de prostituées. Le Kronprinz lui-même, lorsqu’il réside à Charleville, siège de l’État-major allemand sur le front ouest, fait venir dans ses quartiers 12 des prostituées issues des ‘Maisons de tolérance’. Pour les Allemands, la prostitution est donc un mal nécessaire qu’il faut contrôler. Ainsi, dans ce but, le 25 septembre 1914 a lieu une rencontre entre les autorités allemandes et les représentants des autorités françaises restés sur place dans les régions envahies. Le 13 octobre, les différentes kommandanturs sont chargées de nommer un médecin allemand pour superviser les «visites médicales hebdomadaires auxquelles sont soumises les filles publiques». Ceci explique que seulement 15% des prostituées fréquentant les maisons closes étaient malades chez les Allemands.

La prostitution est considérée, par les autorités allemandes, comme un accompagnement du soldat, nécessaire pour le moral des troupes qui combattent loin de chez elles, dans un pays étranger.

Contrairement aux «Femmes à Boches» qui se sont données librement aux Allemands, les prostituées ne sont pas inquiétées à la fin de la guerre : elles ne sont pas soupçonnées de trahison, les autorités et la population considèrent qu’elles faisaient leur métier. Elles continuent le plus souvent leur activité, en se soumettant aux contrôles médicaux, auprès des Armées alliées qui ont libéré leur région.

Combien d’enfants sont nés de relations illégitimes entre membres du CEP et des demoiselles françaises ? Enfants qui n’ont jamais connu leur père, rentrés au Portugal à la fin de la guerre. Il y a quelques récits, quelques doutes (lire ICI)… impossible de chiffrer.

Le jeu de séduction, les amours des soldats du CEP envers les demoiselles françaises, conduira sensiblement à ce qu’autour de 2.000 combattants restent en France, se marient et créent une famille. Familles qui de nos jours, 100 ans après, cherchent parfois à savoir s’ils n’ont pas des descendants au Portugal, voire à créer des liens, des amitiés… Ce sont des histoires de l’histoire.

LusoJornal