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La Nuit des Fados au Cenquatre: un succès et quelques regrets

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Le Cenquatre (104), dirigé par le très inventif José Manuel Gonçalves, est un des équipements culturels majeurs de la Ville de Paris, qui accueille aussi bien les associations de quartier que des figures de premier plan de la scène culturelle.

Pour la première fois, il a programmé une Nuit des Fados ce vendredi 28 mai. Un succès puisque le public répondit à l’appel, un public un peu différent du public habituel des concerts de fado, largement composé de non-lusophones et dont une bonne partie découvrait ce soir-là le fado.

Un programme un peu novateur, alignant deux artistes stars de la scène fadiste, António Zambujo, en solo, et Mariza, et ses musiciens, le duo Lina-Raul Refree et leur fado «expérimental», et le duo Fado Bicha, avec leur fado «détourné». Ce fut donc bien une Nuit des Fados et pas une Nuit du Fado.

 

Il revint à António Zambujo, tout en décontraction, le soin d’ouvrir la soirée, nous offrant un savoureux cocktail des titres qui ont jalonné sa carrière. Des textes ciselés cueillis aux meilleures sources de paroliers portugais contemporains, avec ce savoureux mélange d’émotion et d’ironie qui le distingue parmi les fadistes de premier plan, avec aussi ses emprunts à d’autres genres musicaux, canto alentejano, Brésil, jazz, qui nous rappelle que Zambujo n’est pas seulement fadiste, mais prend toutes ses aises dans son répertoire avec les codes et les thèmes du fado traditionnel.

Concluant sa prestation par Reader’s Digest, savoureuse et narquois critique de la vie médiocre sur un rythme de (presque) fox-trot, il salua le public, en lui exprimant son plaisir de retrouver Paris, «d’autant plus qu’il a Roland Garros et Real-Liverpool qui va commencer». Ainsi va Zambujo.

 

Mariza retrouvait Paris trois mois après son concert au Grand Rex. Même robe lamée or, qu’on peut trouver, comment dire, heu, suggestive, mêmes musiciens, à l’exception du formidable Luis Guerreiro à la guitarra, dont le remplaçant, excellent, n’eut pas le même impact sur le groupe, même répertoire, un peu abrégé. Un hommage à Amália («Foi Deus», «Lágrima», «Barco negro»), une morna, un tango, un peu de Brésil, des mélodies un peu guimauve. Toujours la science de Mariza dans les ruptures de rythme, parfois un peu forcées ce soir-là, son aisance sur scène avec un vrai talent de danseuse, la précision des arrangements (un peu corsetés parfois). Et à l’occasion, un léger voile dans la voix. Bref une exécution quasi parfaite de la part d’une immense artiste. On eut aimé plus de spontanéité, source de plus d’émotions.

 

Lina et Raul Refree sillonnent avec succès la France depuis plus d’un an. Lina commença sa carrière, voici une quinzaine d’années, en tant que Lina Rodrigues, puis Carolina, et maintenant Lina. Raul Refree est un musicien compositeur et producteur barcelonais, réputé dans son pays et féru de musique électronique.

Lina a une voix superbe que l’accompagnement de Raul met bien en valeur. Le duo Lina-Raul Refree reprend surtout les grands thèmes chantés par Amália et réarrangés par Raul.

Une atmosphère planante qui peut séduire. Est-ce du fado? Oui, puisque ce sont des fados qui sont chantés. Oui, parce que Lina est une fadiste. Non, parce les guitares sont absentes, et avec elles la sensualité que ne peut égaler la musique électronique. Non, parce que le léger swing du fado, cette «note absente» (qu’il partage avec le jazz, les musiques sud américaines, la morna…) est complètement gommé.

Bravo pour avoir tenté l’expérience, mais attendons impatiemment le retour de Lina à un fado plus acoustique.

 

Tiago Lila, chanteur, et João Caçador guitare électrique sont deux amoureux du fado. Tiago fréquenta une école de fado, mais s’en éloigna, peinant à supporter un certain machisme dans le milieu du fado. João continue à tenir la viola dans des maisons de fado. Ils ont formé, en 2017, le duo Fado Bicha (fado gay, ou fado queer) qui a maintenant pignon sur rue. Ils sont barbus, maquillés outrageusement, chaussés de talons aiguilles et vêtus de façon plutôt féminisée. Leur spécialité: détourner les musiques de fados traditionnels très connus avec des paroles nouvelles illustrant leur appartenance (militante) au milieu LGBT et leurs convictions antiracistes. «Nous faisons du fado-intervenção», dit Tiago Lila, en référence aux fados politisés qui fleurissaient avant la dictature et les «canções de intervenção» des Zeca Afonso, Vitorino, José Mário Branco et consorts.

Est-ce vraiment du fado? Plutôt oui, car Tiago Lila chante plutôt bien dans le style fado, les musiques sont du fado. Qui rejoint aussi certaines traditions, certes marginales mais vivaces de fados humoristiques ou bien jocosos, dont la grande Herminia Silva fut la figure de proue. Dommage qu’il n’y ait pas de guitare portugaise, cet instrument si emblématique du fado et bien rarement présente dans cette Nuit des Fados, qui prit fin avec l’intervention de DJs, que je manquai: Il était tard, et j’avais hâte d’aller visionner le replay de Real-Liverpool. Mon côté Zambujo sans doute.

 

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LusoJornal