Nella Gia

Le fado et la diaspora portugaise: une initiative de Mémoire Vive/Memoria Viva à Aubervilliers

Dans le cadre du Festival Villes des Musiques du Monde, l’association Mémoires Vives a pris l’initiative d’un moment culturel et convivial, le samedi 31 octobre, au cinéma Le Studio, à Aubervilliers (*).

Dès 11h00 est prévue la projection du film Souvenirs d’un futur radieux, de José Vieira, à propos de l’époque des bidonvilles, suivie d’un débat avec le réalisateur. Un déjeuner suivra, puis, à 15h00, un concert de fado avec la voix prenante de Tânia Raquel Caetano, accompagnée par les virtuoses que sont Filipe de Sousa (guitarra) et Casimiro Silva (viola).

Certaines études évaluent à 70 millions le nombre de Portugais ou lusodescendants hors Portugal sur les trois dernières générations. La France en compterait environ 1,5 millions, troisième pays d’accueil après le Brésil et les Etats-Unis. Carlos do Carmo, célèbre fadiste, évoquait cette diaspora à Paris, lors de son dernier concert: «Ne croyez pas que les Portugais installés en France ou dans d’autres pays sont des immigrants. Non, ils recréent, inventent là où il sont un petit Portugal». Et de fait, nombre d’associations «portugaises» maintiennent ici bien des éléments de la culture, au sens large, de leur pays d’origine, organisant bals, banquets dédiés à la cuisine portugaise, sueca, cours de langue, danse, sports (surtout football et futsal, bien sur), débats, concerts…

Le fado, sans doute la plus ancienne des musiques urbaines, demeure bien vivant, et même en expansion, tant au niveau du Portugal qu’à celui de la scène musicale internationale. Pendant longtemps, il fut l’objet, au Portugal, de polémiques politiques. Musique d’origine populaire, prolétarienne même, il fut longtemps vilipendé par les classes dirigeantes, «musique de prostituées et de voyous» (ce qu’il fut aussi à ses débuts), menacé parfois d’interdiction. Il conquit peu à peu les classes moyennes, via notamment des pièces de théâtre où il apparaissait et l’intérêt que lui portèrent quelques aristocrates, les «marialvas» venus s’encanailler dans les bas fonds lisboètes, l’important parfois dans leurs palais (sans parler de leurs lits).

Musique populaire toujours, le fado va accompagner la montée de revendications républicaines, socialistes, anarchistes à la fin du 19ème siècle et au début du suivant, avec des textes très engagés, parfois violents, bien loin de la saudade que beaucoup mettent en avant (non sans raison, le fado, c’est aussi çà). Ce «fado de gauche» fut attaqué, avec violence aussi par les éléments les plus réactionnaires de la société revigorés par l’Estado Novo.

C’est le musicologue Luiz Moita qui «théorisera» ces critiques dans son livre Le fado, chanson de vaincus, dénonçant à la fois sa supposée faiblesse musicale, sa dangerosité politique, sa vision défaitiste du monde (pas de place pour la saudade pour le doutor Moita). António Ferro, ancien républicain devenu Ministre de la propagande de Salazar, ne suivit pas complètement Moita, qui proposait d’«éradiquer» le fado. Il en musela par la censure toute velléité contestataire et en fit la «chanson nationale», qui eut un succès touristique spectaculaire et fut diffusée dans tout le pays par la radio alors naissante.

Contrecoup injuste mais prévisible, le fado fut, après le 25 Avril, assimilé à la dictature. Après avoir été conspué par la droite, le voilà qui le devenait par la gauche. Il s’en remit au bout d’une dizaine d’années, musique qui ne cessa jamais d’être «do povo». Mais plus seulement.

Revenons en France et à la diaspora portugaise. L’arrivée massive en France eut lieu dans les années 1960/70. Deux sources principales: échapper à la misère, pour plus des trois quarts d’entre eux, et échapper à la dictature et/ou aux guerres coloniales.

Pour les premiers, ils viendront très majoritairement des zones rurales du nord ou du centre du Portugal (où le fado ne faisait que faiblement partie de leur héritage culturel). Les seconds, souvent des étudiants, des intellectuels, des militants politiques, plus souvent issus des zones urbaines, et partageant la prévention contre le fado (les fameux «3 F, fado, Fátima, futebol» symbolisant les armes de la dictature pour endormir les masses). Malgré tout, là où il y a présence portugaise, il y a fado.

Ma mémoire encore vive me rappelle cette soirée de 1969. A Suresnes, en banlieue parisienne, peut-être la première soirée de ce genre en France. Robert Guillermet, un comédien, y animait un Centre culturel, et voulut organiser une soirée de fado. Il m’avait demandé de lui trouver des artistes, je lui ai amené Joaquim Silveirinha, très estimé à Lisboa et devenu en France ouvrier, et fadiste le soir, qui succomba à un cancer quelques années plus tard, et Isaura Gonçalves une bonne fadiste de Lisboa qui avait alors un contrat dans un restaurant portugais, faisait des ménages le jour, et deux guitaristes qui travaillaient au restaurant (et hôtel) Ribatejo, où se croisaient les ouvriers clients de l’hôtel et des petits entrepreneurs, dont certains allaient faire de petites ou confortables fortunes…

La ville de Suresnes avait organisé des bus pour faire venir les émigrants portugais des environs, souvent logés, si on peut dire, dans les tout proches bidonvilles de Nanterre. Ils n’étaient jamais allés, pour la plupart, à un spectacle, ils n’avaient probablement jamais vu chanter le fado, venant pour la plupart de villages du nord du Portugal, où le fado était rare. Ils sont entrés timidement dans cette modeste salle, ils ont écouté, beaucoup ont pleuré.

Le fado n’est sans doute pas la chanson nationale, mais comme dit je ne sais plus quel poète populaire, il est dans un coin du cœur de chaque portugais.

Aujourd’hui, lorsque viennent se produire en France les vedettes du fado venues du Portugal, même si une majorité, parfois courte, des spectateurs est d’origine française (vogue des musiques du monde, qualité des interprètes), le public lusophone répond présent, y compris parmi les classes populaires malgré le prix élevé des places. Un coin dans le cœur de chaque portugais. Ici comme au Portugal, le fado attire des jeunes interprètes souvent talentueux, portugais installés ici, lusodescendants, et même français d’origine.

Ici comme là-bas, nous avons en Ile de France une école de fado (l’Académie de fado à Vincennes). Un coin, seulement un coin, car il est tout aussi vrai que bien des portugais ou lusodescendants ne s’intéressent pas au fado. Mais, de toute façon, les chemins du fado et de la diaspora ne cessent de se croiser et, parfois, de se mêler.

 

(*) Le Studio, 2 rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers. Il est possible de participer soit à la totalité de l’initiative, soit à l’une ou l’autre de ses composantes.

 

Renseignements et réservations:

09.61.21.68.25

lestudio.billetterie@gmail.com

 

[pro_ad_display_adzone id=”37509″]

LusoJornal