LusoJornal / Dominique Stoenesco

L’exil des femmes portugaises sous la dictature de Salazar

L’association Memória Viva et l’Association d’Exilés Politiques Portugais 61-74 ont organisé, dimanche dernier 7 octobre, à la Maison du Portugal André de Gouveia (Cité Universitaire de Paris), une rencontre/débat sous l’intitulé «Histoires d’exils de femmes portugaises sous la dictature de Salazar».

Cette rencontre faisait suite à la publication des deux volumes d’«Exílios», en 2016 et 2017, par l’AEP61-74, dans lesquels une cinquantaine d’exilés, déserteurs ou réfractaires témoignent non seulement de leur opposition à la guerre coloniale et au régime dictatorial avec lequel ils n’acceptaient pas de pactiser, mais aussi de leurs parcours individuels.

Plusieurs de ces témoins étaient présents à la Maison du Portugal, dont deux femmes, Teresa Couto et Merita Andrade.

Après le mot d’accueil d’Ana Paixão, Directrice de la Maison du Portugal, Ilda Nunes a présenté l’Association Memória Viva dont elle est la Présidente. Depuis sa création en 2003, cette association a réalisé, en partenariat avec d’autres associations ou organismes, de nombreuses actions: mise en ligne de son site internet, projections de films, interviews filmées, expositions de photos, conférences/débats, concerts et, tout récemment, la constitution d’un fonds d’archives sur l’immigration portugaise, déposé à la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine de Nanterre.

C’est en entamant à capella la chanson «Eles comem tudo» (Ils dévorent tout), de José Afonso, qu’António Paiva, ancien déserteur et membre de l’AEP61-74, a pris la parole pour rendre hommage au combat mené par les femmes exilées contre la dictature et rappeler leurs luttes sociales en France auprès de leurs compatriotes, mais aussi auprès d’autres travailleurs étrangers. Après avoir rappelé ce que fut la période de résistance au régime salazariste et l’opposition à la guerre coloniale avant le 25 avril 1974, quand «le Portugal a pu enfin sortir des ténèbres», il a évoqué son propre parcours.

Arrivé en France clandestinement, comme 70.000 autres déserteurs et réfractaires, António Paiva a joué un rôle politique et culturel actif, non seulement en France mais aussi au Luxembourg, notamment à travers le Teatro Operário. Par ailleurs, sa participation à l’action syndicale pour la défense des droits des travailleurs immigrés et pour leur alphabétisation a été intense et constante.

Invitée également à cette rencontre, Claudie Lesselier, historienne et militante féministe, engagée dans la défense du droit d’asile des femmes exilées, a souligné qu’il n’était pas toujours possible, concernant les Portugais, de faire la distinction entre les exilés et les émigrés, contrairement, par exemple, à ce que l’on pouvait observer dans le cas du Chili, du Vietnam, du Cambodge ou du Brésil, où, dans les années 70 l’exil politique prédominait largement.

Elle a aussi évoqué l’exil récent des femmes, en particulier des femmes venues d’Afrique ou d’Amérique du Sud, surtout des milieux artistiques, qui, en constituant des groupes de femmes, donnent une dimension féministe à leurs revendications concernant notamment les discriminations sexistes, les violences faites aux femmes, le viol ou l’enlèvement d’enfants.

La projection de deux entretiens avec des femmes portugaises exilées, réalisés par l’Association Memória Viva, a permis au public de suivre les témoignages et les parcours de Teresa Couto et de Merita Andrade, toutes deux exilées à Grenoble, en janvier 1970 pour la première et en octobre 1970 pour la seconde.

Avant d’arriver à Grenoble, où elle a travaillé tout d’abord «pour des patrons portugais qui l’exploitaient», Teresa Couto n’avait eu aucune activité politique au Portugal. C’est grâce à l’ODTI (Organisation de Défense des Travailleurs Immigrés) de Grenoble qu’elle a pu trouver un travail de femme de ménage, régulariser sa situation, commencer à participer à la lutte contre la guerre coloniale (vente du journal «O Alarme» dans les marchés, par exemple) et à prendre part à diverses activités sociales comme les cours d’alphabétisation en français ou le planning familial.

Quant à Merita Andrade, son arrivée à Grenoble dans une période où les échos révolutionnaires de Mai 68 résonnaient encore, n’a fait que l’encourager dans son combat contre le colonialisme et pour une société plus juste. C’est également au sein de l’ODTI et du Comité des Déserteurs qu’elle aidera les jeunes déserteurs ou réfractaires et qu’elle mènera son action sociale en faveur de l’émancipation des femmes, solidairement avec d’autres travailleurs étrangers (Algériens, Tunisiens et Italiens, entre autres) et soutenue par des amis français qui dénonçaient les dictatures de Salazar et de Caetano.

Le débat qui a suivi ces témoignages a été modéré par Sónia Ferreira, anthropologue à l’Université Paris Diderot et membre de l’association Memória Viva.

D’emblée, une question de l’assistance, posée par un homme, a provoqué une levée de boucliers. «Je ne vois pas – avait-il lancé – l’intérêt du témoignage de ces femmes, car ils relèvent plutôt du fait divers que de l’engagement politique».

Pour Claudie Lesselier, bien au contraire, «ces femmes faisaient de la politique au quotidien»; pour Marie-Christine Volovitch-Tavares, historienne et membre de Memória Viva, leurs témoignages ont un double intérêt: sur le plan historique, mais aussi social et citoyen car ces femmes «ne s’enferment pas dans une thématique de groupe, elles agissent dans un esprit d’ouverture vers d’autres femmes immigrées»; une autre personne dans l’assistance souligne que lorsque ces femmes évoquent la question de l’avortement il ne s’agit pas d’un simple «fait divers»; pour Gracinda Maranhão, avocate, «la difficulté de parler de ces questions persiste encore de nos jours et c’est tout à l’honneur de ces femmes d’en parler».

Puis le débat s’est échappé vers d’autres thèmes tels que le(s) communautarisme(s) et ses nombreuses interprétations et interrogations, avant la partie finale de la rencontre, consacrée au concert «Hydrolyse», de Philippe de Sousa.

Plus habitués à le voir et à l’entendre comme guitariste et accompagnateur de fado, à travers ce concert Philippe de Sousa nous surprend. De façon non conventionnelle, il a offert au public des compositions et des improvisations à géométrie variable, étonnantes!