LusoJornal | Dominique Stoenesco LusoJornal | Dominique Stoenesco LusoJornal | Dominique Stoenesco Home Cultura Rencontre avec la réalisatrice brésilienne Lúcia Murat à la SorbonneDominique Stoenesco·29 Outubro, 2024Cultura Le jeudi 24 octobre, dans le cadre du projet de recherche intitulé «Processus de création artistique dans les aires hispanophones et lusophones», une Master Class avait lieu dans la Salle des Actes, à la Sorbonne, en présence de la réalisatrice et productrice Lúcia Murat. La session, organisée et animée par Alberto da Silva, Maître de conférences et chercheur au CRIMIC (Centre de recherches interdisciplinaires sur les mondes ibéro-américains contemporains), à la Sorbonne Université, fut suivie de la projection du dernier film de Lúcia Murat, «O Mensageiro», au cinéma l’Écran, à Saint-Denis. Lúcia Murat avait 23 ans lorsqu’elle fut arrêtée et torturée pendant la dictature militaire au Brésil, la période des «années de plomb» (1964-1985). Sa détention, qui a duré presque quatre ans, a marqué profondément sa vie et sa filmographie. Au cours de la Master Class, elle a pu évoquer son itinéraire personnel et professionnel, qui sont intimement liés. La question du processus de création, depuis l’écriture d’un scénario jusqu’à la production d’un film, son tournage et sa diffusion, fut abordée et illustrée par les bandes-annonces de ses nombreux films. Née en 1948, à Rio de Janeiro, après un début d’études en Économie, Lúcia Murat s’engage très tôt dans le mouvement étudiant, en 1968. En décembre de cette même année, expulsée de l’université, elle rejoint le Mouvement Révolutionnaire 8 octobre (MR-8), un groupe de guérilla qui luttait contre la dictature. En 1971 elle est arrêtée et torturée de nombreuses fois. Cette période de sa vie se retrouve dans son travail, aussi bien dans ses documentaires que dans ses fictions. L’intérêt de Lúcia Murat pour le cinéma se développe durant les années 1980, quand elle a l’occasion de diriger plusieurs films et de réaliser des documentaires pour la TV Educativa et la TV Bandeirantes. Dans son premier long métrage, «Que bom te ver viva» (1988), la cinéaste explore les questions politiques et féminines à travers les témoignages, entrecoupés de fiction, de femmes torturées pendant la dictature militaire. D’ailleurs, une des caractéristiques des réalisations cinématographiques de Lúcia Murat est qu’ils sont souvent en équilibre entre le documentaire, qui exige un énorme travail de recherche, précise-t-elle, et la fiction qui permet d’avoir un autre regard sur les événements. «Que bom te ver viva» a été élu meilleur film par le jury officiel, par le jury populaire et par la critique au Festival du Film de Brasilia, en 1989. Au cours des années 1990, après la production de quelques documentaires de court et moyen métrage, elle dirige «Doces poderes» (1996), un long métrage de fiction dont la protagoniste est une journaliste responsable d’une chaîne de télévision qui, à l’occasion d’élections politiques, doit faire face à des débats idéologiques et éthiques. Puis d’autres films se suivent, parmi lesquels «Brava gente brasileira» (2000), qui évoque les conflits entre Portugais et populations indigènes au XVIIIè siècle ; «Quase Dois Irmãos» (2004), vainqueur du meilleur film ibéro-américain au Festival de Mar del Plata ; «Uma Longa Viagem» (2011) et «A memória que me contaram» (2013). Dans son dernier film, «O Mensageiro», primé plusieurs fois au Ier Festival International du Cinéma de Paraty (Brésil), en août 2024, Lúcia Murat revisite les années de la dictature à travers l’histoire de Vera, une jeune femme emprisonnée en 1969 dans une forteresse militaire en raison de son engagement politique. Pendant sa détention, elle rencontre le soldat Armando, un jeune homme d’origine rurale. Face à la cruauté et aux tortures dont il est témoin, Armando accepte de transmettre des messages de Vera à sa famille, ce qui le rapproche de Maria, la mère de Vera. Malgré les différences sociales, une relation émotionnelle improbable commence à se développer entre le soldat et la mère de la prisonnière. Le film explore ce lien, montrant comment, au milieu des horreurs de la répression, il est possible de trouver des moments d’humanité et de solidarité. Répondant aux questions de l’assistance, Lúcia Murat précise que durant le gouvernement de Bolsonaro il y a eu la volonté d’effacer de la mémoire collective cette période et qu’à travers ce film elle voulait montrer à la nouvelle génération ce que furent les «années de plomb» de la plus longue dictature militaire de l’Amérique latine. Ses films, nous dit encore Lúcia Murat, sont souvent inspirés de faits qu’elle a vécus en prison et s’appuient sur la réalité politique et historique du Brésil de cette époque. Cependant, précise-t-elle, ses films ne se présentent pas derrière l’étiquette «cinéma politique». Il s’agit avant tout, pour Lúcia Murat, de préserver une mémoire, de rappeler les horreurs de la dictature, d’évoquer l’extrême polarisation qui régnait dans la société brésilienne et aussi de montrer, en plein cœur de la tragédie, sa capacité d’exprimer une forme d’humanité. En effet, dans la plupart des films de Lúcia Murat, la question de la relation à l’Autre est bien présente.