Lusa | Mário Cruz

Fado Bicha : En marge (féconde) du Fado

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C’était le dernier samedi de mai. Paris était baigné par le soleil et caressé par un climat presque estival. La salle chaleureuse, cossue de l’Espace Cardin, sis au milieu des jardins du bas des Champs Elysées, accueillait Fado Bicha, le groupe de fado «queer», un duo récemment renforcé par un troisième partenaire, discret mais efficace. Lila Tiago (ou encore Lila Fadista) en est la voix, João Caçador tient la guitare électrique, et le nouveau venu, Larie, est un multi-instrumentiste brésilien.

Lila est passé par une école de fado traditionnel («mais j’ai vite compris que je ne me sentais pas à ma place dans ce milieu»), João est connu comme violiste (et parfois chanteur) dans les maisons de fado, où il continue de jouer régulièrement. Le fado, ils en connaissent les racines, l’histoire et se sont largement servis de cette connaissance pour construire leur répertoire.

Ils sont aussi militants de la cause homosexuelle, souvent victime, nous le savons, de discriminations ou de rejets. Cette militance s’étend à d’autres sujets : le racisme, les dictatures, le colonialisme, l’exclusion sociale. Ils sont aussi curieux d’autres genres musicaux (jazz, rock, latino, electro…).

Le concert de Fado Bicha, c’est donc un curieux mélange de meeting politique (Lila s’exprima longuement pour relier leur répertoire avec les combats qu’ils défendent, avec conviction, mais n’oubliant pas l’ironie), de rock, un peu, sur des compositions personnelles, de zestes d’autres genres musicaux et, principalement… de fados dont les musiques sont des classiques du genre et les paroles arrangées par eux : ainsi, ‘O namorico da Rita’ devient ‘O namorico do André’, ‘Júlia Florista’ devient ‘Lila fadista’, ‘Lisboa não seja francesa’ devient ‘Lisboa não seja racista’ (ou fascista, car Fado Bicha ne porte pas dans son cœur l’extrême droite portugaise).

Fado Bicha reprend aussi les textes et musiques originaux de fados «historiques», tels le ‘Fado do ciúme’, ‘Não digas mal dele’ ou ‘O rapaz da camisola verde’ (du poète Pedro Homem de Melo) tous trois chantés par Amália Rodrigues, ou encore ‘A mulher do fim do mundo’, de l’immense chanteuse brésilienne Elza Soares, défenseuse des droits des noirs et des femmes, récemment disparue.

Il y a plusieurs façons d’aller écouter du fado : dans les maisons de fado, on entendra des voix et des guitares (parfois une contrebasse ou des percussions), où on appréciera la proximité avec les artistes, une liberté certaine de tons et, au Portugal, la présence le plus souvent, de plusieurs voix de fadistes, ce qui est rare en France où seuls ‘Les Affiches’ à Paris et ‘O Fado’ près de Strasbourg programment régulièrement plusieurs voix. Les concerts, dans des salles plus, voire très, importantes, accueillent le plus souvent, en France, des artistes réputés venus du Portugal. Certains de ces artistes sont accompagnés par des guitares, comme dans les maisons de fado. C’est le cas, par exemple, de Camané, Katia Guerreiro, Carla Pires… D’autres y joignent des instruments supplémentaires (Mariza, António Zambujo, Ana Moura…). Des éclairages parfois sophistiqués sont mis en place, il y faut des réglages sonores parfois complexes : nous entrons alors dans le domaine du show. Et c’est celui où se situe Fado Bicha. Attention ! Le show n’exclue pas la sincérité, il la rend un peu plus difficile.

Fado Bicha a suscité des polémiques au Portugal. Celles concernant les choix des fados ou les orientations sexuelles du groupe nous semblent clairement infondées, voire grotesques. On peut cependant regretter l’absence de guitare portugaise (même si João Caçador tente parfois de faire «sonner» sa guitare électrique comme une guitarra), élément constitutif de ce qu’est le fado.

On peut ne pas aimer l’aspect «show», alors que le fado, c’est une symbiose entre un texte et une musique. Mais il est difficile de nier que l’«esprit fado» est très présent chez Fado Bicha. Un fado différent, en marge, mais une marge féconde. Et l’engagement politique de certains textes nous rappelle, pour celles et ceux qui connaissent un peu l’histoire du fado, ces années républicaines d’avant la dictature, où le fado fut une arme politique, étouffée par l’Estado Novo et sa censure.

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