Fado : Ce printemps, Lisboa a enchanté ParisJean-Luc Gonneau·Cultura·27 Junho, 2024 Le printemps vient de s’achever, voici donc le moment de revenir sur les événements qui ont marqué la saison pour le monde du fado en France. Si certaines stars «mondialisées» du fado se font plus rares (Mariza, Ana Moura, Carminho…) que les années précédentes, une constellation d’artistes de talent, très ou moins connus, qui font le bonheur des nuits fadistes lisboètes, est venue illuminer celles de Paris. Lina a ouvert le bal en mars. Elle avait déjà fait une vaste tournée en France avec l’espagnol Raul Refree, présentant un fado tout électronique pour accompagner sa voix cristalline, qui rappelle un peu celle de Tereza Salgueiro, la vocaliste du défunt groupe Madredeus. Elle a cette fois présenté au Studio de l’Ermitage, des musiques de fados traditionnels sur des poèmes de Camões, accompagnée par un piano, une guitarra (l’excellent Pedro Viana) et, encore, de l’électronique : une musique volontairement minimaliste qui peut enthousiasmer ou désorienter. En avril, António Zambujo, star «mondialisée» dont on ne compte plus les prestations en France, est revenu pour deux superbes soirées au Théâtre de la Ville, en duo avec le guitariste virtuose brésilien Yamandu Costa, maître de la guitare à 7 cordes. On connaît l’appétence de Zambujo pour d’autres musiques que le fado, et surtout pour la musique brésilienne. Au point qu’il se dit parfois que Zambujo, ce n’est plus du fado. En fait, Zambujo fait depuis longtemps du Zambujo, et dans ce Zambujo, il y a du fado, mais pas que, et le plus important, c’est que c’est toujours excellent, élégant, ironique aussi et d’une qualité musicale impeccable au service de textes toujours choisis judicieusement. Et démonstration fut faite, une fois de plus. Presque en même temps, Paris a découvert Ana Margarida, devenue depuis Ana Margarida Prado. Pour l’anecdote, j’avais rencontré Ana en mars à Lisboa, pour le plaisir de l’écouter et pour essayer de finaliser un projet de venir chanter en France évoqué quelques mois auparavant. Elle me confia alors préparer un CD sous l’égide du Musée du Fado (paru voici quelques semaines), et chercher à ajouter un patronyme à son nom artistique (il y avait alors deux Ana Margarida dans le paysage musical lisboète). D’où l’ajout de Prado. Elle a conquis le public, bienveillant mais exigeant des Affiches, antre du Coin du fado, avec cette simplicité, cette gentillesse et cette profondeur souriante qui peu à peu envoûte (et en première partie «notre» Tânia Raquel Caetano, épatante elle aussi), accompagnée en majesté par Filipe de Sousa à la guitarra et Mucio Sá à la viola. Le lendemain, Ana, Filipe et Mucio signeront un superbe concert au Théâtre Le Hublot de Bourges, à l’initiative de la sympathique Association Portugaise du Cher, avec l’appui technique du Coin du Fado. La première semaine de juin, nous avons retrouvé à l’Espace Boris Vian des Ulis la grande Katia Guerreiro, une des stars mondialisées du fado avec un nouvel accompagnateur à la guitarra, l’excellent Bernardo Romão, qui a rejoint les compères habituels de Katia, André Ramos à la viola et Francisco Gaspar (viola baixa). Parfait, émouvant, chaleureux, très fadiste, comme d’habitude, mais une habitude dont on ne se lasse pas. Une belle initiative de l’association ACPUO (Association culturelle portugaise Les Ulis/Orsay) avec un soutien technique de Viavox (l’agent pour la France de Katia, et aussi de Lina). Quelques jours plus tard, dans le cadre du Festival de l’Imaginaire, le Théâtre équestre Zingaro, à Aubervilliers, aménageait son magnifique décor pour se transformer en taverne lisboète d’Alfama et accueillir une escouade de fadistes parmi les meilleurs des maisons de fado lisboètes avec Helder Moutinho, frère de Camané, à la voix chaleureuse sur des paroles inspirées, et patron de deux maisons de fado lisboètes (Maria de Mouraria et Taverna da Bela), Joana Amendoeira, valeur sure du monde fadiste et directrice de Fama d’Alfama, maison de fado très créative, et Miguel Ramos (par ailleurs excellent violiste), qui apporte sa touche personnelle à la tradition fadiste «bairrista» dans la lignée du regretté Fernando Mauricio, accompagnés par les très réputés Paulo Parreira (guitarra), João Filipe (viola) et le jeune Ciro Bertini (viola baixa). Le public, attablé et qui pouvait aussi manger et boire pendant le concert, a bénéficié d’une très belle soirée, dont la présentation fut assurée avec bonhommie et compétence, par Mónica Cunha, qui est en France un des piliers de nos nuits fadistes, mais aussi bien connue dans les maisons de fado d’Alfama et chacun.e des artistes venu.es de Lisboa a été à la hauteur de leur renommée, sincères et sans chiqué. Ils ont aussi l’élégance de proposer, avant la desgarrada finale de convier les fadistes «locaux» présents (Mónica Cunha, bien sûr, et aussi Tereza Carvalho et l’auteur de ces lignes) à chanter chacun un fado : en tous points, ce soir-là, Lisboa a vraiment rencontré Paris, pour le plaisir de tous. Pendant ce printemps, nombre de restaurants ou d’associations ont organisé ponctuellement des diners ou des soirées de fado avec les artistes installés sur le territoire, les associations et établissements qui en organisent régulièrement, bimensuellement comme Portologia à Paris et O Fado près de Strasbourg ou mensuellement ou presque (Gaivota à Bry sur Marne, Saudade et Le Coin du Fado à Paris) ont suivi ce rythme tout le printemps. Comme chaque année, le fado va partir en vacances (en Ile de France, le Coin du Fado ferme la saison le 5 juillet aux Affiches). Il faudra donc aller au Portugal. Après, rendez-vous un peu partout en septembre.