Fernando Pessoa chez Marguerite Yourcenar au Mont Noir


Nous marchons et la phrase se dévoile : «La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas». Et… surprise : la phrase est de Fernando Pessoa, un sacré personnage, un sacré écrivain, un sacré poète… oh sacrilège (?) de la pensée de Pessoa, quand nous disons qu’il est sacré, lui qui a écrit, par ailleurs : «l’humanité est païenne. Jamais aucune religion ne la pénètre. Le pouvoir de croire à la survie de l’âme n’est même pas dans l’âme de l’homme ordinaire».

Revenons à la citation plantée, que nous aurions pu croiser sans la voir, au Mont Noir, en Flandre, juste à côté de la villa Marguerite Yourcenar. Il nous est arrivé, comme probablement à vous, de passer à côté de choses sans les voir, à l’exemple de deux expériences vécues, une déjà avec Fernando Pessoa, à Ostende (lire ICI) et la deuxième avec Vieira da Silva (lire ICI).

Mais qu’y-a-t-il de si proche entre Pessoa et Marguerite ? Ils auraient pu se connaître, car le premier est décédé en 1935, Marguerite avait 32 ans.

Mais est-il nécessaire de se connaître pour s’apprécier, pour apprécier l’art, l’écriture de l’autre ?

Fernando Pessoa a écrit dans la langue de Shakespeare le livre/poème en alexandrins Antinoüs, un long ‘lamento’ sur la mort du bel éphèbe, amant de l’empereur romain Hadrien (I-II°s. après J. C.). Leur amour inspira aussi Marguerite Yourcenar dans «Mémoires d’Hadrien».

La Villa Marguerite Yourcenar est un manoir de style néo-normand construit dans les années 1930 sur le domaine de l’ancien château détruit lors de la I Guerre mondiale et où Marguerite Yourcenar, romancière et académicienne, a vécu les neuf premières années de sa vie.

Marguerite Yourcenar a également vécu un moment dans la capitale du Nord, à Lille, pas loin de la maison du Général de Gaulle.

Belle forêt que celle du Mont Noir, bel environnement que celui de la végétation des alentours, un ancien lieu de contrebande, de batailles, des lieux qui nous font passer de la France à la Belgique sans qu’on s’en aperçoive… à moins que, voulant éviter un chemin trop boueux, vous mettiez le pied sur la prairie d’à côté et que tout d’un coup on vous insulte en flamand, aventure vécue par nous. Depuis, les chemins boueux sont devenus plus praticables grâce à mise en place de passerelles en bois.

Belle demeure, la Villa Marguerite Yourcenar a été transformée en résidence d’artistes depuis 1997 et 400 artistes y ont séjourné.

Trois écrivains portugais l’on choisit pour une période de villégiature : Pedro Rosa Mendes, du 2 mai au 29 juin 2006, Carlos Batista, du 3 septembre au 1er octobre 2007 et Lídia Jorge, entre le 1er et le 31 mars 2017.

La phrase écrite sur le panneau planté à quelques mètres de la Villa Marguerite Yourcenar a du sens, interroge. Elle serait un beau sujet du Bac, en littérature, voire en philosophie.

Il y a un dicton qui dit «on n’est jamais mieux servi que par soi-même».

Oui, la vie n’a pas suffi à Fernando Pessoa, la littérature étant sa raison de vivre, son grand mystère. On a compté jusqu’à environ 70 noms d’auteurs dans les œuvres de Pessoa, même s’il n’y a que trois qui sont considérés comme hétéronymes : Alberto Caeiro, Ricardo Reis et Álvaro de Campos.

La littérature va-t-elle au-delà de la vie, de notre vies ? Probablement. Toutefois, nous ne nous sentons pas comme spécialiste d’écrire sur ce qui est écrit, sur ce qui s’écrit : nous ne sommes pas critique littéraire. Toutefois, on peut dire de la littérature, qu’elle va au-delà de la vie, la création littéraire, le pouvoir de l’imaginaire dépasse la réalité du quotidien. Les écrits restent au-delà de l’homme, du mortel… parfois une forme, nouvelle forme d’appréhender l’homme qui a laissé sur papier ses pensées, ses désirs, ses blessures.

La littérature nous permet de voyager, de rêver, de nous évader, de nous émouvoir, de nous questionner, de nous révolter, de nous inspirer… Bref, de vivre plus intensément et plus librement que dans la réalité. La littérature nous apporte divertissement, enrichit nos connaissances, forge notre culture en nous permettant d’appréhender notre Histoire et reste un moyen de nous éclairer sur le monde dans lequel nous vivons.

Vivre sa vie est incroyable, c’est vrai, mais elle n’atteint jamais les rêves et les fantasmes que l’on s’est fixés.

En forme de boutade et de provocation, que serait le monde si Adam et Eve n’avaient pas péché ? Nous serions éternels, selon l’interprétation de ce qu’on considère une parabole. Que serait alors la vie, la création, la lutte pour des jours meilleurs, les objectifs… l’imaginaire… la littérature ? Ne doit-on dire merci à Adam et Eve ? L’être humain n’a-t-il pas besoin de limites ? Sommes-nous, notre pensée est-elle en mesure d’imaginer la vie comme étant éternelle ? La citation de Fernando Pessoa, «La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas». Aurait-elle un sens si Adam et Eve… Vous avez raison, nous divaguons…

Qu’ont-ils écrit, les trois écrivains portugais en résidence à la Villa Marguerite Yourcenar ?

Pedro Rosa Mendes est né en 1968, à Cernache do Bonjardim. Journaliste (il a été le correspondance de l’agence Lusa à Paris) et romancier, il a étudié à la Faculté de Droit de l’Université de Coimbra. Sa carrière comme journaliste débute en 1988 à l’hebdomadaire Jornal de Coimbra. Pedro Rosa Mendes a abandonné sa carrière de journaliste pour se consacrer à l’écriture. En 1997, il a traversé le continent africain de l’Angola au Mozambique, à pied et en stop et en a tiré son remarquable premier roman Baie des Tigres.

Carlos Batista est né en France, fils d’immigrés portugais, il a fait de sa double culture la matière de sa carrière et œuvre. En tant qu’écrivain, il évoque le déracinement, le racisme dans son livre «Le Poulailler», publié en 2005. C’est probablement à la Villa qu’est né son deuxième livre édité en 2009 : «L’envers amoureux».

Lídia Jorge est sans nul doute, l’auteur le plus connu du trio. Elle est née dans une famille d’agriculteurs et d’émigrants à Boliqueime (Loulé), exactement 6 ans après l’appel du 18 juin 1946. Lídia Jorge c’est une écrivaine du post-25 avril, auteure de romans, nouvelles, essais, poésie et chronique.

«Estuaire», livre de Lídia Jorge, édité en 2019, vient après le séjour à Villa Marguerite Yourcenar. Il y a dans le parcourt du personnage principal, Edmundo Galeano, probablement un peu du passage par le Mont Noir de Lídia Jorge. Edmundo qui a participé à une mission humanitaire revient dans la maison paternelle avec une main estropiée. Il est revenu pour écrire et passer les jours à essayer d’élaborer littérairement son témoignage. Un roman qui expliquera le monde et l’empêchera de courir à sa perte.

Le Mont Noir, un havre de paix, la Villa Marguerite Yourcenar, un lieu inspirant ou l’imaginaire est libre de construit l’œuvre, de quoi justifier, donner tout son sens à la citation de Fernando Pessoa :«La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas».

LusoJornal