Hoje morreu um fadista : Casimiro Silva est partiJean-Luc Gonneau·Comunidade·9 Janeiro, 2025 L’un des plus beaux poèmes du fado a pour titre «Hoje morreu um poeta». C’était l’un des préférés de Casimiro Silva et on peut en écouter sa très belle interprétation sur youtube. Le soir du 7 janvier, Casimiro, comme chaque premier mardi du mois depuis une vingtaine d’années, rejoint le restaurant Saudade, près du Châtelet, où il va rejoindre son compère Manuel Corgas pour accompagner l’invitée de cette soirée de fado, Joana Pereira. La salle est pleine, la guitarra de Corgas et la viola de Casimiro fournissent l’écrin musical qui convient à la talentueuse Joana. Le public est ravi. Casimiro rentre chez lui, un peu fatigué. Il a parfois, ces dernières années, de ces fatigues passagères. Il regarde un peu la télé, s’endort et ne se réveillera plus, parti au paradis des fadistes. Il y a une douzaine d’années, LusoJornal avait publié un article où Casimiro parlait de sa carrière. Rappelons-nous : «Dans le petit monde du fado francilien, impossible de manquer Casimiro Silva, homme tranquille, toujours serviable, parfois rêveur avec une lueur enfantine dans le regard, rarement bougon. Il a joué et chanté dans tous les lieux de fado de la région, a porté le fado dans nos provinces et dans les pays limitrophes. Et chaque année, il profite de ses vacances pour retrouver Lisboa et ses maisons de fado, et son Alentejo natal. Le fado, il y est entré par une grande porte, à 17 ans. Invité par des amis, il entre pour la première fois dans une maison de fado, est invité à y chanter et y est derechef embauché. C’est dans le Bairro Alto, «A Tipoia», en 1967, la maison tenue par la fadiste Adelina Ramos, où évoluent alors d’autres grands noms du fado : Manuel de Almeida, la trop oubliée Quinita Gomes, et le très grand guitariste Casimiro Ramos. Peu de temps après, il part pour le tout voisin «Solar da Hermínia», la maison de fado d’Herminia Silva, une légende du fado. C’est elle, son mari et Manuel de Almeida qui aideront le jeune Casimiro, pas encore ‘careca’, à obtenir la précieuse carte professionnelle, qui n’était que rarement délivrée à des mineurs. De prestigieux parrains ! Casimiro, jusque-là uniquement chanteur, commence alors à apprendre la guitare – la viola – aidé des conseils de ses pairs. Il travaillera ainsi notamment à Porto avec un autre éminent guitariste, Arménio de Melo, et une autre diva, Beatriz da Conceição. En décembre 1978, il est contracté pour un mois avec le guitariste et chanteur Carlos Macedo et Filipe Duarte par D. Agostinho, le jovial patron du restaurant «Saudade», à Versailles. Il y restera trois ans, et y retournera même quelques années plus tard. Il participera aussi à l’ouverture d’autres maisons de fado aujourd’hui disparues : le «Petit Cardoso», «L’Express», «Avril au Portugal», «O Fado». A cette époque, ces lieux proposaient du fado tous les soirs, comme à Lisboa. Heureux temps… Pourquoi est-il resté en France ? «Il y avait du travail, une ambiance agréable, et puis le décès de mes parents m’a un peu coupé du Portugal». Un peu seulement, témoigne la chanteuse Mónica Cunha, qu’il accueillit à son arrivée à Paris et accompagna souvent ensuite : «A Lisboa, Casimiro est intenable, il est prêt à passer toutes les nuits dans les maisons de fado jusqu’au petit jour». Casimiro Silva a depuis joué et chanté dans tous les lieux parisiens de fado. Il fut pendant 20 ans abonné les jeudis soirs au «Saint-Cyr Palace», aux nuits de fado mensuelles du «Petit Chalet» à Colombes (la plus adorable des patronnes de maisons de fado, dit-il de Dona São, qui régna avec gentillesse sur ce rendez-vous fadiste, mais il aime bien les autres aussi) et participa à la réouverture de «L’Express», transféré de la rue Cardinet à Paris vers la rue Martre à Clichy, chaque dimanche soir. Et bien sûr aux mardis du «Saudade» à Paris jusqu’à son dernier souffle. Accompagnateur apprécié, Casimiro Silva fut aussi l’un des tout meilleurs chanteurs de fado de la place parisienne, disposant d’un vaste répertoire, jusqu’à ce qu’un problème de cordes vocales survienne. Ce qu’il pensait du fado à Paris ? Il ne fallait pas lui demander de jugements sur les personnes, Casimiro avait bon cœur. «Il y a ici beaucoup de talents chez les musiciens et les chanteurs. Il y a peut-être un peu de charlatanisme, mais à Lisboa aussi, et il n’y en a pas que dans le fado, ce n’est pas grave», disait-il celui qui avait pour références Fernando Farinha, Maria Teresa de Noronha, Fernando Mauricio, et, nous allions dire évidemment «a nossa divina Amália Rodrigues». Unanimement apprécié de la communauté fadiste, Casimiro Silva ne laisse pas un vide, tant il remplit, pour beaucoup d’entre nous, nos mémoires de tant de souvenirs et pour moi, Casimiro Silva, c’est depuis quatre décennies, des dizaines et des dizaines de soirées de fado, de desgarradas partagées (la dernière il y a quelques semaines). Casimiro Silva, «soldado do fado», mais surtout «fadista de primeira água». Nos pensées vont à ses proches, et en premier lieu à Maria João, son épouse et fidèle soutien.