I Guerra mondiale : Le Chef de gare d’Aire-sur-La-Lys a sauvé un soldat portugais du CEP


Le Chef de gare d’Aire-sur-La-Lys, par acte héroïque, a sauvé le soldat du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP), Francisco António Bernardo, originaire de Terrugem (Elvas), soldat n°382 de la 4ème compagnie n°22, qui a participé à la I Guerre mondiale dans le nord de la France.

Par son acte, le Chef de Gare, Alfred Debrabant, sera décoré par le Portugal de la «Medalha de Mérito Filantropia e Generosidade». Un rapport sur cet évènement a été établi par les différents échelons du Commandement du CEP jusqu’au Gouvernement, le décret final d’attribution honorifique étant signé par le Président de la République par intérim de l’époque.

Notons que la gare d’Aire-sur-La-Lys a eu un rôle important dans la participation portugaise à la I Guerre mondiale. C’est là qu’aboutissaient les trains qui ont conduit les soldats du CEP en provenance de Brest, après le débarquement dans cette ville. C’est également à Aire-sur-La-Lys que des soldats stationnaient parfois avant de rejoindre la base ou les villes sur le front de la guerre.

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Il était 9h20 le 8 juin 1917. La machine E31375, attelée à une rame de 8 wagons, manœuvre sur la voie pour prendre un autre wagon qui était stationné au heurtoir, le train de passagers devait transporter les soldats du CEP vers la Base.

Le Chef de gare Alfred Debrabant aperçoit à ce moment-là un soldat qui dormait carrément sur le rail de la voie à quelques mètres du dit wagon, il s’agissait de Francisco António Bernardo. Le Chef de gare court, dégage rapidement le soldat portugais avant que celui-ci soit écrasé.

Alfred Debrabant, dans ce geste de sauvetage a mis sa propre vie en danger, raison pour laquelle le Gouvernement portugais le décorera de la «Medalha de Mérito Filantropia e Generosidade».

La «Medalha de Mérito Filantropia e Generosidade» a été créée par décret royal en date du 3 novembre 1852 et maintenue dans la 1ère Constitution de la République Portugaise du 21 août 1911, l’article 76.

Le Lieutenant de cavalerie, José Martins Lopes Ribeiro, responsable des soldats qui attendaient à Air-sur-La-Lys, rédige le jour même de l’incident, le 8 juin 1917, un rapport de deux pages décrivant :

«Ce jour quand je terminais de faire contrôler les billets de transport par Chemin de fer du personnel qui allait embarquer vers différentes gares du front et vers la Base, afin de rejoindre les lieux et attributions, j’ai été appelé par le citoyen français Alfred Debrabant, responsable de la gare, me décrivant le fait qui venait d’avoir lieu en rapport avec le soldat Francisco António Bernardo, n°382 de la 4ème Compagnie d’infanterie n°22, lequel attendant l’heure de monter dans le train de 9 heures 20 minutes, s’est couché sur la voie servant de garage. Une locomotive de chemin de fer effectuait une manœuvre sur la voie où était le soldat qui aurait été écrasé si ce n’était, la réaction du Chef de gare, qui sortant de son bureau pour assister à la manœuvre, s’est aperçu et rapidement voyant le danger, a dégagé en dehors de la voie dans laquelle le soldat se trouvait, le sauvant d’une mort certaine. Ce citoyen est d’une attention toute particulière dans son service de responsable de gare. Il y a quelque temps, il a déjà sauvé de la mort un soldat de sa nationalité.

Ce citoyen est digne d’une récompense par l’acte pratiqué ce jour et aussi par sa volonté de répondre aux sollicitations que lui sont faites par le CEP. À beaucoup de reprises, alors que les trains de passagers devaient transporter des soldats de notre contingent en nombre supérieur au prévu, grâce à sa bonne volonté envers nous, les portugais, fait atteler des wagons supplémentaires afin que nos forces puissent être conduites le jour même ne devant pas attendre le lendemain, voir plus tard, et en prévoyant les gares de destinations».

En date du 20 juin 1917, le même responsable, José Martins Rebelo, dans une note qu’il envoie au responsable de l’État Major du CEP, transmet conjointement déclaration des faits transcrits par le responsable de la gare lui-même. Le lieutenant José Martins Rebelo informe aussi ses supérieurs que, la veille, soit le 19 juin 1917, le journal «La Dépêche» donnait l’information du sauvetage du soldat portugais par le responsable de la gare.

En réponse à ce courrier, on demande à José Martins Ribeiro de recueillir des témoignages.

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Quelques mois s’écoulent.

António Novo est nommé Capitaine et est affecté, comme délégué du CEP, auprès de la gare d’Aire-sur-La-Lys le 4 octobre 1917, avant d’accepter, le 12 mai 1918, de travailler dans le service de transports du CEP. António Novo, à la fin de la guerre, arrive à Lisboa par voie terrestre le 28 mai 1919.

Nommé à la gare d’Aire-sur-La-Lys, le Capitaine António Novo reprend l’affaire.

Le 4 mars 1918, il envoie note au ETEC (Estação Testa Etaples do Corpo) dans laquelle il décrit les faits, confirme les dires du lieutenant Martins Rebelo des 8 et 22 juin 2017. António Novo transmet par la même occasion nouvelle attestation signé le 4 mars 1918 par Chef de gare, Alfred Debrabant, ainsi que coupure de presse du journal «La Dépêche» du 19 juin 1917. «Aire-sur-La-Lys : ces jours derniers pendant la manœuvres d’un train en gare, Mr le Chef de gare a sauvé d’une mort certaine un soldat portugais couché à plat ventre sur le rail au moment où un wagon arrivait sur lui».

Le 29 mars 1918 une note de service, écrite par le Lieutenant Martins Rebelo, indique que le soldat Francisco António Bernardo ne peut être entendu, à moins que cela soit fait au Portugal, celui-ci ayant été rapatrié. Le Lieutenant confirme toutefois ne pas avoir de doutes sur les faits décrits par le Chef de gare l’Aire-sur-La-Lys.

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Le soldat Francisco António Bernardo est né le 14 janvier 1895, à Terrugem (Évora). Ses parents célibataires, travailleurs agricoles, étaient João Bernardo et Maria Rozária Gomes. Francisco António Bernardo a été parmi les premiers soldats à embarquer à Lisboa le 20 janvier 1917, le bateau n’est parti qu’à la fin du mois. Le 8 février il rentre à l’hôpital de Brest, il en sort le 14. Il rentre à nouveau à l’hôpital, déjà dans la zone du front, le 7 mai, il en sort le 22. Juste après l’affaire d’Aire-sur-La-Lys, il rentre à nouveau à l’hôpital le 10 juin 1917. Jugé incapable de tout service et d’agir pour subvenir à ses propres besoins de subsistance, il est jugé invalide le 2 juillet. Rapatrié au Portugal, il arrive à Lisboa le 23 juillet de la même année. Il se marie le 29 août 1920.

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Le 1er avril 1918, le Commandant du CEP lui-même, Fernando Tamagnini de Abreu envoi la note n°600 au Directeur de la Direction général du Secrétariat de la Guerre, à Lisboa avec la proposition de décorer avec la Médaille d’argent du mérite philanthropie et générosité, le citoyen français, Chef de la gare d’Aire-sur-La-Lys, Alfred Debrabant.

Le Secrétariat de la Guerre transmet le 13 avril 1918 aux services du Ministère de la défense la proposition du Général Tamagnini.

Le 25 avril 1918, par Décret du Gouvernement n°96, 2ème série, attribue ladite médaille au citoyen français Alfred Debrabant. Le décret est signé par Sidónio Pais, Président du Portugal par intérim, lequel occupe au même moment le poste de Ministre de la Guerre et Président du Ministère. L’autre signataire du document est celle d’Henrique Forbes de Bessa, qui, entre le 7 mars et le 15 mai 1918, a été Ministre de l’intérieur du 15ème Gouvernement républicain portugais.

Le service de la République envoie au Commandant du CEP en France le diplôme de la Médaille qu’il avait proposé par la note 600 du 1 avril 1918. Il est dit dans le courrier qui accompagne le diplôme, qu’il n’avait pas envoyé en même temps la médaille, car il n’y avait pas de médailles disponibles !

Le 5 juin 1918 le Major par intérim du SEM (Serviço Estado Maior), reçoit du Commandant par intérim du CEP, le diplôme à remettre à Alfred Debrabant.

Le 15 novembre 1918, Alfred Debrabant, reçoit par courrier en tête de la Compagnie des Chemins de Fer Français, Service Exploitation, écrit à l’État Major du CEP à Roquetoire : «j’ai reçu le diplôme de la Médaille de sauvetage portugais et le 29 juillet un interprète est venu me chercher pour recevoir la Médaille à Marthes Mametz, à cette date j’étais en permission. Je n’ai donc pas pu la toucher. Je serais très obligé de vouloir bien me dire ce qu’il y a lieu de faire pour l’obtenir».

Le 17 novembre 1918, le Capitaine en Chef de la Mission Militaire France auprès du CEP, demande que décoration soit remise à Alfred Debrabant qui ne l’avait toujours pas reçue.

L’a-t-il finalement reçu ?

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Alfred Debrabant, né le 7 octobre 1870 à Millonfosse (Valenciennes) s’est marié, dans ce même village, le 30 septembre 1905, avec Léa Julienne Engrand, née elle aussi à Millonfosse. Après leur mariage, ils habitent au 50 rue de la Gare à Pérenchies (Nord). Léo meurt en 1940, Alfred avant cette date.

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Notons que la Gare d’Aire-sur-La-Lys, mise en service en 1878 a intégré la SNCF le 1er janvier 1938 et a été officiellement fermée au service des voyageurs en 1955. Le fils du dernier Chef de gare a installé dans les locaux de la gare même, le siège de son entreprise d’ambulances, Fabrice Créqui, jusqu’au 2 février 2023.

Au moins un autre cas, pendant la I Guerre mondiale, a donné lieu à la Medalha Filantropia e Generosidade, le bénéficiaire étant le citoyen belge Adolphe Murtian, habitant le 9 rue du Pont, à Huy (*), en Belgique.

En date du 5 mars 1919, le Commandant du CEP propose que le citoyen belge Adolphe Murtian reçoive la Medalha Filantropia e Generosidade pour avoir sauvé, à grand risque de sa propre vie, trois soldats du CEP tombés dans le fleuve la Meuse, à un endroit où le courant d’eau était très vif.

Le Secrétariat du service de la République, par instruction du Ministère de l’intérieur, transmet au Ministère de la Guerre la demande envoyée par le Commandant du CEP pour remercier Adolphe Murtian.

Le Chef d’État portugais João do Castro e Costa Antunes, qui occupa le poste pendant 294 jours, signe le décret, conjointement avec le Chef du Gouvernement, Domingos Pereira. Décret qui sera édité dans le Diário do Governo n°87, II série du 16 avril 1919.

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(*) Le mur de Huy est redoutable et très connu par les amateurs de cyclisme et professionnels du vélo. Le mur de Huy doit son surnom à la course cycliste La Flèche Wallonne, qui l’emprunte à trois reprises et se termine à son sommet. Ses vingt-six pour cent d’inclinaison dans un virage font de ce passage l’un des plus ardus d’Europe.