I Guerre Mondiale: L’histoire du Poilu portugais Álvaro Soares et de son petit-fils Jean-Pierre Tintilier

Elle est belle, l’histoire que nous allons vous raconter, et pourtant plus de 100 sont passés depuis sa racine, son début. Elle a commencé le 15 mai 1917 avec l’arrivée du soldat du Corpo Expedicionário Português, Álvaro Soares Ferreira, à Aire-sur-la-Lys.

L’histoire nous est racontée par son petit-fils Jean-Pierre Tintilier.

On sent dans les mots utilisés par le petit-fils, la parole qui se libère, un besoin de partager, de savoir, d’aller au-delà. Jean-Pierre voit partir son grand-père bien tôt, toutefois les souvenirs sont là, un amour présent malgré le temps qui passe. On sent beaucoup de pudeur dans cette histoire, le petit-fils évoquant son grand-père, presque toujours par son prénom: Álvaro.

Depuis 3 ans, Jean-Pierre Tintilier, il habite Pérenchies (Nord). «Les 75 ans, c’est pour bientôt». Tout d’abord il a été fonctionnaire d’État aux Ponts et Chaussées, puis Équipement et Logement. Il a ensuite créé son bureau d’études, qu’il a géré jusqu’à sa retraite.

 

Votre grand-père a participé à la I Guerre Mondiale. Depuis quand vous vous étés intéressé à son l’histoire?

Avant de répondre à votre question, je me permets de donner quelques dates pour situer et mettre dans le contexte de sa participation à la Grande Guerre: Mon grand-père Álvaro Soares Ferreira est né le 09 juillet 1898, dans la Paroisse de Sé, à Porto. Le 06 octobre 1914, il débute ses études aux Beaux-Arts de Porto et le 09 mai 1916, il s’engage dans l’Armée de terre portugaise pour 25 ans. Le 15 mai 1917, il est en France, probablement à Aire-sur-la-Lys, avec le CEP. Avant le 05 mars 1919, il est de retour au Portugal, retour obligatoire avec les autres soldats, mais le 05 septembre 1919, il revient en France par amour pour Marthe, ma grand-mère maternelle, à Witternesse, petit village à proximité d’Aire-sur-la-Lys. Mon grand-père est décédé, j’avais 9 ans. Les signes d’affection qu’il me prodiguait me manqueront alors pour toujours. C’est vers mes 20 ans que j’ai commencé à m’intéresser un peu plus à son histoire. Avant cet âge, pour moi, mon grand-père était comme les autres. Je me suis rendu compte alors du paradoxe entre son métier et son niveau intellectuel et artistique. J’ai voulu aller plus loin, c’est alors que mes recherches ont commencé. J’ai voulu découvrir qui était mon grand-père portugais.

 

Quelle profession a-t-il exercé?

Álvaro a exercé le métier de mineur de fonds, tout d’abord à Ligny-les-Aires, puis à Auchy-les-Mines. Je souhaite rendre hommage à l’ensemble des mineurs, notamment mon père Daniel et ses trois beaux-frères Soares. Tous ont également exercé ce métier. J’invite les lecteurs qui ne connaissent pas ce métier, d’effectuer des visites ou de lire la presse et des livres d’époque. La solidarité entre les mineurs était remarquable. Ce lien prend tout son sens, car sans solidarité, la vie d’Álvaro et de sa famille aurait été encore plus difficile. Le métier de mineur avait comme conséquence un âge moyen de vie inférieure à la moyenne. Mon grand-père, Álvaro n’a profité que quelques mois de sa retraite!

 

Sa participation à la Grande Guerre est-elle un motif de conversation en famille?

Il est évident que personnellement la participation de mon grand-père à la Grande Guerre je ne cesserais de l’évoquer: Álvaro et ses camarades ont fait preuve d’un courage extraordinaire. Il faut penser à la vie dans des tranchées, humidité et froid, conditions qui ne sont pas celles du Portugal. Je dirais également qu’ils ont été tous des héros eu égard à l’armement qui leur avait été donné. Armement qui ne leur laissait pas la moindre chance face à l’armement de l’ennemi!

 

A-t-il appris le portugais à sa famille?

Non. Il n’a pas appris le portugais ni à ses enfants ni à ses premiers petits-enfants. Dommage que cela ne fut pas inné!

 

Avez-vous senti qu’il avait un peu de gène à se dire d’origine portugaise?

Álvaro était très apprécié dans le village, beaucoup de ses voisins venaient lui rendre visite afin que celui-ci les aide en ce qui concerne les formalités administratives. Plusieurs fois ma grand-mère me disait qu’Álvaro était appelé le Grand Français! Si on lui demandait, il n’hésitait pas à jouer un morceau de musique avec l’un de ses instruments. C’était pour lui certainement sa façon d’être solidaire.

 

Il me semble, que contrairement à la majorité des soldats portugais, votre grand-père avait une certaine culture. Il aimait la musique, l’écriture…

Álvaro, durant toute sa vie en France, n’a cessé de jouer de la musique. Il savait jouer du violon, de la mandoline, du banjo et de la guitare portugaise. Plus d’une fois, il m’a fait asseoir près de lui, sur une marche du poulailler. Pendant 10, 15 minutes, il jouait du Mozart! Forcément, quand j’écoute un morceau de Mozart, je pense à mon grand-père. Quand il jouait de la mandoline, c’était l’alternance entre la tristesse et la joie, c’était difficile de ne pas avoir une larme à l’œil! Il aimait aussi créer des morceaux de musique. Au plan littéraire, j’ai retrouvé dans ses papiers, un poème qu’il avait demandé à son frère Abílio: «Ma Mère» de Guerra Junqueiro. J’ai retrouvé également un poème qu’il a composé lui-même: «L’enfant de Strasbourg». Ma grand-mère me disait qu’il parlait souvent aux murs! En fait, à ce moment-là, c’est qu’il était en train de composer une musique ou un poème. Cela permettait à Álvaro d’oublier sa vie de dur labeur et de s’évader, probablement, vers son Portugal natal.

 

Voulez-vous nous parler de l’histoire de la fleur «L’ennemi du peintre». Pourquoi ce nom?

Álvaro cultivait aussi son jardin. C’est lui qui m’a donné goût au jardinage. Je me souviens des premiers semis qu’il m’a fait faire, des carottes. Il avait planté des arbustes à fruit, et quand j’allais picorer des groseilles ou des framboises, je le surprenais me regardant avec un air amusé. Il aimait, également, beaucoup une fleur vivace appelée «Le désespoir des peintres ou l’ennemi du peintre», car difficile à peindre. À ce jour, je suis heureux d’entretenir dans mon jardin cette fleur qui provient de la souche d’origine que mon grand-père cultivait!

 

Votre grand-père a-t-il gardé des relations avec le Portugal?

Álvaro a correspondu avec son frère Abílio, jusqu’à 1922, et il n’est jamais retourné au Portugal.

 

Entretenez-vous des relations avec votre famille au Portugal?

Pendant plus de 15 ans, jusqu’à mes 37 ans, je n’ai cessé de chercher la famille d’Abílio, notamment son frère. J’ai adressé de nombreux courriers à l’Ambassade du Portugal à Paris, au Consulat de Lille, j’ai même fait paraître une annonce dans le journal Notícias de Porto. Tout cela a été en vain. Un jour, cependant, je me rappelle encore, c’était un dimanche, il y a de cela 35 ans, je reçois un appel téléphonique du Portugal: un ami, José do Patrocínio nous annonçait qu’il avait retrouvé notre famille portugaise! Encore merci à José! Quelques mois plus tard, nous avons été reçus comme des princes, par nos parents. Bien que chaque famille ne connaisse que sa langue maternelle, tout s’est bien passé. Nous avons engrangé beaucoup de souvenirs. En ce qui me concerne, c’était comme si j’avais toujours vécu au Portugal. Moi, qui n’aimais pas la viande rouge, enfin j’étais compris! C’est vrai que j’adore la cuisine portugaise, la preuve, pour cette première escapade portugaise, j’ai grossi de 7 kg en trois semaines! Jorge et Léonilde nous ont présentés à toute la famille dès ce premier séjour. A chaque fois c’était plein d’affection. Miguel et Patrícia, leurs enfants, alors âgés de 4 et 2 ans, ont chacun aujourd’hui un beau métier et ont fondé chacun une famille. Régulièrement, nous nous voyons, nous échangeons beaucoup. La belle histoire continue et particulièrement, en ce moment, nous pensons beaucoup à Léonilde et à Jorge.

 

Vous avez fait d’autres recherches sur votre grand-père?

Tout de suite après avoir, enfin, retrouvé la famille portugaise, je me suis lancé dans des recherches généalogiques, nos parents ne savaient rien sur l’ascendance d’Abílio, lui-même étant décédé relativement jeune, à 46 ans. Álvaro et Abílio étaient fils de Maximina Ferreira et fils naturels de Manoel (ou Manuel) Soares. Après plus de trente ans de recherches, j’ai enfin abouti en ce qui concerne mes recherches d’ancêtres pour la branche Ferreira. J’espère, par ailleurs, que bientôt nous pourrons faire la connaissance d’autres parents, lors de notre prochain voyage au Portugal. Braga et la région de Guarda feront partie de notre pèlerinage, car c’est dans ces endroits qu’ont vécus nos ancêtres de la branche Ferreira. Par contre, en ce qui concerne Manuel Soares, mes recherches sont bloquées. Trois documents confirment sa paternité. Le seul élément le concernant est où Manuel est décédé, au deuxième semestre 1919, en principe à la Paroisse de Santo Ildefonso, à Porto. Je tiens à remercier Généalogia FB (Manuela Alves) et César Baptista Tavares, qui, par leurs aides, m’ont permis de progresser dans mes recherches.

 

Vous possédez, notamment, un joli écrit de votre grand-père qu’il a envoyé à votre grand-mère. Comment avez-vous découvert cette carte postale?

Il y a quelques mois, mes cousines Pierrette et Christiane, filles de Jean-Pierre, deuxième fils d’Álvaro, m’ont envoyé la superbe carte-postale qu’Álvaro avait adressée à Marthe depuis le Portugal, avant son retour définitif pour la France. La lecture de cette carte m’a profondément ému. En la lisant j’entendais les notes qui m’égrainaient du violon!

 

Vous vous rendez, depuis le milieu des années 50, au Cimetière Militaire Portugais à Richebourg. Pourquoi ce besoin?

C’est vrai que des dizaines de fois, je me suis rendu au Cimetière portugais de Richebourg. Souvent, je faisais d’une pierre deux coups, car le cimetière se trouve sur l’itinéraire Auchy-les-Mines – La Gorgue, ville où résidait mon grand-père paternel qui travaillait au moulin de cette ville. Par ailleurs, ce cimetière est pour moi un lieu de recueillement et de communion avec Álvaro.

 

Parlez-nous du besoin de reconnaissance.

Álvaro, en tant que soldat, avec une vie difficile dans les tranchées, et en tant que mineur de fonds, les règles de protection des mineurs étant à cette période quasiment inexistantes, a tout donné à la France. Il n’a pas pu profiter de sa retraite et de sa famille. Un document retrouvé fait apparaître que jusqu’en 1930, il n’avait droit à aucune aide, la raison étant que son épouse Marthe et ses enfants, avaient acquis par le mariage ou la naissance, la nationalité portugaise. Je ne peux, en pensant à tout cela, qu’éprouver une certaine amertume. Je suis convaincu que d’autres familles sont dans la même situation. Aussi, en tant que petit-fils, je voue à mes grands-parents une grande reconnaissance, qu’en tant que Français, j’éprouve à l’égard de tous les soldats portugais ayant participé à ce terrible conflit, un devoir de reconnaissance.

 

Il semblerait que le fait de dire que vous étiez d’origine portugaise, à parfois, facilité certains contacts au niveau de votre travail…

J’ai fait la connaissance de José do Patrocínio par l’intermédiaire de Fernando Gama, que j’ai connu lors de la réalisation de chantiers. J’ai toujours respecté tous ceux que je côtoyais à l’occasion des chantiers. Mais lorsque les personnes étaient d’origine portugaise, d’emblée je leur précisais que j’étais petit-fils de Portugais. S’il y avait une barrière, celle-ci disparaissait de suite.

 

Avez-vous un souhait à formuler?

Plusieurs fois j’ai fait la demande auprès des autorités compétentes de pouvoir réaliser un plan interactif du Cimetière Militaire de Richebourg. Dans le cadre de mon bureau d’études, j’ai eu à réaliser de telles prestations. En cliquant tout simplement sur un nom de soldat, il serait possible de faire apparaître la photo de la stèle et l’endroit où elle se trouve dans le cimetière. Je pense que pour les Portugais qui ont un parent inhumé dans ce cimetière, cela serait très précieux et utile. De ma part, bien sûr, j’aurais fait ce travail à titre gratuit. Ce projet pourrait être aujourd’hui complété par la réalisation d’un film à l’aide d’un drone. Et enfin, en répondant à vos questions, il m’est venu à l’esprit une autre idée: ne pourrait-on pas, dans le cimetière, apposer une plaque ou un petit monument, par laquelle toutes les familles des soldats restés en France manifesteraient leur souvenir éternel? Sur cet ouvrage seraient gravés tous les noms des soldats restés en France. Ainsi et aussi, de cette façon, seraient rassemblés tous les soldats.

 

Voici une histoire, parmi bien d’autres, qui reste à écrire sur la participation des Portugais à la I Guerre Mondiale et le siècle qui a suivi.

Un bout d’histoire du CEP qu’Aurore Rouffelaers a commencé à étudier, notamment avec l’exposition qu’elle a organisée lors des cérémonies du Centenaire de la Bataille de La Lys sous le nom de «Racines». Une exposition, qui, d’une certaine façon, a permis la libération de la parole en se disant «Je ne suis pas seul».

Un besoin de rendre hommage, un besoin de rechercher ses racines.

 

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