Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Collection La Contemporaine Home Comunidade I Guerre mondiale : Roquetoire, l’autre Quartier Général oublié du Corps Expéditionnaire PortugaisAntónio Marrucho·21 Julho, 2025Comunidade Quand on évoque la présence du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) pendant la I Guerre mondiale, et plus précisément le thème de son Quartier Général (QG), le lieu immédiatement cité est le manoir de La Peylouse, à Saint-Venant. Des personnages importants y ont séjourné, notamment des écrivains (lire ICI). Le propriétaire actuel, Didier Rousseau, s’efforce de mettre en valeur ce passé en ayant transformé le manoir en maison d’hôtes. Il est vrai aussi que La Peylouse est l’un des lieux les mieux documentés dans les archives du Corps Expéditionnaire Portugais. D’autres lieux ont également servi de QG à l’Armée portugaise, pour diverses raisons. Ces lieux sont rarement mentionnés, et les dates sont parfois source de confusion. On peut lire, par exemple : «Lors de leur arrivée dans la région, plusieurs quartiers généraux portugais apparaissent. Le premier QG, qui supervise tout le déploiement des troupes portugaises, s’installe d’abord au manoir de La Peylouse à Saint-Venant, puis au château de La Morande, à Roquetoire. Une première division prend ses quartiers à Thérouanne, tandis que la deuxième division se trouve à Fauquembergues». Mais, une autre source littéraire indique : «Le QG, d’abord installé à Aire-sur-La-Lys, est transféré au château de La Morande à Roquetoire, puis, en juillet 1917, à Saint-Venant, plus proche de la ligne de front». Il est vrai que même les écrits d’époque, par ceux qui ont vécu la guerre prêtent parfois à confusion. Le château de La Morande (*) à Roquetoire a effectivement été QG à un moment donné, mais il convient d’apporter quelques précisions chronologiques, fruit des recherches de José Carlos Durão, qui consulte depuis quelque temps plus de 2.000 cartons d’archives du CEP, pour la plupart jamais ouverts depuis plus d’un siècle. Les troupes, arrivant par train jusqu’à Aire-sur-La-Lys, y installent provisoirement le Quartier Général du CEP au début de l’année 1917. D’autres locaux ont ensuite été utilisés : le château de La Morande, à Roquetoire, le manoir de La Peylouse, à Saint-Venant, la rue de Montreuil, à Samer, puis Ambleteuse. Des documents estampillés «Secreto», élaborés par les services RO (Repartição das Operações) du CEP et intitulé «Relação das unidades do CEP e locais dos seus acantonamentos» (liste des unités du CEP et l’emplacement de leurs implantations), nous éclairent sur l’historique du QG du CEP. . Des notes datées des 5 et 10 mai 1917 précisent que le QG se trouvait alors au château de La Morande, à Roquetoire. Il est communément admis que le QG arrive à Saint-Venant en juillet pour se rapprocher du front. Toutefois, les documents établis par les services RO indiquent les dates des 5, 17 et 22 juin le QG comme se trouvant déjà au manoir de La Peylouse. Les rapports datés des 7 et 14 octobre, puis des 11 et 25 novembre 1917, confirment la présence du QG à Saint-Venant, avec mention explicite du manoir de La Peylouse. Le QG est mentionné à Samer, rue de Montreuil, à partir du 11 avril 1918 à 12h00. On le retrouve encore mentionné dans les documents des 21 avril, 5 mai et 12 mai. À partir du 13 mai, puis des 19 et 26 mai, et enfin le 2 juin 1918, le QG est mentionné à Ambleteuse. Le cas de Roquetoire est particulier : bien que le lieu ait cessé d’être le QG principal du CEP, il a continué à servir à d’autres unités. Différentes activités s’y sont déroulées à l’arrière du front. La bataille de La Lys a accéléré les choses. Le changement de QG avait toutefois été prévu avant ladite bataille. Par l’ordre n°197 de la Première Armée britannique daté du 5 avril, il est prévu que la 2ème division portugaise intègre le XIème Corps britannique. L’ordre précise l’heure de ce passage, le lendemain (6 avril) à 7h00. Il est aussi indiqué que les unités restantes, QG inclus, devaient entamer leur déplacement vers la région de Samer. Dans les faits, à la suite du début de la bataille de La Lys, le 9 avril, le QG, coupé de ses communications avec les lignes et n’ayant plus de responsabilités tactiques, commence à midi du 9 avril son déplacement vers Samer, sans connaître encore la gravité de la situation sur le front du CEP. L’ordre n°27, émis le 12 mai, est le premier signé par le Commandant intérimaire du CEP, le Général Gomes da Costa. Dans cette note, il est indiqué que le QG se déplace le 13 mai de Samer vers Ambleteuse, Samer devenant le QG de la 2ème division. Dans la littérature, les sources concernant le QG du CEP pendant son occupation du château de La Morande, à Roquetoire, sont rares. Même si le manoir de La Peylouse à Saint-Venant devient officiellement QG à l’été 1917, des traces, notamment photographiques, témoignent d’événements survenus à Roquetoire bien après le transfert du QG vers Saint Venant. Des photos montrent, en avril 1917, l’Infanterie portugaise en marche à la lisière du village. Le photographe Arnaldo Garcês a pris des clichés de distributions de rations aux militaires en juin 1917. Une autre photo montre deux gendarmes – un portugais et un français – à cheval dans le village, illustrant la collaboration entre les deux armées. En juin, on voit aussi deux officiers, un anglais et un portugais, converser avec un gendarme français. Le football était déjà populaire pendant la I Guerre mondiale. En octobre 1917, un match oppose l’armée portugaise aux voisins anglais, à Roquetoire. En juin 1917, un groupe d’aviateurs portugais est présent au château de La Morande, parmi lesquels Lello Portela, de Souza Maia, des mécaniciens portugais, et Óscar Monteiro Torres – le seul aviateur mort au combat dans l’histoire du Portugal (lire ICI et ICI). Le moment le plus notable, et l’un des plus photographiés de la participation du CEP à la Grande Guerre, reste la visite du Président portugais Bernardino Machado au front, en octobre 1917. Le 13 octobre, 45 membres du CEP sont décorés dans les jardins du château de La Morande, où le Président, accompagné de sa suite, dans une quinzaine de voitures, et du commandant du CEP, Fernando Tamagnini, est accueilli par de nombreux soldats en formation. L’armée portugaise occupait non seulement le château, mais aussi d’autres lieux de la commune, comme une salle de l’école utilisée pour les Conseils de guerre. Bien qu’aucun mariage franco-portugais ne soit enregistré à Roquetoire, une photo célèbre d’Arnaldo Garcês, montre un couple – un soldat portugais et une femme française – marchant ensemble sur une route du village, en avril 1917. Le château de La Morande n’étant pas assez grand pour loger tous les officiers, un second château, assez proche, à Quiestède, fut également réquisitionné et occupé par des membres du CEP. Roquetoire étant en arrière du front, certaines activités et moments festifs se déroulent normalement dans le village. La bonne entente entre les soldats portugais et la population de Roquetoire a contribué à un certain nombre d’échanges : participation à des processions, à des enterrements et à des festivités. La Saint-Jean 1917 y fut dignement célébrée avec l’aide de musiciens portugais du CEP. Les mentions dans la littérature sont rares, nous en avons retrouvé quelques unes. En page 19 de son livre «A Batalha de La Lys», le Général Costa Gomes écrit : «C’était le milieu de l’hiver, un hiver neigeux comme on n’en voit jamais au Portugal. Mon corps, à l’étranger depuis 25 ans, souffre de ce changement brutal. Je me retrouvai à l’hôpital de Brest, et ne rejoint les troupes portugaises que le 13 avril, à Roquetoire. Le 20 du même mois, le Corps d’Armée fut réorganisé en deux divisions, dont je fus nommé Commandant». On évoque Roquetoire en parlant du QG, mais sans toujours préciser de quel QG il s’agit : celui du CEP ou d’une Division ? Cela entraîne des confusions. Le lieutenant Vasco de Carvalho, dans «A Segunda Divisão na Batalha de La Lys», n’utilise pas de mots tendres vis à vis de ce local villégiature : «le Quartier Général, qui avait déménagé de Fauquembergues à la Ferme St. André-les Tourbières, près d’Aire-sur-La-Lys, dès que la 1ère Division fut partie au front, fut ensuite installé à Roquetoire dans le funèbre Château de La Morande… Le 22 novembre, la 3ème Division d’Infanterie de la 1ère Division est relevée dans le secteur de Fauquissart par la 6ème Division d’Infanterie de la 2ème Division et le Quartier Général de la 2ème Division abandonne définitivement le paisible village de Roquetoire, pour s’installer en zone de front, à La Gorgue, où il commence à opérer le 26… celui du QG de la 2ème division qui gisait encore à l’arrière-garde, presque oublié et méprisé dans le silence sépulcral de la Morande, près d’Aire-sur-La-Lys, à une trentaine de kilomètres de la 1ère ligne… même pendant la période de préparation, le manque de bétail avait conduit le Commandement à retirer des unités tous les véhicules inutiles, pour lesquels ils ne disposaient pas de solipèdes de traction, qui étaient concentrés dans le vaste parc de La Morande». Le Colonel Eugénio Mardel, dans «A Brigada do Minho na Flandres», écrit : «…votre Excellence me demande mon avis et mon témoignage sur la Brigade du Minho et sur le fait précis de la remise de son rapport, après son retour d’Allemagne, au siège du C.E.P. de Roquetoire, que je dirigeais alors… Ayant été achevé le 16 décembre 1918 et remis par moi au Quartier Général du C.E.P. à Roquetoire le 6 janvier 1919, au Capitaine de l’époque, S.E.M. Álvaro Teles Ferreira de Passos, en service au Quartier Général susmentionné, à mon retour de la situation de ‘Prisonnier de Guerre’ en Allemagne». L’écrit du Colonel Eugénio Martel prête à confusion, car il évoque le QG, on pourrait sous-entendre QG du CEP alors qu’il évoque le Quartier Général de la 2ème division. Un doute persiste cependant : alors que le Lieutenant Vasco de Carvalho dans son livre «A segunda divisão na Batalha de La Lys» écrit le 22 novembre que «le Quartier Général de la 2ème Division abandonne définitivement le paisible village de Roquetoire», le Colonel Eugénio Mardel dans son livre «A Brigada do Minho na Flandres : 9 de abril» écrit «ayant été achevé le 16 décembre 1918 et remis par moi au Quartier Général du C.E.P. à Roquetoire le 6 janvier 1919». Comme quoi, les petites histoires de l’histoire demandent à être corrigées, rectifiées, continuer les recherches pour préciser. Le lieutenant Afonso de Carvalho, dans son livre «O Humor no CEP», résume la situation géographique et du personnel du CEP installé à Roquetoire, avec humour dans son «Fado da Cachapim (**) do CEP» : «Vae se ao Aire e paz… Mais p’ra além não sou capaz A Roquetoire e pim Cá ficarei até ao fim» Une façon de critiquer avec humour ceux qui sont venu à la guerre mais qui ne l’ont jamais vue, ni vécu. Chaque lieu a eu sa fonction ainsi que ceux y installés du Corps Expéditionnaire portugais, il est toutefois évident que pendant la guerre, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. . (*) Le château a été construit pour le marquis de Lully au début du XVIIIe siècle puis acquis par Guillaume Marcotte, écuyer et secrétaire du roi qui prit le nom de seigneur de Roquetoire, ce sont toujours ses descendants qui en sont les propriétaires. Peu habité à partir de 1890, le château fut occupé par un état-major portugais durant le premier conflit mondial, puis loué à la baronne Dard dans les années 1920. Endommagé par les bombardements et les pillages de la II Guerre mondiale, l’édifice fut restauré en 1950 (le gros-œuvre uniquement). Depuis plusieurs années, le descendant, Philippe Seydoux, a entrepris des travaux de restauration. Le matériau utilisé pour construire le château de la Morande est la pierre blanche. (**) On appelle «cachapim» l’Officier qui a toujours resté en arrière du front