I Guerre mondiale : traces portugaises à Froyennes, Belgique, lors de l’Armistice

De la France à la Belgique il n’y avait qu’un pas pour les soldats portugais Sapeurs mineurs du fait de l’entretien des routes pendant la Grande guerre. De la Bataille de La Lys et du Kemmel, en avril 1918, Flandres française et belge, à la Bataille de l’Escaut, à l’automne 1918, en Belgique, c’est une présence portugaise à Tournai, lors de l’Armistice 1918, qui est abordée ici.

Suite à la Bataille de La Lys, les unités portugaises restantes ont été regroupées. Affectées aux divisions britanniques, elles ont participé à la dernière offensive alliée en Belgique avant l’Armistice. La ville de Tournai a subi, comme sa voisine Lille, en France, 4 années d’occupation allemande, faites de déportations, de réquisitions, de privations, de destructions. À la fin de la guerre, Tournai s’est retrouvé en zone de guerre. Début novembre 1918, les Allemands en retraite firent sauter tous les ponts de la ville, sauf le Pont des Trous. D’où l’utilité de Sapeurs pour réparer…

Sept pages du livre d’Eurico Teixeira de Sousa (1), Lieutenant portugais de la 4ème Compagnie de Sapeurs Mineurs (C.S.M.), ont été retranscrites et traduites, en essayant de respecter les évènements du moment. Le Lieutenant a raconté dans son livre, avec une multitude de détails, ce qu’il a vécu à Froyennes et Tournai, son appétence pour les faits historiques et le patrimoine se lit à chaque page, son amertume de cette guerre également.

Son séjour a commencé par une recherche rapide de logement, «cantonnement qui aurait fait plus d’un envieux» écrit-il, un grand collège installé dans une bâtisse de 5 étages, un pensionnat qui appartenait à la Congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes. Une large porte d’entrée, un jardin, des dépendances, une chapelle vitraillée,… l’ensemble a été touché par les derniers tirs d’artillerie et de grenades. Les dégâts les plus importants résultaient d’un bombardement «boche» visant à déloger les observateurs d’artillerie anglais et portugais qui avaient installé leurs postes dans le bâtiment.

Lorsque l’édifice était occupé par les Allemands, il avait été transformé en hôpital. Dans les salles, des travaux, des vêtements en lambeaux, des livres, des bandages sanglants, ont laissé à penser à un déménagement brutal. À l’intérieur du bâtiment, les innombrables salles et couloirs montraient un désordre complet, des meubles intacts, d’autres avec des signes indiquant que les Allemands avaient essayé de rendre inutile ce qu’ils n’avaient pas pris, en plus de traces de pillage.

Les livres abondaient dans la grande bibliothèque. De certaines pièces sortaient une mauvaise odeur de drogues : les Allemands y avaient installé leur pharmacie. Dans les couloirs, au-dessus des portes, des panneaux écrits en allemand indiquaient les salles d’opération, les cabinets dentaires, le vestiaire… l’un d’eux était réservé aux «Belg. Frauen». Apparemment, des dames belges avaient servi comme infirmières dans cet hôpital. Volontairement ?

Des lits faits de matelas de fer ont été garnis d’une sorte de paillasse d’algues et ont servi à la compagnie portugaise de Sapeurs qui s’y est installé. Seul Officier à loger dans ce Couvent, Eurico Teixeira de Sousa avait, au 2ème étage du bâtiment principal, un lit à matelas de fer et algues, une petite table et 2 chaises. Il y a dormi la nuit de l’Armistice du 11 novembre 1918 et a écrit son courrier à la lumière de l’électricité laissée par les voisins anglais, mais les fils ont rapidement été coupés…

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Le 12 novembre au matin, le travail aurait dû reprendre, sans l’envie et l’urgence depuis la cessation des hostilités, mais surtout dans l’attente des ordres. Après la récupération au pensionnat, le départ a lieu. A Froyennes, parmi les civils, il restait une famille de 6 personnes.

En dehors du collège, un élément remarquable de la ville était le Cimetière militaire allemand. Il s’y dressait un monument en granit, avec un grand aigle aux ailes ouvertes, élevé à la mémoire des aviateurs de l’aérodrome voisin de Pont-à-Chin morts au combat. Quelques centaines de croix permettaient de constater que les morts l’avaient été à l’hôpital allemand du pensionnat. Elles marquaient des tombes d’Anglais, de Russes, de prisonniers de guerre.

A 3 kilomètres de Froyennes, c’était la visite de Tournai, le 14 novembre, quelques jours après la libération de la ville. Parmi les ruines, les troupes de soldats donnaient l’impression que la vie reprenait. Ils commerçaient dans les magasins où les prix étaient plus intéressants qu’en France, sauf pour le précieux savon, dont la pénurie s’expliquait par une utilisation allemande lors de la fabrication d’explosifs.

De Tournai, théâtre de batailles, vestige de vieux murs effondrés, il restait le Pont des Trous, ancien pont qui enjambait l’Escaut. Au sommet de la ville, le Beffroi, la tour d’alarme, ramenaient aux luttes du Moyen-âge et de la Renaissance. Sur la Grand’ Place, se dressait la statue d’une femme, la tête au vent, une cuirasse autour de la poitrine, les armes à la main, monument à la mémoire de Cristina Lalaing, Princesse d’Epinoy, qui s’était distinguée dans la défense de la place lors d’un des sièges espagnols.

Les sculptures de la Cathédrale valaient le détour, mais la bière blonde du Café des Brasseurs méritait d’être portée aux lèvres… Les cloches du Beffroi résonnaient, les carillons joyeux annonçaient les visites, dans les prochains jours, du Roi Albert 1er et de son épouse la Reine Elisabeth.

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Un autre récit d’un soldat portugais, en Belgique, le 11 novembre 1918 (2), se passe au nord de Tournai, à Mont-Saint-Aubert. Il raconte que les soldats portugais, dont l’Etat-Major était britannique, n’avaient pas compris les messages des radios anglaises et ne savaient pas que l’Armistice avait sonné 5 heures auparavant.

Le soldat nommé José Joaquim, un des soldats portugais rattachés à la 11ème Division britannique, était Sapeur-mineur, il avait suivi la progression de l’infanterie au pied du Mont-Saint-Aubert. Il continuait, avec ses camarades, à ramper dans les champs de choux et à tirer sur les Allemands qui ripostaient, eux en connaissance de cause.

Un messager anglais à motocyclette s’était alors arrêté devant le commandement portugais. Un pli était remis et traduit par un interprète : «La guerre est fini». José Joaquim a accueilli la nouvelle sans joie, les tirs finis des 2 côtés, car le ventre était vide depuis trois jours.

C’est au Monastère de Mont-Saint-Aubert que les unités portugaises ont été cantonnées. Les soldats qui ont été les derniers à participer à la guerre ont enterré les cadavres de religieuses, tuées par des tirs d’artillerie, dans un grand trou d’obus.

Triste armistice. Triste guerre.

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Sources

(1) «Verdades amargas» de Eurico Teixeira de Sousa

(2) «Les chemins de l’Armistice», François Debergh-André Gaillard, éditions Succès du livre, 1998.

LusoJornal