Il y a tout juste 100 ans Gustave Eiffel disparaissait : le Portugal son deuxième marché



Ce 27 décembre 2023, un siècle est passé depuis la disparition de Gustave Eiffel.

Gustave Eiffel fait, sans nul doute, partie du podium des personnalités françaises les plus connues à l’étranger, aux côtés de Napoléon et De Gaulle.

Chose rare et presque unique au niveau mondial, le fait que Gustave Eiffel ait le nom sur un monument qu’il a lui-même construit : la Tour Eiffel.

Selon l’Association des descendants de Gustave Eiffel (ADGE), en 59 ans d’activité, Gustave Eiffel aurait construit plus de 500 ouvrages, dans 30 pays, sur les 5 continents. Difficile de déterminer un chiffre exact, d’autant plus qu’il y a d’énormes projets et d’autres bien plus petits et sans archives.

Des ouvrages construits, il y en a qui fonctionnent encore, d’autres qui ne sont plus utilisés ou qui ont été démolis.

Une partie importante d’ouvrages attribués à Eiffel ou à sa compagnie ont été construits en France. À l’étranger, le chiffre varie de 300 à 350. Après la France, le Portugal a été le pays où Eiffel a construit le plus. On y dénombre plus de 80 ouvrages.

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Eiffel est né le 15 décembre 1832, à Dijon. À sa naissance, il ne s’appelait pas Eiffel, mais Alexandre Gustave Bonickhausen. Eiffel était tout simplement le nom de la région allemande d’où ses ancêtres étaient originaires. Le grand-père de Gustave fit ajouter le nom d’Eiffel à son nom, le nom d’origine étant imprononçable par les Français. Être allemand ou d’origine allemande, au milieu du XIX siècle, à la suite des guerres entre la France et la Prusse, n’était pas très bien vu, Gustave enlève Bonickhausen de son nom, pour ne plus porter que le nom Eiffel.

La mère de Gustave était chef d’entreprise, ce qui pour l’époque était extraordinaire. Cela aura son influence sur la carrière de son fils.

À 17 ans, Gustave Eiffel obtient deux Bac’s – l’un en lettres et le deuxième en sciences – son but étant de devenir ingénieur chimiste. Il est par ailleurs un enfant très sportif, pratiquant la gymnastique, natation, marche, escrime… Il rentre à l’École Centrale, alors récemment créée, et il se tourne vers la métallurgie.

En 1855 il visite sa première exposition universelle, celle de Paris. Cette exposition va inspirer son style et le diriger vers le monde de la construction.

Évoquons encore un peu la vie de famille de Gustave Eiffel et de sa descendance actuelle. «Ne trouvant pas chaussure à son pied» et déjà âgée de 29 ans, Gustave demande à sa mère de lui trouver une épouse. Dans une des lettres qu’il envoyait presque tous les jours à sa mère, il écrivait : «Je me fais vieux, je passe la trentaine et mon avenir de vieux garçon ne me séduit pas. Je vis trop sagement à l’écart de tout plaisir de jeune homme». Sa mère lui propose d’épouser la petite-fille de son ancien associé, Marie Gaudelet, âgée de 17 ans. Ils se marient le 8 juillet 1862.

Le lendemain de leur mariage, le couple part pour Bordeaux afin de suivre les chantiers entamés dans la région. Notons que c’est ici que Gustave Eiffel décroche son premier grand chantier, avant même d’être marié, à l’âge de 26 ans, pour le compte de l’entreprise dans laquelle il était embauché «Pauwels et Cie», le Pont de Bordeaux.

Quelques-uns d’entre vous se rappellent de ce pont, si vous avez fait un voyage en train en passant par Bordeaux. Ce pont, première création de Gustave Eiffel, et qui traverse la Garonne, à la suite de l’arrivée du TGV et de la construction d’un nouveau pont, n’est plus utilisé depuis mai 2008.

Petite curiosité, sur la famille Eiffel et sa descendance. En 1982, il n’y avait plus que deux descendants qui portaient le nom d’Eiffel : l’un est décédé et le deuxième était religieux. Exceptionnellement, le Conseil d’État autorisa les descendants à se nommer Eiffel, à ce jour, 70 descendants sont vivants.

Le couple Gustave/ Marie aura 5 enfants : 3 filles et deux garçons. Gustave fera changer le prénom de son épouse de Marie en Margueritte. Cette dernière décédera, très jeune, à l’âge de 32 ans.

En mars 1876 Gustave Eiffel se rend avec son épouse et ses trois filles au Portugal sur le chantier du pont sur le Douro. Au retour de ce voyage, Marguerite, qui souffre d’une forte fièvre et d’une bronchite, meurt le 7 septembre 1877, à Levallois-Perret. C’est la plus âgée des filles, Claire, de 14 ans à peine, qui s’occupera de ses frères et sœurs.

De chagrin, Gustave Eiffel se lance à corps et âme dans de nombreux et complexes projets.

Le Pont Eiffel à Porto n’est pas celui que la plupart des personnes et touristes croient.

Gustave Eiffel va vivre dans ce qu’aujourd’hui est la maison paroissiale du village de Barcelinhos (Barcelos), district de Braga, entre 1875 et 1877, le but étant de superviser un chantier majeur, celui du pont sur le Douro.

Bien intégré à la population locale, Gustave Eiffel appréciait la vie simple des gens du village. Le dimanche, il ne travaillait pas, ne dessinait pas, profitant pour visiter, avec les amis, les bonnes caves à vin de la région.

Suite au décès de sa secrétaire, Victorine Roblot – décédée à Barcelinhos le 3 avril 1877, où elle fut enterrée – et à la disparition de son épouse, Gustave Eiffel quitte le Portugal, se limitant à envoyer ici, ses lignes directrices de travail, suivies par «(…) une légion de ses assistants et collaborateurs, qu’il a su préparer avec une autorité affectueuse, faisant de chacun un ami».

C’est à partir de Barcelinhos qu’il supervisera un chantier d’une très grande importance, un chantier unique, un chantier très difficile, qui va contribuer à sa renommée : le pont sur le Douro. Il prendra le nom Dona Maria Pia, un pont pour éviter au train qui reliait Porto à Lisboa, un détour de 12 kilomètres.

La voie devait franchir le Douro à 61 mètres au-dessus du fleuve, dont la très grande profondeur rendait impossible la construction d’un appui intermédiaire. La largeur du fleuve, 160 mètres, devait être franchie en une seule travée. Gustave Eiffel proposa un pont avec un arc de forme tout à fait spéciale de croissant.

En juin 1875, l’entreprise qu’il créa à son nom remporte le concours, face à trois autres concurrents, le projet Eiffel coûtant trois fois moins cher avec absence d’échafaudage. La ligne esthétique, sa beauté, ont été également éléments déterminants du choix de l’entreprise Eiffel. Une arche de 160 mètres, imaginée avec l’aide de son associé, Théophile Seyrig, enjamba les rives du Douro, du jamais vu, jusqu’à cette date au monde. Toutes les pièces sont fabriquées dans l’atelier Eiffel, en France, à Levallois-Perret, et assemblés à Porto. La jonction des demi-arcs se fait en six mois. Le poids du pont est colossal : 1.450 tonnes, dont 450 tonnes pour l’arc et 700 tonnes pour les tabliers et les piliers.

Les Archives nationales de France, le Musée d’Orsay et les Archives nationales du monde du travail, à Roubaix (2), conservent plusieurs fonds d’archives se rapportant aux entreprises Eiffel.

Que ç’a été émouvant de pouvoir consulter, de toucher, la documentation de la compagnie Eiffel, documents que le propre Eiffel aurait eu dans ses propres mains, intitulé : «Pont Métallique sur le Douro à Porto», futur pont D. Maria Pia. Sur la couverture du rapport on peut lire : «Rapport sur projet MM Eiffel et Cie, projet présenté par MM Krantz, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de la navigation de la Seine, Molinos, ancien Président de la société des ingénieurs civils, de Dion, vice-Président de la société des ingénieurs civils. Paris le 30 juin 1875».

Dans l’introduction dudit document, nous pouvons lire : «La Compagnie des Chemins de Fer Portugais nous a chargés d’examiner un Projet de Pont en axe métallique à grand porté, à construire sur le Douro, et présenté par M.M. Eiffel et Cie. L’étude complète d’un ouvrage de cette importance offre de grandes difficultés. Les méthodes d’un ouvrage de cette importance offrent de grandes difficultés. Les méthodes de calcul connues jusqu’à ce jour ne peuvent être appliquées pratiquement qu’à l’aide d’hypothèses qui s’écartent plus ou moins de la réalité, et laissent, par conséquent, de l’incertitude sur les résultats qu’elles indiquent».

Suivent des schémas, des calculs mathématiques… le début de la conclusion commence par : «En résumé, l’étude que nous venons d’exposer conduit aux conclusions suivantes : le projet de M.M. Eiffel et Cie est bien conçu et parfaitement exécutable dans ses données générales. Les conditions de stabilité de l’axe sont satisfaisantes….».

Gustave Eiffel a supervisé personnellement la construction du pont sur le Douro avec l’appui de Théophile Seyrig. Avec son arc de 160 mètres, l’élégante structure et apparemment légère, du pont baptisé Maria Pia, a révolutionné l’ingénierie, ce qui a permis à Gustave Eiffel d’avoir bien d’autres commandes dans le monde et au Portugal.

La construction de cet ouvrage sur le Douro a débuté le 5 janvier 1875, construite dans un temps record, terminée avec 6 mois en avance par rapport au projet initial, a été inaugurée le 4 novembre 1877 par l’arrivée d’un train royal dans lequel voyageaient le roi D. Luis et son épouse, et marraine du pont, D. Maria Pia.

Le pont D. Maria Pia a été utilisé durant 114 ans. Il est à l’abandon depuis le 24 juin 1991, remplacé par un ouvrage moderne, le Pont S. João, le 6ème pont qui relie Porto en traversant le Douro.

L’abandon de ce pont est lié au métal de sa construction, le fer. Le fer étant corrosif, rendait dangereux le pont. Danger provoqué, aussi, par la locomotive du train, qui faisait vibrer toute la structure, la fragilisant de plus en plus.

Quelques années plus tard, à l’exemple de celui de D. Luis, à Porto, le matériel de construction utilisé sera l’acier, assemblé par des soudures, une grande avancée technologique au niveau sécurité et longévité.

Le pont D. Maria Pia est à l’abandon depuis, avec les dégradations qu’on imagine, les propriétaires actuels étant «Infrastructuras de Portugal» et les deux municipalités d’un côté et de l’autre du rivage.

Il existe au monde 6 ponts à arc s’appuyant uniquement sur les rives, dont deux à Porto. Tous les six ponts de la ville font partie d’une candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’ouvrage construit au Portugal, après Porto par Eiffel, a été le pont de Viana do Castelo, appelé aussi pont Eiffel. Il a été inauguré en 1878 et est encore en activité, à ce jour. Ce dernier a été construit de forme innovatrice, le premier pont poussé. Construit sur une plateforme d’une des rives du fleuve Lima, il a été lancé, poussé jusqu’à l’autre rive.

Parmi les ouvrages attribués à la compagnie Eiffel, au Portugal, il y a des aqueducs, des immeubles, de nombreux ponts, 27 selon Nuno Manuel Aires Nunes dans son mémoire de 2018 : «Reconhecimento de Padrões Estruturais, construtivos e materiais nas Pontes da Casa Eiffel em Portugal» (1).

Dans le Hors-série de la Voix du Nord, sur «Gustave Eiffel, un géant français» (3) on cite le nombre de 15 gares dans la ligne de Lisboa à Sintra construits par l’entreprise Eiffel. Il y en aurait 6 autres dans la ligne de Beira Alta, entre Luso et Santa Comba, construits entre 1880 et 1881 (Varzea, Milijo, Trezol, Breda, Criz et Dão). Grande partie des ponts sont situés dans le nord du Portugal : ligne de chemin de fer du Minho, ligne du Douro, Tamega, Coura, Cavado, Neiva, Caminha,… mais aussi une sur la ligne de Beira Baixa, à Santarem, deux à Coimbra, Niza, Castelo de Vide.

Eiffel aurait même construit un pont démontable qui a équipé les troupes des chemins de fer de l’armée portugaise à la fin du XIXème siècle.

Selon le travail et chiffrage de Nuno Manuel Aires Nunes, des 27 ponts qu’il a comptabilisé attribués à Gustave Eiffel, 3 sont encore en service, un a été désactivé (D. Maria Pia) et 23 ont été remplacés.

Témoins de l’usure, corrosion et de certains ajustements à faire sur ces ouvrages novateurs des ponts en fer de Gustave Eiffel, est le fait qu’aux Archives Nationales du Monde du Travail on est trouvé une facture au nom de la Compagnie des établissements Eiffel, datée de 1899, sur le pont du Douro, avec l’indication : «maçonnerie, ensemble, mémoire, et rapport, renforcement».

D’autres ouvrages sont attribués à la compagnie Eiffel au Portugal, à l’exemple des ateliers de la Gare de Santa Apolónia (Lisboa) et les Halles des locomotives de la Gare de Vila Nova de Gaia, entre autres.

Gustave Eiffel, un inventeur de génie, a construit d’innombrables œuvres au Portugal, toutefois, partie de sa notoriété au pays de Camões, lui vient de deux ouvrages qu’il n’a pas battit : le Pont D. Luis, à Porto et l’ascenseur d’Ajuda, à Lisboa.

Entre autres, une des grandes qualités de Gustave Eiffel était celle de savoir s’entourer de très bons collaborateurs au niveau technique et financier.

Il a fait appel à plusieurs reprises à sa mère pour l’aider financièrement lors du lancement de son entreprise et quand celle-ci traversait des difficultés financières.

En 1868, Gustave Eiffel rencontre Théophile Seyrig, jeune ingénieur, sorti premier de l’école Centrale. Le plus? Il était très riche. Le 6 octobre, les deux amis créent l’entreprise Gustave Eiffel et Cie, basée à Levallois-Perret, dont Seyrig apporte 60% du capital.

Au moment de l’inauguration du pont Maria Pia sur le Douro, le 4 novembre 1877, Théophile Seyrig, auteur des plans, n’est pas invité. Ce jour-là, Gustave Eiffel et Emile Nouguier reçoivent une décoration du roi du Portugal. Théophile Seyrig quitte Eiffel et en 1880 travaillant pour une entreprise belge remporte le chantier, face à Eiffel, de ce qui va devenir le Pont D. Luis, pont inauguré le 31 octobre 1886. Chose paradoxale, on considère souvent, le Pont D. Luis comme étant œuvre d’Eiffel.

L’ascenseur de Santa Justa, également appelé ascenseur do Carmo, n’est pas non plus de Gustave Eiffel. Ce monument, un des plus visités de Lisboa, est un système de transport public situé au centre de la ville de Lisboa, dans le quartier du même nom. Il relie la Rua do Ouro et la Rua do Carmo au Largo do Carmo et constitue l’un des monuments les plus intéressants du centre-ville de Lisboa. Il se compose d’une tour métallique où circulent deux cabines et d’une passerelle qui relie l’étage supérieur à la zone Carmo. Il a été imaginé par Raoul Mesnier de Ponsard. Les travaux de ce monumental ascenseur débutent le 16 juin 1890, le 11 de juin 1902 commencent les premiers tests, son utilisation publique date de son inauguration, le 10 juillet 1902.

Raoul Mesnier du Ponsard est né à Porto le 2 avril 1949 de parents français. Il meurt à Inhambane, au Mozambique, en 1914. Malgré la croyance commune, il n’y a aucune preuve qu’il a été effectivement élève de Gustave Eiffel.

Se rendre à Porto et ne pas visiter le Palácio da Bolsa, c’est presque «commettre un crime de lèse-majesté». Là se situe un des joyaux du Portugal, le Salon Mauresque. C’est également ici qu’on peut voir une copie d’un bureau de Gustave Eiffel, Eiffel n’y a jamais travaillé. Ironie du sort, la fenêtre de la pièce, on a une vue sur le pont qu’il n’a pas construit, le Pont D. Luis.

Gustave Eiffel : un homme de sciences, un génie français. Étonnante est encore de nos jours, l’image datant de 1889 d’Eiffel dans son laboratoire, avec à la main un modèle réduit d’avion, un modèle qui serait, même de nos jours, encore révolutionnaire.

Eiffel, le nom d’une tour de 330 mètres pesant 10.100 tonnes, avec un oscillation maximum, à son sommet de 18 centimètres, possèdent 6 ascenseurs qui font 103 mille kilomètres par an, 300 millions de personnes l’ont visité depuis son inauguration en 1889, 7 millions par an actuellement, dont 3/4 des étrangers.

À la question posée par le Journal La Voix du Nord, dans son numéro spécial sur Eiffel, à l’ingénieur, architecte, historien, Bertrand Lemoine : «Comment qualifier le style Eiffel», voici sa réponse: «Je pense qu’il n’existe pas de style Eiffel. Lorsqu’on observe un pont métallique, même pour un spécialiste comme moi, il est difficile de dire s’il est l’oeuvre d’Eiffel ou pas. Pour deux raisons essentielles : d’abord parce que la plupart des projets bâtis par Eiffel ont été dessinés par d’autres ingénieurs. Et ensuite parce que la charpente métallique, qu’on attribue à Eiffel, était utilisée par toutes les entreprises de construction de l’époque. Il n’existe donc pas un style Eiffel, mais un style que l’on peut dater de cette époque».

Gustave Eiffel qui a travaillé, construit, inventé, pendant 59 ans, il meurt le 27 décembre 1923 à l’âge de 91 ans. Gustave Eiffel est enterré dans le caveau familial au cimetière de Levallois-Perret.

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Notes :

(1) https://recil.ensinolusofona.pt/handle/10437/9528

(2) Archives nationales du Monde du Travail : 78 Bd du Général Leclerc, 59100 Roubaix

(3) Hors-série de la Voix du Nord : «Gustave Eiffel, un Génie Français», décembre 2023