Le «Dreyfus» portugais Artur Carlos Barros Basto pas encore réhabilité, Capitaine, photographe du CEP

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L’histoire d’Artur Carlos de Barros Basto est hors norme, elle vient de faire surface, avec la ‘unième’ demande de réhabilitation.

Des événements importants ont marqué la vie de Barros Basto, il a été à l’initiative de la mise en valeur d’un groupe de population au Portugal vouée à l’oubli depuis des siècles : les Juifs.

La découverte, des dizaines d’années après sa mort, de photos dans un tiroir viennent raviver sa mémoire, son travail, entre autres, de photographe pendant la I Guerre mondiale… une vie très riche avec beaucoup d’obstacles que ses descendants essaient de dépasser.

Artur Carlos de Barros Basto est né le 18 décembre 1887 à Santa Maria Madalena (Amarante) et est décédé le 08 mars 1961 à Cedofeita (Porto), 40 ans, jour pour jour, après son mariage. Entre ces deux dates, que des évènements dans la vie de Barros Basto !

Il a été baptisé à São Gonçalo, Amarante, dans une paroisse catholique, le 5 janvier 1888.

Il était fils de José Carlos Barros Bastos, négociant, et de Maria Ernestina Fortes. Son mariage avec Léa Montero Azancot, âgée de 27 ans, est enregistré au Registo Civil de Lisboa en date du 8 mars 1921. Les parents de Léa étaient Jacob Perez Azancot et Prudência Azancot.

Artur Carlos de Barros Basto est né dans une famille catholique, toutefois ses origines sont juives, descendant de Juifs baptisés de force en 1497, par décret du Roi du Portugal, D. Manuel I.

Il a neuf ans quand son grand-père, Francisco de Barros Basto, lui apprend qu’il a des ancêtres Juifs. Élevé par sa mère à Porto, il suit les cours de l’Académie militaire portugaise et participe en 1910 à la fondation de la Première République Portugaise.

Le 5 octobre 1910 il se fait remarquer en étant la première personne à hisser, à Porto, le nouveau drapeau de la République portugaise, lui qui était proche des mouvements anarchistes.

Dès son jeune âge, il adhère à la franc-maçonnerie, Grande Oriente Lusitano, Loge Montanha de Lisboa, il adopte le nom de Giordano Bruno.

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Participation à la I Guerre mondiale

Artur Carlos de Barros Basto participe activement à la I Guerre mondiale.

Il embarque de Lisboa dans le bateau City of Benares le 22 février 1917, en destination de Brest, le parcours inverse se fera dans le bateau North Western Miller le 17 juin 1919. Il part comme Commandant du B.I. n°23, 1a Companhia, il changera plusieurs fois de commandements.

L’occasion lui sera donnée de revenir au Portugal en permission en octobre 1917, toutefois au moment de repartir en France, il doit retarder son départ pour cause de frontière fermée entre l’Espagne et la France. Il embarquera finalement le 6 novembre dans un train, se présentant le 12 à la Délégation portugaise de Paris, auprès de l’Adido Álvaro Lapa.

L’action du commandant fut louée. Le 3 août 1918 il est signalé sa compétence dans les lignes du front, animant et encourageant dans le respect des devoirs même en de circonstances périlleuses les soldats qu’il dirige. Il est fait référence dans sa fiche du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) à son courage et altruisme manifesté le 21 mars 1918, à côté du médecin Jaime Cortesão (1). Il aidera ce dernier à monter un poste de secours pour soigner les blessés lors de l’attaque violent, par bombardement, avec des grenades de gaz. Lui-même intoxiqué, il refuse d’être évacué, ne souhaitant pas abandonner son unité qui ne se trouvait plus qu’avec 7 officiers. Il sera médaillé pour son comportement le 19 août 1918.

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Les photos cachées de la Guerre

En tant que photographe amateur il prendra, pendant la Guerre, un nombre important de clichés qui resteront oubliés 86 ans dans un tiroir, photos qui viennent enrichir la connaissance de la participation du CEP à la I Guerre mondiale, des images de l’intérieur, un peu différentes de la source quasi exclusive d’Arnaldo Garcez, le photographe officiel du Corps Expéditionnaire Portugais en poste en Flandre.

Dans la maison de Barros Basto, à Porto, il y avait un bureau avec des tiroirs fermés à clé. Certains tiroirs, ceux du haut, ont été consultés, fouillés par la famille au fil des ans, mais d’autres, ceux du bas, sont restés rangés comme le Capitaine d’infanterie Barros Basto les a laissés à sa mort, à Porto, en 1961, jusqu’à ce que quelqu’un ait pris l’initiative d’ouvrir ces tiroirs et veuille savoir ce qui s’y trouvait. On imaginait que ce qui s’y trouvait entreposé c’étaient des éléments d’une blessure profonde, le passé d’un militaire contraint à la retraite en 1937, en raison d’un procès sans précédent, intentionné par le Conseil supérieur de discipline de l’Armée, sur la base d’accusations de persécution liées au culte d’une religion, le judaïsme.

C’est après le décès de sa mère, Miriam, la fille cadette de Barros Basto, qu’Isabel Ferreira Lopes décide de se lancer dans l’ouverture des tiroirs. On était en 2005, 44 ans après la mort de Barros Basto.

Quand les tiroirs du bas du bureau du Capitaine ont été ouverts, ce qui a été trouvé était une collection photographique de la participation portugaise à la I Guerre mondiale. Disposés dans des coffrets d’époque, près de deux cents négatifs sur verre, 177 précisément, films et épreuves papier montrent le quotidien des soldats du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) en deuxième et première lignes de combat, la camaraderie entre soldats, les destructions causées par les bombardements et, génériquement, un enchantement par les paysages de Flandre, au milieu de l’enfer d’une guerre meurtrière et sanglante.

Il faut du temps à Isabel Ferreira Lopes pour décider ce qu’elle ferait des photos. Elle avait une certitude (le passé, encore) : il ne voulait pas que ce patrimoine soit déposé dans une institution militaire.

Conde Falcão, qui était en contact avec le Centro Português da Fotografia à Porto, conseille Isabel Ferreira Lopes d’aller frapper à la porte du Centre installé dans l’ancienne Cadeia da Relação. Le don des photos a eu lieu en décembre 2013. La collection de photos et autres documents ont depuis été décrits, conservés et numérisés par le CPF.

Interviewée par la Revista 2, Isabel Ferreira Lopes rappellera surtout l’intense activité photographique de son grand-père dans le «travail de sauvetage», dans lequel, à partir de 1925, il s’est engagé à identifier et à organiser les communautés de juifs marranes du Nord et des Beiras de Portugal, et aussi en enregistrant les différentes phases de construction de la synagogue de Porto, qui sera inaugurée en 1938, l’année de la tristement célèbre «nuit de cristal».

Isabel Ferreira Lopes dira : «Je pense que c’était son côté journaliste qui parlait. Et un signe de son immense curiosité pour tout ce qui l’entoure».

L’ensemble des images aujourd’hui dévoilées par Barros Basto peut sembler timide et insignifiant. Ce qui est certain, c’est qu’outre la rareté de la découverte d’un recueil portugais inédit sur la I Guerre mondiale, ces 177 photographies du Capitaine sont extraordinaires à plusieurs niveaux : elles rompent avec la quasi-hégémonie de l’imagerie de Garcez, dans le théâtre des Flandres, elles montrent à la fois les lignes de combat les plus avancées et la vie quotidienne de l’arrière-garde, un regard d’un amateur ébloui, à l’opposé du regard d’un professionnel à la mission mieux étudiée et prédéfinie. Ces images ajoutent de nouvelles réalités à l’imaginaire de la participation portugaise à la I Guerre et donnent des indications sur l’organisation et l’attitude des soldats portugais dans le théâtre des opérations. Mais, surtout, ce que l’on remarque dans la plupart des images de Barros Basto, c’est l’attitude de quelqu’un qui semble regarder son environnement pour la première fois, souvent sans souci du meilleur cadrage, de la vitesse indiquée, mais avec l’urgence de qui comprend clairement qu’il fait face à un événement remarquable pour l’histoire et qu’il a besoin de l’enregistrer d’une manière ou d’une autre.

Toute cette découverte conduira à une première exposition le Centro Português de Fotografia à Porto entre le 20 novembre 2014 et le 14 juin 2015, le titre de l’exposition étant «Barros Basto, o Capitão nas trincheiras» (2).

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Le retour au judaïsme

Artur Carlos de Barros Bastos ne quittera jamais l’uniforme de son pays. À son retour au Portugal, après la Guerre, il commence à étudier le judaïsme et l’hébreu. Conduit par la communauté juive de Lisboa, il se rend à Tanger où il revient au judaïsme de stricte observance et est circoncis. Aux rabbins qui ignoraient la présence de marranes au Portugal, il dit se sentir juif et ne procéder, à travers sa conversion, qu’à une «formalité». Il adopte alors le nom d’Abraham Israël Ben-Rosh.

En 1929, Barros Basto fonde la Yeshivah Rosh Pinah (La «pierre angulaire») financée par la communauté juive portugaise de New York, pour familiariser les marranes surtout les fils des paysans pauvres du nord, avec le judaïsme de stricte observance.

Barros Basto ne ménage pas sa peine. On l’appelle «l’officier prophète». Il part visiter parfois à cheval, ces villages de l’intérieur du Portugal, parfois très isolés où vivent les marranes, exhortant avec enthousiasme ces nouveaux chrétiens dispersés à revenir à leur foi d’origine.

Signalons que certaines communautés de juifs secrets ont survécu au Portugal jusqu’à nos jours, à l’exemple les Juifs de Belmonte (Beira Baixa).

D’autres communautés juives vont bientôt naître. La première se trouve à Bragança, la capitale septentrionale de Trás-os-Montes, où l’on trouve Ie plus grand nombre de crypto-juifs, environ huit cents. En 1928 y est inaugurée la synagogue Shaarey Pidyon (Les Portes de La Rédemption). En 1929, c’est dans la petite ville de Covilhã que la nouvelle communauté présidée par Samuel Schwarz inaugure sa synagogue.

Construite avec des dons de Juifs du monde entier, Israël Ben-Rosh est le principal initiateur de la synagogue «Kadoorie Mekor Haim» (Source de vie), inaugurée à Porto en 1938, l’année de la nuit de Cristal en Allemagne.

Le plus étonnant est que le fondateur de la communauté juive de Porto, Officier de l’Armée, le capitaine Barros Basto, expulsé plus tard par l’Armée, est depuis et connu comme «le Dreyfus portugais». Cecil Roth l’appelle comme étant l’«apôtre des marranes».

Cet historien britannique écrira qu’il n’a jamais connu quelqu’un de plus charismatique que Barros Basto. Peu après, Cecil Roth écrit «Une histoire des Marranes», publiée en 1932, un des livres les plus importants sur l’histoire des marranes.

Barros Basto édite de 1927 à 1958 un journal théologique, Ha-Lapid (La torche), traduisant de nombreux textes hébreux en portugais. Il enseigne aussi l’hébreu à l’Université de Porto et devient l’ami de nombreux intellectuels de la ville.

Avec l’aide d’Israël, le prénom juif de Barros Basto, de nombreux marranes reviennent au judaïsme. Tous ses contemporains soulignent le charisme et l’énergie de l’homme qui invite les marranes à ne pas se camoufler et rester dans ce qu’il appelle ce «mystère incompréhensible».

Déclaré «immoral» en juin 1937

À partir des années 30, un Gouvernement fasciste prend le pouvoir au Portugal. L’Église, qui avait beaucoup perdu avec l’arrivée de la République, redevient puissante. En 1937, suite à une dénonciation anonyme, vraisemblablement initiée par l’Église catholique, Barros Basto est accusé d’organiser des circoncisions dans la communauté juive, des «rituels homosexuels avec des jeunes âgés de 17 et 18 ans, qui ont été forcés d’exposer leur organe sexuel». L’Armée le dépouille de son uniforme et de sa dignité, lui retirant même les allocations médicales qui auraient pu sauver la vie de son fils.

Son mouvement perd alors de sa force et s’effondre. Dans les années 1940 et 1950, Barros Basto connaît la misère. Malgré cela, il continue d’aider des centaines de réfugiés juifs à fuir les persécutions nazies.

Il meurt brisé en 1961, incognito. Il est enterré dans le cimetière d’Amarante où il est né, vêtu de son uniforme militaire, de ses médailles avec le drapeau national.

En 1975, Léa Barros Basto, sa femme, demande justice au nouveau Parlement pour son mari, sans succès. Elle s’éteint.

Comme Dreyfus, le Capitaine Barros Basto est disculpé de toutes accusations, à l’unanimité, le 29 février 2012, par l’Assemblée de la République portugaise.

La petite-fille du Capitaine Barros Basto, Isabel Ferreira Lopes, est aujourd’hui la vice-Présidente de la Communauté juive de Porto, d’obédience Habad Loubavitch.

L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais ce n’est pas le cas.

Ce 1er mars dernier, la chaîne de télévision I24 News rapporte les propos de David Garrett, membre du Conseil de la communauté juive de Porto en charge des affaires juridiques. «Si nous ne recevons pas de réponse dans les prochaines semaines, nous déposerons une plainte auprès du Tribunal administratif portugais et, si nécessaire, auprès de la Cour européenne des droits de l’homme».

Cent ans après sa fondation, en 1923, la communauté juive de Porto fait campagne pour la réhabilitation de Arthur Carlos Barros Basto, fondateur de cette communauté et Officier juif expulsé de l’Armée portugaise en 1937. Arthur Carlos Barros Basto avait été déclaré «immoral» en juin 1937 pour avoir aidé des descendants de Juifs à se faire circoncire.

«C’est incroyable, mais l’État prétend maintenant que mon grand-père, âgé de 136 ans, ne peut être réhabilité à titre posthume que s’il en fait personnellement la demande», s’indigne Isabel Ferreira Lopes.

Sa lutte a débuté en 2012, lorsque le Parlement portugais reconnaît que le Capitaine Barros Basto a été la cible de persécutions politiques et religieuses et recommande au Gouvernement de le réhabiliter à titre posthume. L’année suivante, l’Armée accepte de le décorer Colonel, grade qu’il aurait atteint le 2 novembre 1945, s’il n’avait pas été expulsé. Mais le Gouvernement traîne des pieds…

«La décision de l’Armée date déjà de plus de dix ans, et je n’ai toujours pas reçu de documents attestant de la réhabilitation officielle de mon grand-père dans l’Armée, sans cesse reportée par le Gouvernement», explique Isabel Ferreira Lopes. «Les mots et les déclarations ne suffisent pas. Nous exigeons que ce chapitre se termine par une réhabilitation posthume complète et officielle de mon grand-père dans l’Armée portugaise, sans plus d’excuses», continue-t-elle.

Le Capitaine Barros Basto, né catholique, descendant d’une famille convertie de force par Isabelle la Catholique en 1497 et officiellement reconverti au judaïsme en 1920. Entre 1927 et 1934, Barros Basto a permis à des milliers de descendants de Juifs convertis de force, qui vivaient au Portugal, connus sous le nom de Bene Anusim, de se reconvertir au judaïsme notamment par la création d’un journal, la construction d’une yeshiva, d’une école juive, et le projet de la synagogue de Porto. Sa fille Miriam se souvient qu’avant de mourir, il continuait à dire : «Un jour, j’obtiendrai justice».

En plus d’exiger la réhabilitation du Capitaine Barros Basto, la communauté juive de Porto a récemment financé le tournage et la production d’un long métrage intitulé «Sefarad», qui raconte l’histoire du Colonel.

(1) Jaime Zuzarte Cortesão (29/04/1884 – 14/08/1960) est un médecin, homme politique, historien et auteur portugais. Il a écrit «Memórias da Grande Guerra 1916-1919»

(2) https://www.youtube.com/watch?v=JJ091-Kbqkw

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