LusoJornal / Dominique Stoenesco

L’écrivaine Adriana Armony sur les traces de Pagu à Paris

Pagu est le pseudonyme de Patrícia Galvão, écrivaine et militante politique brésilienne, arrêtée à Paris en 1935. Idole des «modernistes» et icone du féminisme brésilien, insurgée et insoumise, Pagu a été la première femme brésilienne prisonnière politique au XXème siècle.

«Pagu dans le métro», tel est le titre de la recherche de post-doctorat que mène actuellement Adriana Armony à l’Université de la Sorbonne Nouvelle, sous la direction de Claudia Poncioni, Professeure des universités. Une recherche qui porte sur le séjour que Patrícia Galvão a effectué dans la capitale française, en 1934-1935, une période encore peu connue de sa biographie. Le résultat de cette recherche sera publié sous la forme d’un roman-essai.

Adriana Armony, née à Rio de Janeiro, est écrivaine, titulaire d’un doctorat en Lettres, professeure au Colégio Pedro II, à Rio, et auteure de quatre romans, dont le dernier s’intitule «A Feira» (2017), finaliste du Prix Rio de Littérature.

 

Très peu de gens en France savent qui a été Pagu. Pouvez-vous nous la présenter brièvement?

Patrícia Galvão (1910-1962) a été écrivaine, journaliste, poétesse, traductrice, directrice de théâtre, productrice culturelle et militante politique. Elle est née à São João da Boa Vista (État de São Paulo) et à l’âge de 15 ans elle a commencé à collaborer au Brás Jornal. Autour de son personnage s’est créé tout un imaginaire: elle incarne le mythe de la femme polémique, irrévérencieuse et émancipée. Ennemie de l’hypocrisie, elle a été une femme aux multiples facettes exprimées à travers ses nombreux pseudonymes, parmi lesquels Pagu est le plus connu, créé par le poète Raul Bopp, pour la jeune fille de 18 ans, aux maquillages excentriques. Idole du Mouvement Moderniste des années 1920 et associée au Mouvement Anthropophage, elle se marie et a un enfant avec Oswald de Andrade, l’un des principaux écrivains modernistes. Affiliée au Parti Communiste en 1931, elle écrit le premier roman prolétaire brésilien, «Parque industrial». Entre 1933 et 1935, elle fait un long voyage à travers le monde, en passant par les États-Unis, la Chine, le Japon et la Russie, avant d’arriver à Paris en août 1934. Arrêtée en tant que militante communiste étrangère et rapatriée, elle rentre au Brésil en 1935, où elle est encore une fois emprisonnée (au total, elle aura été 28 fois en prison et torturée). Elle se remarie, avec Geraldo Ferraz, adhère au socialisme et débute une carrière de journaliste et de productrice culturelle. Plus qu’un mythe, Patricia Galvão était une intellectuelle et une militante de l’art. En 1962, elle retourne à Paris pour se soigner d’un cancer, mais sans succès. Elle meurt à Santos cette même année.

 

Comment l’épisode de son arrestation s’est-il déroulé? D’ailleurs, au cours de votre recherche ici à Paris, vous avez découvert de nouveaux documents intéressants sur le sujet?

D’après des sources connues, Pagu aurait été plusieurs fois arrêtée et blessée à Paris, où, comme militante communiste, elle avait adopté le faux nom de Léonnie. Au cours de ma recherche, en effet, j’ai trouvé des rapports indiquant qu’elle avait été arrêtée durant une distribution de tracts, aux côtés d’un compagnon, contre les manœuvres aériennes militaires. C’est à cette occasion qu’elle a été expulsée du territoire français, mais elle réussit à s’échapper au moment où on vint la chercher dans l’appartement où elle habitait, chez son amie la chanteuse Elsie Houston et son mari, l’écrivain Benjamin Péret. J’ai aussi trouvé, dans des archives pas encore explorées, le dossier de Patrícia Galvão, qui était considéré comme perdu dans les archives de la Police française. Dans ces archives il y a une deuxième date d’expulsion de Pagu, deux photos inédites, les adresses où elle a habité et d’autres détails sur son séjour à Paris, que je révèlerai à l’occasion de la publication de mon livre sur cette recherche.

 

Malgré le grand nombre d’auteurs traduits actuellement, la littérature brésilienne de ces 30 ou 40 dernières années n’a pas gagné une visibilité satisfaisante en France. Quel est votre regard sur cette littérature?

Lorsqu’il s’agit de la littérature brésilienne à l’étranger, on échappe difficilement au cliché. J’ai l’impression que le lecteur français moyen s’attend toujours à découvrir un Brésil plus folklorique, proche de celui décrit par Jorge Amado, qui était très aimé en France. Alors que la bonne production littéraire brésilienne plus récente se cantonne habituellement aux milieux universitaires. Il y a beaucoup de fiction et de poésie de qualité produites au Brésil et dans le monde, et on comprend que l’intérêt du public s’oriente vers les thèmes plus proches de la sensibilité des Français, comme ceux liés aux questions migratoires, à la décolonisation ou aux représentations identitaires. Les questions écologiques vont probablement permettre de renouveler cet intérêt pour le Brésil en général et pour sa littérature en particulier. Par ailleurs, notre condition d’écrivains est paradoxale. En écrivant dans une langue et à partir d’une culture d’origine européenne, nous avons une littérature de faible circulation dans notre propre pays, où les lecteurs sont peu nombreux et la critique rare. Ainsi, la reconnaissance de notre travail à travers les prix littéraires et les traductions est vue comme une marque de qualité. Notre existence littéraire a été formulée durant le mouvement «moderniste» au moyen de cette interrogation ironique: «Tupi or not Tupi?», et, tout au moins au regard des étrangers, notre drame est toujours d’actualité…

 

Vous préparez aussi la sortie de votre prochain roman, «Vamos chamá-la de Maria» – Appelons-la Maria. Pouvez-vous nous en dire deux mots?

“Vamos chamá-la de Maria” est un plongeon dans les mondes obscurs des sexualités où se croisent deux histoires: d’une part, les expériences amoureuses de “Eu” (“moi”), architecte et artiste plasticienne de la classe moyenne de Rio de Janeiro et, d’autre part, le parcours de «Ela» («elle»), travailleuse noire de l’intérieur du Brésil, victime du trafic sexuel vers le Portugal. À partir de souvenirs évoqués dans une véranda, ce roman alterne des scènes de violence et des réflexions sur le comportement masculin. Au fur et à mesure que les deux histoires évoluent, “Eu” cherche à comprendre et à esquisser un portrait de “Ela”, tout en vivant sa propre histoire d’amour et de désillusion. Deux femmes, deux histoires, deux sexualités, l’une “esclave”, l’autre “libre”. Désir et soumission, amour et haine, espoir et désespoir, illusion et réalité se confondent dans un jeu de récits et d’ambigüités. Dans quelle mesure ces deux sexualités sont-elles différentes? De quelle manière la logique du patriarcat pèse sur chacune d’elles? Jusqu’à quel point ces deux femmes se rejoignent et se donnent la main? La femme de la classe moyenne parvient-elle à exprimer, à travers sa peinture, la souffrance de la femme noire et pauvre? L’écrivaine, dans sa confrontation avec la réalité, peut-elle traduire en mots ses expériences, les siennes mais aussi celles des autres femmes imaginées par elle-même? «Vamos chamá-la de Maria» est l’histoire de cette quête et de cette lutte.

 

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