Home Cultura Les années de plomb au Brésil : Rencontre avec l’écrivain Henrique SchneiderDominique Stoenesco·15 Abril, 2025Cultura Avocat et écrivain, originaire de l’État de Rio Grande do Sul, lauréat de nombreux prix littéraires et traduit en plusieurs langues, Henrique Schneider, était invité à la Sorbonne-Nouvelle (Campus Nation), le 31 mars dernier, dans le cadre du Printemps Brésilien, événement réunissant des manifestations scientifiques, culturelles et artistiques, de mars à juin 2025. Intitulée «Raconter la dictature brésilienne : est-ce possible ?», cette rencontre littéraire était modérée par Alessandra Ciuffa Bourlé, chargée de cours et Leonardo Tonus, professeur des Universités, cheville-ouvrière de ce Printemps Brésilien. Le public était constitué essentiellement d’étudiants de 2ème année de EILA (Études Ibériques et Latino-américaines). Henrique Schneider se consacre actuellement à sa trilogie «La Dictature», une exploration de la dictature militaire au Brésil (1964-1985) à travers ses trois rouages : la torture (dans le roman «Setenta», éd. Dublinense, 2019), l’exil (dans le roman «A solidão do amanhã», même éditeur, 2022) et la censure (dans un roman encore en construction). «Não há tortura no Brasil» – il n’y a pas de torture au Brésil – c’est par cette affirmation sortie de la bouche d’Alfredo Buzaid, Ministre de la Justice au Brésil de 1969 à 1979, en pleine dictature militaire, que s’ouvre le roman «Setenta» – Soixante-dix -, de Henrique Schneider. L’histoire se passe en 1970, quand le pays était gouverné par le Général Médici, représentant de la ligne la plus répressive du régime. Raul est un jeune employé de banque qui vit avec sa mère, à Porto Alegre. Il mène une vie tranquille et ne s’intéresse pas à la politique. Il a appris par les journaux qu’un Consul américain avait été enlevé à Rio par un groupe de révolutionnaires, mais tout cela se passe dans un monde parallèle qui n’est pas celui qu’il fréquente. Jusqu’au jour où, en allant au cinéma, à la veille de la finale de la Coupe du Monde de football, qui se déroule dans un climat d’intense euphorie patriotique, on le confond avec un militant politique. Il est arrêté et jeté au fond d’une cellule, suspecté d’avoir participé à l’enlèvement. «Communiste de merde» est le refrain qui résonnera en permanence dans sa geôle, où les instruments de la torture se mettent à l’oeuvre. Raul est entre les mains des monstres et il doit avouer un fait qu’il n’a pas commis. Il n’est libéré que neuf jours plus tard, mais la peur le poursuivra partout. Outre l’architecture du livre, où presque toute l’histoire se déroule dans un seul espace (le Commissariat) et en un temps assez court (neuf jours), suivant une chronologie non linéaire, on appréciera notamment le dialogue (plutôt monologue) de la mère du prisonnier, désespérée, en se rendant au Commissariat pour implorer la clémence des bourreaux de son fils. Dans «A solidão do amanhã» – La solitude du lendemain -, nous sommes en 1972. Après un séjour en prison, Fernando, engagé dans le mouvement étudiant, quitte Porto Alegre afin de se mettre à l’abri et de protéger ses camarades de lutte. À Aceguá, petite ville située à la frontière avec l’Uruguay, un compagnon de la résistance à la dictature l’attend pour l’escorter à travers la pampa jusqu’à Melo, en Uruguay, où commencera son exil. Ici, Henrique Schneider ne raconte pas l’exil lui-même, mais les heures suspendues avant le saut dans l’inconnu et le début d’une longue période de solitude. Au passage, il cite le cas de l’exil de plus de dix ans du leader syndicaliste José Ibrahim, qui avait eu un rôle essentiel dans l’organisation des premières grandes grèves à Osasco (État de São Paulo), en 1968. Dans sa trilogie, Henrique Schneider n’a pas pour but de raconter l’histoire de la dictature militaire au Brésil, mais celle-ci apparaît en toile de fond où évoluent ses personnages, fictifs, mais inspirés de faits réels. Répondant aux questions de l’assistance, Henrique Schneider explique qu’à travers ses livres il voulait contribuer à retrouver la mémoire de ces années de plomb et mener un combat contre l’oppression et l’oubli, rappelant qu’au Chili, en Allemagne ou en Argentine, il a pu visiter des musées et des lieux de mémoire où sont racontés et montrés les pires moments de l’histoire de ces pays, alors qu’au Brésil régnait la logique de l’indifférence, du «deixa assim». «Lorsque j’ai commencé à écrire ‘Setenta’, dans les années 2013-2014, nous dit Henrique Schneider, le Brésil vivait des moments de reculs importants dans le domaine des droits sociaux et humains. J’étais effrayé de voir des jeunes de 18-19 ans, nés après la dictature, sortir dans la rue pour demander le retour d’un régime fort. Effrayé aussi de voir l’apparition de plus en plus fréquente de mouvements d’extrême-droite, pré-bolsonaristes». Et il cite le cas d’une vieille dame qui défilait avec une pancarte sur laquelle on pouvait lire «L’erreur de la dictature c’est d’avoir seulement torturé et de ne pas avoir tué». À une question sur la préparation de ses livres, Henrique Schneider souligne que cette phase initiale passe par la lecture de nombreux livres ou documents portant sur la torture ou la violence, avant d’entamer un processus rigoureux de recherches sur le terrain, car, dit-il, «dans ces deux romans j’écris sur des faits survenus il y a peu de temps, ce qui m’oblige à être très précis». Et il ajoute, pour conclure : «Dans ce sens, ma mère est ma lectrice la plus précieuse, car elle me demande toujours si j’ai bien vérifié sur place ce que je décris dans mes livres».