Les reines Isabel dans l’histoire commune du Portugal et de la France

D’une façon générale, la gouvernance des nations, la royauté, tout le long des siècles, a été confiée aux hommes, aux rois, aux seigneurs. Mais, à mieux regarder, les reines, les épouses, ont eu une influence primordiale tout au long de la royauté, contribuant grandement, par leur mariage, aux échanges, aux rapprochements, aux agrandissements de territoires administrés et au niveau diplomatique.

Après qu’on ait traité de l’influence des Mathilde dans les relations entre le Portugal et la France, place au même travail sur le même thème, concernant les Isabel.

 

Commençons par Isabel de Portugal, Duchesse de Bourgogne.

Elle est née le 21 février 1397 à Évora et est décédée le 17 décembre 1471 à Dijon, à 74 ans, un bel âge pour l’époque. Les parents d’Isabel étaient D. João I, roi du Portugal et Filipa de Lancastre. Elle était la sœur de D. Henrique, connu internationalement comme Henrique le Navigateur.

En 1428, Jean de Roubaix lui demande sa main au nom du Duc Philippe, dit Le Bon. Isabelle du Portugal a donc épousé Philippe III, Duc de Bourgogne, en 1430.

Après la mort de sa mère, elle a hérité de ses biens et a vécu dans le Palais de Sintra.

Très éduquée, elle lisait et parlait plusieurs langues. Très jeune, elle a commencé à traduire des romans et des poèmes de cavalerie, écrits en français ou en allemand, vers le portugais. Isabel du Portugal a également beaucoup travaillé sur la broderie et la tapisserie.

Avec Philippe III, Duc de Bourgogne, dont elle était la 3ème et dernière épouse, elle a enfanté trois fois, dont Charles le Téméraire.

Chose curieuse, mais pas étonnante pour l’époque, Philippe III a envoyé au Portugal le peintre Jan Van Eyck pour faire le portrait de sa future épouse avec laquelle il se mariera par procuration le 29 juillet 1429, mariage ratifié le 10 janvier 1430. Les festivités eurent lieu à Bruges.

Après le mariage, en l’honneur d’Isabel, Philippe III a décidé de créer l’Ordre de Cavalerie de la Toison d’Or qui a adopté la devise «Antre n’array Dame Isabeau Tante que vivray», ce qui signifie: «Je n’en aurai pas d’autre tant que vivra Dame Isabel».

Lors de la naissance de son fils Charles, futur Charles le Téméraire, Isabel a décidé de le nourrir au sein, se méfiant des nourrices à qui elle a attribué la mort des autres deux enfants qu’elle a eue avec Philippe III de Bourgogne.

Isabel était une femme très raffinée et intelligente, qui aimait s’entourer d’artistes et de poètes. Elle est restée connue comme étant une protectrice des arts.

En politique, Isabel du Portugal, a exercé une grande influence sur son fils et après qu’elle ait représenté son mari dans diverses missions diplomatiques, notamment lors de mariages entre plusieurs maisons royales en Europe.

Très respectée à l’époque, elle a été surnommée «La Grande Dame».

Son influence s’est même exercée au niveau comercial – elle a aidé les marchands portugais basés à Bruges, à développer les échanges entre le Portugal et la Flandre.

En raison de son influence, les Açores sont devenues le foyer d’innombrables personnes d’origine flamande à partir de 1449.

Isabel accueille en 1450 ses neveux Jaime, João et Beatriz, tous les enfants de D. Pedro, dans sa cour. La protection et le soutien qu’elle leur apporte, leur permettra d’atteindre des positions importantes – Beatriz se marie en 1453 avec Adolphe de Clèves, seigneur de Ravenstein et neveu de Philippe le Bon. Son neveu Jaime reçoit une formation approfondie, il est envoyé en Italie pour poursuivre une carrière ecclésiastique, il est promu Cardinal à l’âge de 23 ans. Il était également Archevêque de Lisboa et Évêque d’Arras. Il est décédé en 1459 avec à peine 26 ans.

 

Le 24 octobre 1503, né à Lisboa, une autre Isabel, Isabel du Portugal aussi, décédée le 1er mai 1539 à Toledo (Castille). Elle était la fille du roi D. Manuel I du Portugal et de Maria d’Aragon.

Par son mariage, à 23 ans, en 1526, avec Charles Quint, empereur-roi Charles de Habsbourg, qui est par ailleurs son cousin germain maternel, elle devient Reine de nombreux territoires, parfois bien éloignés – reine de Germanie, d’Aragon, de Majorque, de Valence, de Sicile et de Naples, Duchesse de Bourgogne, de Milan, du Brabant, de Luxembourg et du Limbourg, Comtesse de Flandre, du Hainaut, de Hollande et de Barcelone et Comtesse palatine de Bourgogne, puis Impératrice du Saint Empire.

Infante, elle a reçu une formation artistique et musicale. Isabel du Portugal se plaisait également à coudre et à broder. Cependant, si son éducation lui enseignait la conduite et les ouvrages nécessaires à la vie de l’épouse d’un souverain, la reine mère l’encourageait à faire de l’exercice physique.

Charles Quint avait besoin d’argent, il en manquera, d’ailleurs, toute sa vie. La princesse portugaise était très riche. L’empereur et roi épousa sa cousine portugaise le 10 mars 1526 à Séville. Les cérémonies se sont déroulées à minuit. A l’époque quelques privilégiés pouvaient assister, être témoins plus ou moins directs – une demi-heure plus tard, le mariage est consommé. Notons que, selon les critères de l’époque, il s’agit d’un mariage assez tardif pour les deux jeunes gens.

L’Empereur Charles Quint était le souverain de nombreux pays et les affaires de ses États l’appelait aux quatre coins de l’Europe. Aussi l’Empereur et Roi passait-il de nombreuses journées à cheval sur les routes d’Europe, voire d’Afrique. Il n’avait d’autres ressources que de s’appuyer sur sa famille pour l’aider à gouverner ses États.

À son épouse portugaise, l’Empereur confia l’Espagne et les Amériques. Cette implication politique amena l’Impératrice-reine à s’opposer parfois violemment à son mari sur la gestion des affaires. Face à l’Empereur et à sa politique universaliste, elle défendait souvent une ligne plus ibérique et plus volontaire sur le plan de la foi.

Malgré ces difficultés et ses voyages récurrents, Charles semble lui avoir été fidèle pendant les treize années de leur mariage et ne se remaria pas après son veuvage. En effet, ses enfants illégitimes sont tous nés avant son mariage ou pendant son veuvage.

La fidélité conjugale de l’Empereur, exceptionnelle pour l’époque, frappa les contemporains, de même que la légende qui veut que l’Empereur ait réclamé sur son lit de mort le portrait de sa défunte épouse et le crucifix d’argent qui avait accompagné ses derniers instants. Lors de sa retraite dans le couvent Yuste, le portrait de son épouse peint par Titien y a été toujours présent.

Isabel du Portugal meurt très jeune, âgée à peine de 36 ans, dans des conditions douloureuses, victime des suites d’une pneumonie en mettant au monde un enfant non-viable.

 

Le 4 août 1578 aura lieu un évènement qui va traumatiser tout un peuple, la Bataille des Trois Rois, la Bataille Ksar El Kebir, le jeune roi de Portugal, âgé à peine de 21 ans, D. Sébastien va y périr.

Sous le salazarisme, à l’école, on racontait la légende selon laquelle on se posait toujours la question si D. Sebastião était bien mort, le Portugal continuant à attendre l’arrivée de son roi-vivant.

La disparition de ce jeune roi – ne laissant pas de descendance – va conduire à que les rois Filipe II, III, et IV d’Espagne règnent sur le Portugal entre 1580 et le 1er décembre 1640, avec les titres de Filipe 1er, II et III du Portugal.

Deux Reines avec le prénom d’Isabel vont administrer le Portugal, mariées qu’elles furent aux Filipe’s: Isabel de Valois et Isabel de Bourbon.

Isabel de Valois est née les 2 avril 1545, à Fontainebleau et est décédée le 3 octobre 1568, en Espagne.

Mariée à Filipe II d’Espagne, elle régna entre le 22 juin 1559 – elle n’avait que 14 ans – jusqu’au jour de son décès. Son père était Henri II de France et Catherine de Médicis.

Isabel de Valois est décédée à l’âge de 23 ans, le 3 octobre 1568, lors de la naissance prématurée d’une petite fille nommée Joana, décédée quelques heures après l’accouchement.

Le roi a été dévasté par la perte de sa femme et de sa fille. La mort de la reine a laissé un grand vide à la Cour. Son entourage a été défait, des mesures économiques ont été prises par le Roi pour payer les dettes faites par sa jeune épouse défunte. Filipe reconnaîtra que sa femme était très consumériste – «elle a acheté de façon extravagante et ses dépenses pour les fêtes et les sorties étaient impressionnantes», en plus de commander «des quantités infinies d’argent et de bijoux aux artistes de la cour». On raconte également qu’Isabel n’a jamais porté deux fois la même robe.

Filipe II s’est remarié avec sa nièce Ana d’Autriche. Cette dernière a donné naissance au futur héritier, Philippe III d’Espagne.

 

Autre reine du temps de la domination espagnole sur le Portugal, Isabel de Bourbon est née le 22 novembre 1602 au Palais de Fontainebleau et décédée le 6 octobre 1644, à l’âge de 41 ans, au Real Alcazar de Madrid, en Espagne.

Elle était la fille aînée du roi Henri IV de France et de sa seconde épouse Maria de Médicis.

Par le mariage avec Filipe IV d’Espagne, III du Portugal, Isabel de Bourbon est devenu Reine consort d’Espagne, de 1621 jusqu’à sa mort, ainsi que Reine consort du Portugal et des Algarves, entre 1621 et 1640.

Isabel de Bourbon a toujours eu une aversion pour la politique désastreuse du Duc d’Olivares, et après le 1er décembre 1640, lorsque le Portugal s’est libéré de la domination espagnole, la Reine a obtenu la révocation du Ministre en janvier 1643, malgré le fait d’avoir, dans sa femme, l’inséparable dame de compagnie.

Toujours très active, Isabel de Bourbon participait à des réunions d’État et avait une grande influence sur les décisions de son mari.

Isabel de Bourbon est décédée en 1644, à tout juste 41 ans, de cause naturelle. Le roi Philippe IV n’a pas eu le courage de voir le cadavre de sa femme.

Du mariage avec Felipe IV, Isabel de Bourbon donnera naissance a huit enfants et a subi trois avortements.

 

Maria Francisca Isabel de Savoie est née à Paris, le 21 juin 1646 et décédée à Lisboa le 27 décembre 1683. Elle a été Reine consort du Portugal à deux périodes différentes.

Tout d’abord de 1666 à 1668 en tant qu’épouse de D. Afonso VI, et entre septembre et décembre 1683, en tant qu’épouse de D. Pedro II, frère du précédent.

Isabelle de Savoie était fille de Carlos Amadeu, Duc de Nemours et Isabel de Bourbon.

Avec les actes signés, la Reine quitte Paris le 29 mai 1666, avec le Marquis de Sande et son entourage, pour La Rochelle. Là, le 27 juin 1666, elle se marie par procuration au Roi, représenté par le Marquis. Le 4 juillet, elle embarque à bord d’une flotte française de 10 navires commandée par le Marquis de Ruvigny, recevant la flotte de son oncle, le Duc de Beaufort.

Maria Francisca Isabel de Savoie est arrivée sur le site de Junqueira le 9 août 1666, le Comte de Castelo Melhor allant la recevoir à bord avec sa mère, nommée Chambellan, et l’a emmenée au Paço d’Alcântara, où le Roi D. Pedro et la Cour l’attendaient.

Le Roi a été impressionné par la beauté de la mariée. Le mariage a été ratifié dans l’église du Couvent flamand d’Alcântara, le célébrant étant l’Évêque de Tara, l’Aumônier de la maison royale.

D. Pedro, frère de D. Afonso VI, était opposé au Premier Ministre de ce dernier. L’impopularité de D. Afonso VI étant très marquée, D. Pedro nourri l’espoir de conquérir le pouvoir.

La Reine, qui détestait également le Ministre, a rejoint son beau-frère, pour conspirer contre son pouvoir, essayant de le rendre inutile.

D. Maria Francisca de Saboia, dans la force de la vie, s’est vue mariée à un homme, D. Afonso VI, presque décrépit et incapable d’inspirer l’amour, ses défauts physiques et intellectuels aggravant la situation, tandis que D. Pedro était un homme gentil et dévoué qui lui déclara son amour.

On dit que c’est dans la forêt de Salvaterra, où el-rei D. Pedro aimait aller chasser, qu’Isabel et Pedro se retrouvaient.

Maria Francisca Isabel de Savoie finira par épouser son beau-frère, après que la bulle papale les ait autorisés, le 2 avril 1668.

Ils n’ont eu qu’une fille, Isabel Luísa, Princesse da Beira.

De 1668 à 1683, mariée au régent D. Pedro, elle a utilisé le titre de Princesse, mais était connue sous le nom de “Reine-Princesse”. Elle est redevenue de facto Reine après la mort d’Afonso VI, le 12 septembre 1683. Elle est décédée trois mois et demi plus tard, le 27 décembre 1683.

La reine a fondé en 1667 le Couvent de Santo Crucifixo ou Francesinhas, et a enrichi de nombreuses églises.

 

La dernière reine Isabel dont nous allons évoquer partie de sa vie, nous ne l’évoquons pas dans l’ordre chronologique de son règne. Nous n’allons pas dire que nous avons gardé le meilleur la fin, quoique… Elle est la plus connue de reines portugaises par les Portugais eux-mêmes, il s’agit de Santa Isabel, la Reine Sainte Isabel, Isabel d’Aragon.

Elle est née le 4 janvier 1271 en Espagne et décédée à Estremoz le 4 juillet 1336. Elle était une infante aragonaise. Ses parents étaient Pedro III d’Aragon et Constança de Sicile.

D. Dinis du Portugal avait 17 ans quand il est monté sur le trône et, pensant à un mariage qui était à l’époque un événement diplomatique complexe, Isabel d’Aragão lui convenait.

Les premières conversations ont été négociées par Filipe III de France, à Toulouse. D. Dinis a ensuite envoyé une ambassade directement à Pedro d’Aragão, en novembre 1280, constitué par João Velho, João Martins et Vasco Pires. L’ambassade portugaise a probablement croisée les envoyés des rois de France et d’Angleterre, dont les enfants étaient également les prétendants d’Isabel. Le souverain d’Aragon a préféré choisir celui qui était déjà roi – D. Dinis, l’Agriculteur, celui même qui planta les forêts de Leiria dont les feux de 2017 détruiront en partie.

Le 11 février 1281, âgée d’environ 11 ans, Isabel se marie par procuration avec le souverain portugais. Elle est devenue reine presque un an plus tard. Son règne ira du 2 février 1282 au 7 janvier 1325.

Isabel d’Aragon est entrée dans l’histoire en tant que sainte, ayant été béatifiée puis canonisée. Elle est devenue populairement connue sous le nom de Rainha Santa Isabel où simplement «a Rainha Santa». Elle est la Sainte patronne de la ville de Coimbra.

L’histoire la plus populaire de la reine Santa Isabel est sans aucun doute celle du miracle des roses. Selon la légende portugaise, la reine a quitté le château de Leiria un matin d’hiver pour distribuer du pain aux plus démunis. Surprise par le souverain, qui lui a demandé où elle allait et ce qu’elle avait dans son tablier. La reine se serait exclamée «ce sont des roses, Seigneur!». Soupçonneux, D. Dinis a demandé «Roses, en janvier?». D. Isabel a ouvert son tablier, le pain caché se serait transformé en roses.

D. Dinis est décédée en 1325. Peu de temps après sa mort, Isabel aurait fait le pèlerinage jusqu’au sanctuaire de Santiago de Compostelle à cheval sur un âne et la dernière étape à pied. A Santiago de Compostelle elle aurait offert beaucoup de ses biens personnels.

La Rainha Santa Isabel se retira pour la fin de ses jours, au monastère de Santa Clara-a-Velha à Coimbra, portant l’ordre des Pauvres Clarisses mais ne prononçant pas de vœux, ce qui lui permit de garder sa fortune utilisée pour la charité.

Isabel n’en sortira qu’une seule fois, peu de temps avant sa mort, en 1336.

 

Comme en peut s’apercevoir, les Isabel ont eu une importance capitale dans l’histoire de la royauté au Portugal.

Comme les autres reines, les Isabel étaient une manière de célébrer, de pérenniser des alliances, mais aussi une façon de récupérer des territoires.

L’acte essentiel de leur vie était celui de la procréation afin de perpétrer la dynastie. On notera qu’il y a eu parfois de la consanguinité dans les mariages.

L’espérance de vie, depuis, a bien évoluée, toutefois, parmi les reines Isabel dont on a décrit ici une partie de leur vie, à l’exception de deux qui sont mortes à 74 et 65 ans, les autres reines sont décédées jeunes, à 35, 23, 41 et 37 ans. Donner naissance à un enfant était, à l’époque, un moment important pour le règne, mais délicat pour la santé de la maman.

 

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