LusoJornal | Dominique Stoenesco LusoJornal | Dominique Stoenesco Home Cultura Livre “Dona Zezinha” d’Altina Ribeiro presenté à la Maison du Portugal, à Champigny-sur-MarneDominique Stoenesco·27 Janeiro, 2024Cultura Le livre «Dona Zezinha, a vida singular de uma professora» (2023), d’Altina Ribeiro, présenté le dimanche 21 janvier à la Maison du Portugal, à Champigny-sur-Marne (94), par l’historienne Marie-Christine Volovitch-Tavares, est la version portugaise de l’édition originale parue en français sous le titre de «Dona Zezinha, la vie peu ordinaire d’une institutrice» (2017). L’histoire, réelle, est issue du témoignage de Carlos Alexandre Araújo, arrivé en France en 1969, à l’âge de 18 ans. Celui-ci, sous la plume d’Altina Ribeiro, évoque l’itinéraire atypique de sa mère, Maria José de Oliveira, institutrice, appelée Dona Zezinha. À travers ce récit, teinté d’espoir, de fierté et d’amertume à la fois, nous découvrons les relations souvent difficiles entre une mère et un fils, dans un contexte fait de ruptures successives. La présentation de ce livre à la Maison du Portugal, à Champigny-sur-Marne, avait un caractère hautement symbolique à divers titres. C’est dans cette commune de la banlieue Est de Paris que se trouvait le gigantesque bidonville des Portugais, où plus de 10.000 hommes, femmes et enfants, fuyant la pauvreté, la dictature et la guerre coloniale dans les années 1960-70, ont vécu les «années de boue». Ce fut le cas, précisément, du mari de Dona Zezinha, Raúl, débarqué dans le bidonville après avoir quitté le Portugal «a salto», clandestinement, à l’aide d’un «passeur». C’est aussi dans ce bidonville que José Fidalgo, le père d’Altina Ribeiro, posera sa valise en 1963, en laissant femme et enfants à São Vicente da Raia, petit village du nord de Trás-os-Montes. Une autre histoire qu’Altina Ribeiro, émigrée en 1969 à l’âge de 9 ans, avec sa mère et sa sœur, raconte dans son premier livre, «Le fado pour seul bagage», publié en 2005. Enfin, cette rencontre revêtait également une autre valeur symbolique car, inaugurée en 1969, après des années d’efforts et de persévérance de l’Association Portugaise Socio-Culturelle et Récréative, l’existence de la Maison du Portugal venait matérialiser un lien vieux de plus de 60 ans entre le Portugal et la commune de Champigny-sur-Marne. Dans sa présentation, Marie-Christine Volovitch-Tavares, agrégée d’Histoire, auteure de nombreux études et recherches sur l’immigration et l’exil des Portugais en France, et aussi, entre autres publications, auteure du livre de référence «Portugais à Champigny, le temps des baraques» (Autrement, 1995) et «100 ans d’histoire des Portugais en France» (M. Lafond, 2016), a tout d’abord évoqué ce qui l’a motivée dans ses premières recherches sur la communauté portugaise dès les années 1960-70. Ainsi, elle a cité le film de Christian de Chalonge, «O Salto» (1967), puis a rappelé ce qu’elle a pu apprendre sur cette communauté en côtoyant André Téqui (1922-2005), syndicaliste, militant associatif pour un monde solidaire et sans frontières, qui avait mené une action sociale et culturelle extrêmement importante auprès des travailleurs portugais à Champigny-sur-Marne et à Villiers-sur-Marne dès les années 1960. Elle a aussi rappelé qu’étant elle-même petite-fille d’immigrés russes, l’histoire de l’immigration portugaise, bien que différente, l’a beaucoup intéressée. Abordant les principaux aspects du livre, Marie-Christine Volovitch-Tavares évoque l’histoire du personnage central, de Dona Zezinha, née dans la Beira Alta, une des provinces à très forte émigration. Orpheline de père à l’âge de quatre ans, Zézinha vit dans une pension tenue par sa marraine, où elle aime écouter les histoires racontées par les pensionnaires. Elle lit beaucoup, à douze ans, elle passe son examen de la «quarta classe» – le certificat d’études. Malgré les difficultés auxquelles elle doit faire face, à vingt-cinq ans, elle est nommée institutrice et parcourt villages et hameaux, parfois à dos d’âne, pour exercer son enseignement, dans une région où, entre 1937 et 1971 (durée de son activité), l’analphabétisme est immense. Désormais on l’appelle Dona Zézinha. Guidée par les valeurs qui régnaient sous le régime de Salazar : la famille, la morale chrétienne et l’autorité, elle acquiert la carte de la Légion portugaise. En 1951, avec la naissance de son fils Carlos Alexandre, Dona Zézinha aborde une nouvelle étape dans sa vie. Obligée de se déplacer fréquemment d’un village à un autre et peu aidée par un mari souvent absent, elle doit éduquer seule son fils. Son ambition est qu’il soit le meilleur à l’école. Mais Carlos Alexandre ne semble pas prendre conscience de cette abnégation. Mère battante, à forte personnalité, Zézinha va se heurter au caractère rebelle et quelquefois solitaire de son fils. Tant bien que mal, entre expulsion d’un séminaire et passage par un internat privé, entre bagarres et punitions, il termine ses études secondaires. Malgré son adhésion à l’idéologie du régime, Dona Zézinha ne veut pas que son fils accomplisse le service militaire et qu’il soit expédié en Afrique. Alors, elle décide de l’envoyer en France, rejoindre son père. En juillet 1969, après un passage rocambolesque de la frontière entre le Portugal et l’Espagne, Carlos Alexandre arrive enfin à Paris. Plus tard il sera suivi de sa mère qui désormais gagne sa vie comme gardienne d’immeuble et est appelée Madame Araújo. Marie-Christine Volovitch-Tavares souligne la place importante qu’Altina Ribeiro accorde dans son livre à l’école et à l’enseignement. D’autres aspects, économiques et politiques, sont également bien présents dans «Dona Zezinha», comme la pauvreté dans les campagnes, la censure, la PIDE, la guerre coloniale, la révolution du 25 avril 1974, l’émigration, les passeurs, le bidonville de Champigny-sur-Marne ou les marchands de sommeil. Concluant son exposé, Marie-Christine Volovitch-Tavares rend hommage au travail d’Altina Ribeiro qui, à travers ses livres, nous fait revivre la mémoire – individuelle et collective – d’une période douloureuse du «salto» qui ne doit pas être oubliée. Outre le style dépouillé et le réalisme avec lequel Altina Ribeiro campe ses personnages, le lecteur appréciera, dans «Dona Zezinha», l’insertion de nombreuses photos qui rendent les témoignage plus vivant et donnent au récit une valeur documentaire.