Marseille : Marina Gomes, les origines et la danse

Marina Gomes est née à Rodez, d’un père portugais et d’une mère espagnole. Avant de s’installer dans le sud de la France, sa famille paternelle a vécu une double migration : d’abord vers le Brésil, puis vers la France, comme tant d’autres portugais partis chercher un avenir meilleur. Cette histoire familiale, faite d’exils et de résilience, habite chacun de ses gestes artistiques.

Chaque été dans son enfance et encore aujourd’hui, Marina retrouve ses origines à Apúlia, un village côtier du nord du Portugal, non loin de Braga, région de sa famille paternelle. Le mois d’août est devenu un rituel qui représentait bien plus que des vacances. C’est un véritable retour aux sources. Là, au contact d’autres jeunes issus de l’immigration franco-portugaise, elle a pris conscience de la richesse et de la diversité des trajectoires. «Le mois d’août, c’était notre moment pour nous retrouver, en famille, entre amis», confie-t-elle au LusoJornal.

Aujourd’hui, elle dit s’inspirer de cette culture lusophone. Le fado, à travers sa mélancolie et le partage des émotions. Mais aussi le folklore populaire, qu’elle avait longtemps mis de côté, la nourrissent désormais. «Enfant, je ne m’y intéressais pas. Mais aujourd’hui, j’ai un autre regard. Le folklore rassemble toutes les générations autour d’une même culture».

.

L’exigence des études, l’appel de la danse

Malgré une passion précoce pour la danse, Marina Gomes a toujours su qu’elle devrait suivre un parcours académique solide. “Avoir le Bac, c’était non négociable”, rappelle-t-elle en souriant. Encouragée par son père, elle décroche une Licence puis un Master en psychologie. «On est venus en France pour que vous réussissiez vos études», lui répétait-il. Aujourd’hui, elle comprend le besoin de ses études dans ses projets.

Cette rigueur ne l’a pas empêchée de danser, bien au contraire. Formée au conservatoire en danse classique et contemporaine, elle découvre très tôt le hip-hop. Un coup de foudre. Ce style venu de la rue, des marges, fait écho à ses valeurs : inclusion, énergie collective, expression libre. «Le hip-hop, c’est une manière de parler le même langage que les jeunes : à travers la musique, le vocabulaire… ça facilite la rencontre artistique».

.

Une compagnie née d’un voyage en Colombie

Après Toulouse, Paris, Vitry-sur-Seine, elle part à Medellín pour une année sabbatique. Une étape fondatrice. Là-bas, elle découvre d’autres manières de faire de la culture : avec peu de moyens, mais beaucoup de volonté. C’est dans ce contexte qu’elle mûrit l’idée de créer sa propre structure. En 2020 naît sa compagnie de danse : Hylel. Un projet indépendant, tourné vers les quartiers, la jeunesse, l’émancipation.

À Marseille, elle trouve un ancrage. «Je me suis toujours sentie marseillaise», dit-elle. Son équipe, elle l’a créé grâce à ses anciens lieux d’habitations. Avec eux, elle développe une danse engagée, traversée par les réalités sociales, les violences urbaines. «La vie est sacrée. Rien ne justifie l’assassinat. Et dans chaque drame, il y a deux victimes : celui qui part et celui qui reste». À travers ses projets, elle veut offrir une alternative, un espace pour rêver, créer, grandir.

.

Une trilogie pour les quartiers

Marina Gomes a imaginé une trilogie chorégraphique comme une réponse poétique et politique à la réalité des quartiers populaires.

Sa première pièce, «Asmanti [Midi-Minuit]» est née en 2021. Elle explore la force du collectif et les liens invisibles qui unissent les habitants des quartiers. En 2023 elle crée «Bach Nord [Sortez les guitares]». Cette pièce mêle Bach, drill et shatta dans une relecture artistique du film «BAC Nord». Elle y fait danser les jeunes des quartiers Nord de Marseille, avec leurs propres mots, leurs propres récits. Pour finir, en 2024, «La Cuenta» interroge les règlements de compte à travers le regard des femmes et particulièrement des mères.

À travers ces projets, Marina Gomes prouve que les «quartiers ont aussi de la culture».

.

Danser en prison, manifester sur scène

Son travail dépasse les scènes traditionnelles. Elle intervient en milieu scolaire, mais aussi en prison. Dans un projet intitulé «12 cordes», en lien avec le centre pénitentiaire du Pontet et l’Opéra d’Avignon, elle met en place des ateliers artistiques derrière les murs. Une façon de faire entrer la culture partout. Par ailleurs, le nouveau projet qu’elle prépare se réalise avec des détenus.

Le 12 juin prochain, elle ouvrira le Festival de Marseille avec «La Manifête» : une manifestation chorégraphiée, portée par 450 enfants et adolescents, de la primaire au collège. Ils y exprimeront de vraies revendications, pensées et formulées ensemble. Une autre manière de faire société par l’art.

.

Un pont entre les mondes

Avec plus de 70 représentations à son actif, y compris à l’international – comme à Amsterdam – Marina aimerait présenter son travail au Portugal une manière de pousser les frontières de son travail.

Pour elle, la danse est un langage universel. Un outil pour réparer, relier, rassembler. Avec Hylel, elle a construit un espace de création où chaque histoire, chaque parcours, peut devenir un acte artistique.

Et si le hip-hop est aujourd’hui une danse contemporaine, c’est aussi parce qu’il reflète le monde tel qu’il est : inventif, mouvant, populaire et profondément humain.