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Théâtre: Anne Marie Marques nous surprend, nous questionne, avec «Je suis pas d’ici, aqui, ai ,ali»

Surpris, étonné et finalement conquis, par la prestation d’Anne-Marie Marques dans l’avant-première de sa pièce de théâtre, ce jeudi 19 décembre, à la Fabrique Théâtre à Loos-en-Gohelle.

Laurent Coutouly, Directeur du Centre Culturel, situé à l’emplacement d’une ancienne mine, a choisi de faire venir Anne-Marie Marques dans le cadre du programme culturel théâtral auquel il a donné le nom «d’altérité».

Surpris parce que, pendant plusieurs minutes, nous avons assisté à la projection d’images sur écran. Caméra à la main, Anne-Marie Marques, transcrit sur la toile ce qu’elle filme. Elle nous peint des situations. Nous sommes à la fois, autant sur une présentation théâtrale, que cinématographique. Cela nous a fait penser au grand Manoel de Oliveira. Lui, il faisait du cinéma en filmant des scènes théâtrales. La différence avec Anne-Marie Marques? Chez Manoel de Oliveira, la caméra bouge peu, les acteurs parlent. Dans le début de la pièce d’Anne Marie, la caméra bouge, l’artiste ne parle pas… les images suffisent à elles-mêmes.

Anne-Marie Marques filme des objets qui sont disposés sur deux tables. Sur l’écran, ces sujets prennent une autre dimension. Une dimension physique, une dimension symbolique.

J’allais presque oublier le titre de la pièce: «Je ne suis pas d’ici, aqui, ai, ali». Anne-Marie Marques l’a écrite, l’a mise en scène et l’a joue.

Elle est seule sur scène, toutefois nous dirons que les artistes sont au nombre de deux. L’autre artiste est la créatrice de la lumière: Véronique Marsy.

La lumière, dans un spectacle de théâtre, est importante, c’est le cas dans «Je ne suis pas d’ici, aqui, ai, ali» et plus que dans d’autres formes de représentations théâtrales.

Étonné, car même si nous ne sommes pas des spécialistes de théâtre, nous avons déjà assisté à pas mal de présentations, pour nous, cette forme de faire du théâtre était nouvelle. Oui, oui, j’entends vous dire: «à chacun sa personnalité, à chaque artiste son art, à chacun sa manière de vivre, sa vision des choses». Vous avez raison, faut-il toutefois pouvoir le mettre sur scène, savoir transmettre des sentiments, ses sentiments.

Dans le film de Manoel de Oliveira «Non ou a vã glória de mandar», pendant 11 minutes le cameramen filme un arbre et des camions de soldats qui arrivent au loin sur un chemin. Les premières paroles n’arrivent qu’après 11 longues minutes. Dans la pièce d’Anne-Marie Marques, la parole arrive un peu plus vite.

Étonné, parce que le public étant presque exclusivement Français, le monologue qu’Anne-Marie Marques entame, est en portugais. N’est-ce pas là une des richesses de l’homme? Même si l’on n’a pas le même langage, ne peut-on pas se comprendre, ne peut-on pas faire l’effort de comprendre l’autre?

Les spectateurs présents n’ont pas perdu un mot: les images et la gestuelle de l’artiste suffisent à comprendre le sens, le combat, les combats de ceux qu’Anne Marie Marques met en scène: les exilés. A la fois l’image de ses parents venus du Portugal, à l’image, des exilés d’aujourd’hui, à l’image du soudanais.

Le théâtre d’Anne-Marie Marques est, évidemment, à analyser à différents degrés. C’est un théâtre où l’image est très importante, où l’ombre l’est aussi.

L’important dans le théâtre, c’est de nous distraire, de faire passer des messages, on joue avec l’esthétique. Dans le cas d’Anne-Marie Marques, qui filme, qui se filme, qui projette, qui bouge des objets, selon l’endroit où l’on se situe dans le public, l’image projetée, l’image de la scène, est différente. Moi, qui étais assis par terre, au niveau de la scène, je n’ai probablement pas vu les mêmes formes que le photographe Luís Gonçalves, qui, lui, était debout: le théâtre à plusieurs niveaux d’interprétation, à plusieurs niveaux de perception…

L’artiste se donne et projette son image, la lumière transforme la silhouette en ombre.

Son ombre projetée sur le fond de la scène, nous a fait penser à Tintin, Tintin le voyageur, l’aventurier. L’exilé d’autrefois, d’aujourd’hui, n’est-il pas un aventurier?

En parlant avec l’actrice-réalisatrice, elle a été surprise par nos propos sur Tintin. Parler de Tintin lui a fait penser à Tintin au Congo, ce n’est pas tout à fait les valeurs qu’elle défend.

Le théâtre, d’une certaine façon, ne s’explique pas, le théâtre se voit, se vit, toutefois nous allons décrire des situations, citer des phrases pêle-mêle, sans ou avec commentaire.

Au début de la pièce, Anne-Marie Marques filme des boîtes, des boîtes de sardines. Trois sardines sont répandues sur scène, le sel les entoure. L’actrice va même jusqu’à fumer une sardine.

De la sardine on passe au bateau, avec des figurines à l’intérieur: l’exilé d’hier, le Portugais, l’exilé de nos jours, le Soudanais. La mer, le sable, les déserts.

L’artiste dit: on a cuit du chou, on a cuisiné les sardines, on va avoir des visites… ouvrons les fenêtres. Pour abolir les préjugés, pour accepter l’autre, ne faut-il ne pas ouvrir des portes, des fenêtres? Ne faut-il pas accepter d’ouvrir nos propres portes et fenêtres intérieures, s’ouvrir aux autres?

Après deux mois pour traverser l’Espagne, par l’exilé portugais, il arrive à la frontière. Le problème ce sont les dents… «ouvrez la bouche?». L’exilé d’hier et celui d’aujourd’hui, dont le chemin est encore plus long que deux mois, sont-ils venus, viennent-ils manger le pain, ce pain va-t-il manquer aux autochtones?

On remonte l’histoire: une partie des Portugais ont été les exilés des années 1960-1970… toutefois dans l’histoire de ce pays, l’exile en fait partie: c’est bien le Portugal, même s’il a été un des premiers pays à abolir la peine de mort, qui a provoqué l’exil entre le continent Africain et les Amériques, le Portugal a eu un rôle prépondérant dans le commerce des esclaves.

Je vous le conçois, celle-là, elle est facile: la compagnie de théâtre s’appelle «Les Arrosoirs», selon l’époque et la place à laquelle on est ou l’on naît le Portugais, le Portugal n’a-t-il pas été l’arrosoir, l’arrosé?

L’artiste déplace, met par terre une pile de livres et filme les couvertures, parfois elle lit quelques phrases: il y a le livre de Porto et ses azulejos, il y a le livre «Le gardeur de troupeaux» d’Alberto Caeiro (Fernando Pessoa), il y a l’anthologie de Fernando Pessoa… il y a des mots qui selon la manière de les prononcer et selon la langue sont plus ou moins chantants.

L’artiste étale par terre des images, des images d’azulejos. Sur l’une, une figure, pleure-t-elle? De quelle couleur sont les yeux, sont nos yeux, noirs, bleus? Le monde est-il plus beau si on a les yeux bleus? Si oui, pourquoi? L’image du monde nous est projetée, ne pouvons-nous pas la changer? Acceptons-nous de nous changer et de réfléchir sur ce qui nous entoure et sur l’image qu’on nous projette?

L’artiste s’allonge sur les images par terre, se relève, Grândola Vila Morena clos la pièce.

La pièce de théâtre «Je ne suis pas d’ici, aqui, ai, ali» d’Anne-Marie Marques, interroge, nous interroge, elle peut même déranger, nous déranger. N’est-ce pas là, le propre de l’art, le propre du théâtre? Faire du théâtre n’est-ce pas, aussi, une forme de résistance, une forme d’aller parfois contre des modes, contre l’idée majoritaire, contre une certaine forme de totalitarisme?

 

Prochaines présentations de la compagnie «Les Arrosoirs», d’Anne-Marie Marques avec la pièce «Je ne suis pas d’ici, qui, ai, ali»:

Le vendredi 24 janvier, 20h00, à Le Prato Théâtre International de Quartier Pôle National cirque, Lille.

Le jeudi 30 avril, 20h30, à l’espace Culturel Jean Ferrat, Avion (62).

 

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